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Procès des assistants parlementaires du FN: un réquisitoire très politique

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Dans l’affaire des assistants parlementaires du FN, le parquet a requis hier cinq ans de prison, dont deux ferme, ainsi que cinq ans d’inéligibilité contre Marine Le Pen, et demandé que la peine soit exécutée immédiatement, même si l’intéressée faisait appel. Une position pour le moins politique, aussi bien dans ses causes que dans ses conséquences.


Hier au tribunal judiciaire de Paris, comme souvent depuis le début du procès, Marine Le Pen est arrivée la première à l’audience. Puis des élus du Rassemblement national sont venus en nombre la rejoindre sur place, afin de lui témoigner leur soutien. Parmi eux, Laure Lavalette, Thomas Ménagé, Jean-Philippe Tanguy, Alexandre Loubet et Franck Allisio se sont assis aux côtés de Julien Odoul, Louis Aliot et d’autres prévenus.

Les procureurs, Louise Neyton et Nicolas Barret se sont relayés toute la journée pour prononcer leur réquisitoire. D’emblée, Louise Neyton a dénoncé « l’ampleur, la durée et le caractère organisé, systémique et systématique de l’organisation ». Selon elle, « ces faits et ce comportement ont porté une atteinte grave et durable au jeu démocratique européen mais aussi français. »

Nicolas Barret a quant à lui émis des doutes quant à la réalité même du travail effectué par les assistants parlementaires poursuivis. D’après lui, le parquet ne peut pas se satisfaire « d’une présomption de confiance, de bonne foi, d’honnêteté (…) S’ils n’arrivent pas à produire ces justificatifs, c’est qu’ils n’existent pas », a-t-il lancé.

Certains prévenus ont pourtant présenté des éléments à la justice. En particulier Bruno Gollnisch, qui était eurodéputé au moment des faits, et qui a apporté au tribunal des boîtes d’archives remplies de documents rédigés en leur temps dans le cadre de ses échanges avec ses deux assistants parlementaires mis en cause. À la barre, l’ancien vice-président du FN avait même invité les juges à venir visiter sa grange, où il a amassé le fruit de décennies d’activités politiques. Comme quoi, certains peuvent garder des traces… Mais dans ce cas, et malgré la présentation d’éléments factuels (DVD, journaux et blog), les enquêteurs n’ont pas estimé ces pièces « assez probantes ».

Bruno Gollnisch arrive au tribunal, Paris, 30 septembre 2024 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

On notera que, si les prévenus ont eu des difficultés, après tant d’années (les faits visés remontent à la période 2012-2017), à retrouver des documents attestant de leur travail, l’accusation n’a pas davantage présenté a contrario la preuve qu’ils travaillaient en réalité pour le parti (et pas pour le parlement) à la même époque.

Autre point majeur de l’accusation: pour les Dupond et Dupont du parquet, il n’y a pas de liberté totale quant aux tâches exercées par un assistant parlementaire. « La liberté absolue du député, c’est la liberté de parole, de pensée, et d’expression, absolument pas celle d’utiliser les fonds publics», a indiqué Nicolas Barret avant de préciser que « l’assistant parlementaire est au service d’une assistance directement liée au mandat (…) Il faut un lien direct entre l’activité et le mandat. La liberté n’est pas totale. » On se souvient que, durant le procès, l’ancienne eurodéputée Marie-Christine Arnautu avait cinglé le procureur qui estimait qu’en tant que « producteur de normes », elle se devait de connaître cette règle. Marie-Christine Arnautu avait répliqué : « La norme, je la combats ! On ne peut pas avoir la même norme de la Scandinavie à la Méditerranée ! »

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Après le passage en revue de tous les prévenus, Louise Neyton a attaqué frontalement Marine Le Pen, qui, au premier rang, est restée stoïque : « Ce système va se renforcer et prendre une nouvelle dimension avec l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti », a-t-elle affirmé. Dans sa fougue accusatoire, la magistrate du ministère public a même lâché, au sujet du prévenu Jean-François Jalkh : « Je n’ai aucun élément, mais je ne vous demande pas la relaxe car ça me ferait trop mal. » Sur le banc des prévenus, Marine Le Pen a aussitôt réagi: « Ah, ah, l’aveu ! » Par ces quelques mots prononcés dans un prétoire, Louise Neyton a sans aucun doute affiché une orientation politique et fait fi des obligations déontologiques des magistrats sur l’impartialité qui stipulent que « les magistrats du siège ne peuvent, ni dans leur propos ni dans leur comportement, manifester publiquement une conviction jusqu’au prononcé de la décision. »

La procureure de la République a ensuite pointé la responsabilité de Marine Le Pen en évoquant la fameuse réunion de juin 2014 au cours de laquelle celle-ci aurait signifié aux eurodéputés nouvellement élus la ventilation des assistants. « C’est dans ce cadre que Marine Le Pen annoncera aux députés qu’ils peuvent choisir un assistant effectif mais que les autres seront choisis par le parti et pour travailler à son bénéfice », récapitule-t-elle.

Marine Le Pen avait pourtant démontré lors des audiences que seuls quatre salariés, dont un à mi-temps, étaient devenus des assistants parlementaires. Seulement, le parquet a préféré se fier aux « déclarations concordantes de Schaffhauser, Montel, Chauprade ». Pour rappel, Aymeric Chauprade a chargé le FN et Marine Le Pen lors de ses premières auditions. Mais il est ensuite revenu sur ses déclarations dans un communiqué de presse publié sur Twitter.

Alors que la nuit tombait sur le tribunal correctionnel, le parquet en est venu aux peines requises. Outre des amendes, il a demandé des peines d’inéligibilité pour tous les prévenus allant d’un à cinq ans. Ces peines sont assorties d’une exécution provisoire, c’est-à-dire applicables malgré les appels.

Face au risque d’une peine d’inéligibilité qui impacterait tant sa réélection à l’Assemblée nationale que sa candidature à l’élection présidentielle de 2027, Marine Le Pen a déclaré plus tard dans la soirée : « Ils pourront se débarrasser de moi, mais ils ne pourront pas se débarrasser de Jordan. »

Dans ses réquisitions, Louise Neyton a clairement suggéré sa volonté d’assécher les finances du parti. En effet, la peine qu’elle a demandée à l’encontre du Rassemblement national correspond exactement à l’excédent des comptes 2023 du premier parti de France : 4,3 millions d’euros.

Marine Le Pen risque quant à elle, en plus des cinq ans d’inéligibilité requis, 300 000 euros d’amendes et cinq ans d’emprisonnement dont trois ans avec sursis. Le choix du parquet de demander des peines d’inéligibilité exécutoire témoigne d’une volonté politique d’abattre la candidate nationaliste qui est donnée en tête de toutes les enquêtes d’opinions.

Gérald Darmanin lui-même a tweeté sur le réseau social X qu’«il serait profondément choquant que Marine Le Pen soit jugée inéligible et, ainsi, ne puisse pas se présenter devant le suffrage des Français. Combattre Madame Le Pen se fait dans les urnes, pas ailleurs. Si le tribunal juge qu’elle doit être condamnée, elle ne peut l’être électoralement, sans l’expression du Peuple. N’ayons pas peur de la démocratie et évitons de creuser, encore plus, la différence entre les “élites” et l’immense majorité de nos concitoyens.»

Face au risque démocratique, l’électorat de Marine Le Pen se mobilise. Le hashtag #JeSoutiensMarine est partagé sur le Web tant par les élus nationaux que par les électeurs et sympathisants. Au vu de toutes ces réactions, si le but du parquet est d’empêcher Marine Le Pen d’être réélue député et d’être candidate à l’élection présidentielle de 2027, on peut se demander si ses efforts ne sont pas contre-productifs. Les électeurs n’apprécient guère qu’on leur dicte pour qui ils doivent voter. La semaine prochaine, la parole sera à la défense.

«Je place la chronique au même rang littéraire que le roman!»

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Depuis quelques années maintenant, notre contributeur Thomas Morales célèbre la France d’hier. Il publie coup sur coup Les Bouquinistes et Tendre est la province, des livres qui font la part belle aux souvenirs personnels et aux portraits littéraires. Il se confie: « Le monde d’avant m’émeut ».


Causeur. Vous publiez Les Bouquinistes et Tendre est la province, deux recueils de chroniques presque simultanément. Quelle est la genèse de ces ouvrages ? Dans quelles conditions les avez-vous écrits ?

Thomas Morales. Je dirais que c’est parfois le hasard qui guide le calendrier des parutions. L’auteur n’est pas toujours maître de son destin. Les Bouquinistes constitue le troisième volet de mon travail sur la nostalgie aux éditions Héliopoles. Il était programmé de longue date. Je creuse ce sillon-là avec un bonheur que j’espère faire partager. J’essaye d’en capter les éclats à travers différentes figures, le plus souvent, artistiques. Le monde d’avant m’émeut. Tendre est la province aux Équateurs est différent car il a été écrit dans le feu de l’action. C’est sans aucun doute mon livre le plus personnel depuis quinze ans. C’est une déambulation, comme souvent chez moi, buissonnière, de mon enfance villageoise à mes premiers pas dans le journalisme. Pour la première fois, je distille des souvenirs, des ambiances, des décors de ma province, et même de mes provinces car je file du Berry au Finistère. Je n’écris pas dans des conditions particulières. C’est mon métier. Et j’avoue ne pas faire une différence fondamentale entre ma casquette de chroniqueur, de critique, d’auteur ou de rédacteur en chef de magazines professionnels. Je trouve la prose de Blondin aussi éclatante dans un compte-rendu d’étape du Tour de France que dans une préface érudite ou un roman pluvieux. J’essaye de m’inspirer de cette exigence-là.

Ces deux livres sont constitués de chroniques. Parlez-nous de ce genre littéraire et/ou journalistique que vous semblez particulièrement apprécier.

La chronique est, selon moi, un art majeur que je place au même rang que le roman. Elle exige, par son format réduit, de la densité et une explosivité remarquable si elle veut atteindre son but. C’est-à-dire toucher le lecteur à l’uppercut. Elle ne permet pas l’à-peu-près. Les phrases doivent pétarader dans une même symphonie. En deux pages, une bonne chronique doit exprimer une idée et un élan salvateur. Quelque chose d’à la fois gourmand et acidulé, de pugnace et débridé, l’expression d’un style affirmé. Une chronique se juge à l’oreille. Les mots doivent carillonner. Je ne suis pas adepte de l’écriture blanche et des leçons de morale. Les Bouquinistes est un recueil chimiquement pur de chroniques, Tendre est la province, même s’il est cadencé d’une manière vive, est plutôt un récit, entre l’essai littéraire et la lettre d’amour.

Pourriez-vous revenir sur le conflit qui a opposé les bouquinistes parisiens à la mairie de Paris, à l’occasion des JO de Paris ?

Il s’agissait d’une mascarade assez ridicule et pathétique comme notre pays en connaît assez souvent. En résumé, plusieurs mois avant le grand événement, on a voulu enlever les boîtes vertes, l’âme des quais de Paris, son pittoresque et sa fantaisie littéraire, pour laisser l’Olympisme gambader librement et aussi pour d’obscures raisons de sécurité. Le plus drôle dans cette histoire est l’ignorance de nos dirigeants politiques. L’idée même d’amputer les quais de leurs trésors livresques n’avait pas soulevé chez eux la moindre parcelle d’indignation ou d’interrogation. Ce fut un peu « David contre Goliath », la profession s’est organisée avec peu de moyens et dans l’urgence. Jérôme Callais, bouquiniste quai de Conti a été le porte-parole de la cause dans les médias. Et des journalistes comme moi ont commencé à relayer cette information en défendant la liberté de vendre des livres même durant une Olympiade devant, par exemple, l’Académie française. Très vite, un courant de sympathie a déferlé sur le pays. Les Français ne voulaient pas que l’on touche à leurs bouquinistes. La messe était dite. Ils ont pu maintenir leur activité.

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Numéro de reportage : AP22199950_000006

Dans les deux présents recueils, vous vous faites le chantre de la France des Trente glorieuses. Quelle est cette passion qui ne cesse de vous habiter, de vous charmer ?

J’ai coutume de dire que cette France-là était et reste mon biotope culturel et mon décor mental. J’aime son allure, son second degré, sa pudeur, ses artistes disparus, ses vieilles fraternités, ses automobiles de caractère et ses plats en sauce. Les Trente Glorieuses sont mon refuge identitaire, alors oui, je les fantasme un peu, je les fais entrer dans mon moule, mais je trouve à cette période une fraîcheur et une dignité qui nous manquent cruellement aujourd’hui. Et pourtant, c’était une période historiquement rude et tendue, n’empêche que les Français y furent heureux, pleins d’espoir, ils croyaient en un avenir meilleur pour leurs enfants. Cette fois-là me touche. Elle est hautement estimable. Et je suis fidèle à la mémoire de mes grands-parents, je n’aime pas la caricature et les salisseurs de mémoire. Faire table rase du passé n’est pas dans mon vocabulaire. Je laisse le progressisme au forceps à nos nouveaux inquisiteurs.

Et la France d’aujourd’hui, qu’en pensez-vous ?

Plus terne, plus clivée, plus enfermée dans des logiques victimaires, plus rétive à la liberté d’expression, plus inquiète sur son avenir. Moins libre, moins délurée, moins rieuse, moins charmeuse tout simplement. En un mot, manquant d’espoir et de panache. Je souhaiterais que l’on retrouve l’esprit français, celui qui court de Villon à Choron, de Dumas à Guitry. Du style, de l’humour, de la légèreté, des fidélités à une terre et des emballements sincères.

Vous défendez la province avec une passion inégalée, et cette même passion vous la vouez à Paris. Ne serait-ce pas paradoxal ?

C’est l’essence même d’un écrivain, le paradoxe, le zig-zag permanent, le foutraque érigé en ligne de vie. J’aime le mot de Jean-Pierre Marielle qui se définissait comme un traînard. Je suis un traînard, mes passions le prouvent, je passe de Philippe de Broca à Audiberti, de Fallet à Morand, de Cossery à Boudard, de Jean Carmet, immense, indépassable à Charles Denner. J’apprécie tout autant mon Berry, cette campagne secrète, mes sous-préfectures alanguies, que le Paris de la rue Mouffetard cher à Doisneau et Robert Giraud. Vous savez, je suis l’un des rares cinéphiles français à apprécier les deux faces de Belmondo, le Belmondo de la Nouvelle Vague et celui plus commercial et bodybuildé des années 1980. Je suis œcuménique. On est toujours multiple dans un même corps. Un village du Bourbonnais, silencieux et intemporel à l’entrée de l’automne peut déclencher chez moi des larmes de sérénité. Mais j’ai aussi d’autres visions qui m’attirent, celles d’un Paris des beaux quartiers, dans les années 1980, avec en tête le générique de « Champs-Élysées », le Paris des producteurs de cinéma et des quotidiens à gros tirages, d’une Rolls Silver Cloud garée à la Madeleine où, les jours de chance, on pouvait admirer une star de la variété s’extraire avec grâce de cette aristocratique anglaise, en négligé de soie. Le brio ne me déplaît pas.

Vous citez Patrick Besson, Bernard Frank, Henri Callet et quelques autres. Quels sont vos chroniqueurs préférés ?

Mes maîtres en chroniques, mes sprinters de l’écrit, sont nombreux. On apprend toujours de ses aînés, écrire est une école de haute lutte. Pour s’améliorer, il faut être humble. Je pense, par exemple, à Kléber Haedens pour sa fluidité, ses papiers coulent comme l’eau vive, ils sont d’une érudition à hauteur d’hommes, jamais prétentieux, toujours chargés d’une onde bénéfique, j’ai beaucoup appris de ses enthousiasmes et de ses dégoûts. Il avait la dent dure contre certains écrivains intouchables. J’ai un faible aussi pour Jacques Perret, quelle plume virtuose ! Et un Italien qui est moins connu en France et dont je fais sans cesse la réclame, il s’agit d’Ennio Flaiano (1910-1972), c’est l’esprit romain incarné, la Dolce Vita et sa férocité jouissive. Comment ne pas citer également Vialatte, le prince d’Auvergne.

Vous réhabilitez de grands oubliés, pourtant d’immenses écrivains (Patrice Delbourg les a rassemblés dans son essai Les Désemparés, Le Castor astral, 1996) : Kléber Haedens, Robert Giraud, Emmanuel Bove, Antoine Blondin, Jean-Claude Pirotte, André Hardellet, Henri Calet, René Fallet, etc. Que représentent-ils pour vous ?

J’ai toujours préféré ceux que l’on qualifie, à tort, de petits maîtres face aux monstres sacrés de la littérature. Tous ceux que vous citez ont réussi à trouver leur propre veine. Ils ont réussi à mater leur tempo intérieur pour écrire leur vérité. Ils n’instrumentalisent pas leur lecteur. L’Université les sous-estime. Ils n’intéressent pas les intellectuels à gros godillots. Ils sont atrocement personnels, donc universels. J’aime leur typicité comme les vignerons parlent de leur vin. Chez eux, j’y puise force et enchantement.

Vous citez également le dessinateur Chaval, génial, fêlé, magnifiquement mélancolique et trop oublié lui aussi…

Dans Les Bouquinistes, je dis de lui qu’il était sans filtre, donc nocif, donc indispensable. Son dessin d’une grande élégance, d’une pureté de graveur est sans rédemption. Avec Chaval, le lecteur se prend directement un mur en pleine face et il en redemande. C’est cruellement drôle. Absurde et sans filet. Il a bousculé le dessin de presse comme son confrère Bosc. Le lecteur ne sort jamais indemne d’une rencontre avec lui.

Vous avez obtenu le prix Denis-Tillinac, en 2022, avec Et maintenant, voici venir un long hiver… Rarement prix littéraire n’aura été aussi justement attribué. Vous sentez-vous en fraternité avec lui ?

Ce fut un grand honneur car il y a quelques similitudes dans nos parcours. Le mien reste bien timide par rapport au sien. Cette fraternité s’illustre par l’attachement à la province, l’apprentissage du journalisme dans une locale, notre amour pour la Presse Quotidienne Régionale qui demeure la meilleure école pour sentir les aspirations populaires d’un pays et aussi pour une fidélité aux écrivains hussards et plus généralement aux réprouvés des cénacles. Et ce qu’on oublie souvent, lorsque l’on parle de Tillinac, j’admire sa qualité de plume.

Si l’on vous dit qu’il y a chez vous de la réaction et de l’anarcho-syndicalisme, à la fois de la France infinie et de l’Espagne brûlante et révoltée, est-ce que ça vous convient ?

C’est bien vu ! Une intranquillité à la Pessoa, aussi. On peut aimer le confort d’un cadre bourgeois et les perturbateurs. J’ai un faible pour les provocateurs en costume de tweed. Les pamphlétaires d’apparence inoffensive. Cher confrère, merci pour cette séance gratuite sur le divan.

Quels sont vos projets littéraires ?

A force de médire sur le roman, son côté laborieux, ses temps morts, sa longue mise en marche, je vais bien être obligé de m’y coller…


Les Bouquinistes, Thomas Morales, Héliopoles, 2024.

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Tendre est la province, Thomas Morales, Equateurs, 2024.

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Caillebotte, rapin couillu

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Tandis que l’exposition Caillebotte, peindre les hommes, au musée d’Orsay, s’accompagne d’un catalogue en partie vampirisé par le wokisme (cf. l’article de Georgia Ray, dans le magazine Causeur du mois), Amaury Chardeau, descendant de la famille Caillebotte, publie Caillebotte, la peinture est un jeu sérieux, aux éditions Norma :  à distance du jargon universitaire, aussi érudite que savoureuse, cette biographie abondamment illustrée restitue, avec force détails, l’intimité du peintre (également passionné de navigation et d’horticulture) dans son milieu et dans son époque.


Longtemps éclipsé par Renoir ou Degas, Gustave Caillebotte (1848-1894) connaît depuis un demi-siècle un spectaculaire regain de faveur – en 2024, sa cote est au plus haut. Il fallait s’y attendre : exportée des Etats-Unis, la pandémie idéologique du genre a trouvé, dans cette figure d’artiste célibataire plus entouré de garçons que de filles, une souche de contamination idéale. L’ère du soupçon fomente le procès d’une sexualité supposément refoulée, voire d’une homosexualité patiemment dissimulée, mais dont l’hypothèse transpirerait dans nombre de ses toiles.  De là ces pages de charabia aussi hilarantes que grotesques qui émaillent le catalogue, et tout particulièrement ce morceau de bravoure co-signé André Dombrowski et Jonathan D. Katz, sous le titre engageant : Peindre des hommes nus. Où l’on apprendra que l’huile célèbre baptisée Homme au bain « met en scène une inversion qui n’est ni fondée sur l’acte ni contre-nature (sic) mais est ‘’simplement’’ une fonction d’un regard ». Allez comprendre. Et de poursuivre : « Antiessentialisant, il impose une résistance performative (sic) aux deux versions dominantes de la sexualité homosexuelle proposées à l’époque ; en effet, il ne repose pas clairement sur l’acte – il représente simplement un homme s’essuyant après son bain – , mais il n’exige pas non plus que nous (ou le peintre) adoptions une attitude d’inversion sexuelle. Le tableau pose une question irritante et transpose cette irritation de la peinture, un simple objet extérieur, vers notre moi. L’homme au bain nous fait regarder et nous surprend en train de regarder ». Conclusion : « La véritable charge du tableau de Caillebotte est de mimer la dynamique de l’inversion sexuelle sans tenir compte de l’attribution de la différence sexuelle elle-même ». Tout est bien clair pour vous ?

Délires interprétatifs

Aux antipodes de ces délires interprétatifs passablement fumeux, la prose élégante, amicale et instructive d’Amaury Chardeau n’a pas seulement le mérite de sa clarté. Puisant aux sources des archives familiales, exhumant à l’occasion des documents (lettres, gravures, photographies…) inédits ou méconnus, elle brosse le récit circonstancié de la vie d’un homme dans son temps – et c’est là ce qui fait le prix de ce travail remarquable : fils de la grande bourgeoisie catholique parisienne, le jeune rentier Gustave Caillebotte en est le miroir ; son œuvre peint reflète avec exactitude le décor et les mœurs de son époque. Chardeau, dépouillant avec scrupule la somme accumulée des connaissances qu’on en a aujourd’hui, et tout se gardant d’affirmations présomptueuses, parvient page après page à reconstituer ce monde englouti. Ainsi par exemple : « Cette propriété située à Yerres (Essonne), le père de Gustave l’a achetée en 1860, les enfants étant encore petits, auprès d’un proche de l’Empereur, y investissant une partie des gains de son entreprise. C’est, pour une famille bourgeoise comme la leur, un attribut social incontournable et une échappatoire salutaire qui permet, l’été venu, de s’extraire de la ville et du fracas assourdissant des chantiers qui en empoisonne le quotidien ». En arrière-plan de la biographie, la vignette de ce Paris haussmannien en transformation accélérée !  

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Ou encore, pour commenter le célèbre tableau du Pont de l’Europe : « Le haut de forme du protagoniste central, à qui Gustave a prêté ses propres traits, est ceint d’un voile de crêpe, comme c’était parfois l’usage. L’artiste porte le deuil [de son frère cadet René, flambeur tué dans un duel à 25ans]. Ce passant au haut de forme vient de dépasser une femme s’abritant sous une ombrelle. S’ils ne marchent pas ensemble, c’est donc qu’elle marche seule. Or à l’époque, une femme ‘’comme il faut’’ ne traîne pas non accompagnée sur le pavé. Celle-ci se trouve, de ce fait, identifiée à une demi-mondaine, voire à une simple prostituée, dans un quartier réputé pour cette activité. Comme la queue dressée du chien nous le suggère avec insistance, c’est bien de commerce sexuel dont il s’agit. Mais ce commerce, le protagoniste du haut de forme s’y refuse, opposant son deuil au frou-frou rouge qui chapeaute la belle. Fuyant la luxure dans laquelle s’est perdu son frère, l’artiste s’éloigne du même coup de ce rouge qu’on retrouve à l’arrière dans l’uniforme d’un soldat rappelant les horreurs de 1870, et sur les roues d’une calèche qui, tel un corbillard, semble emporter les traumatismes du passé ». Fine analyse, à cent coudées des spéculations qui, dans le catalogue d’Orsay, suggèrent que le flâneur, en réalité, détourne son regard, non vers le paysage des rails de la gare Saint-Lazare, en contre-bas, mais en direction du garçon en blouse du premier plan, séquence liée « au contexte jusqu’alors invisibilisé de la prostitution masculine à Paris à la fin du XIXè siècle » (sic). Pourquoi pas ?

Une peinture qui appelle les commentaires

Certes, comme l’observe Amaury Chardeau : « cérébrale, sa peinture est un commentaire qui appelle au déchiffrement ». Ce qui n’autorise pas d’instrumentaliser son œuvre sur la base de présupposés idéologiques d’un anachronisme consternant. Chardeau voit juste : « Caillebotte semble ne jamais figurer d’autres vies que la sienne ». Il ne sort pas de son monde. « Contrairement à Manet, Degas, Béraud ou Eva Gonzalès, il ne peint pas les loisirs de la grande bourgeoisie, les soirées à l’opéra ou les sorties à l’hippodrome ». Son espace pictural se réduit à son intimité. Mais si notre biographe en ressaisit les péripéties avec une précision d’horloger, il a, lui, toujours soin de replacer celles-ci dans le contexte sociologique, politique, historique de cette fin de siècle. De fait, « Caillebotte peint son époque, et nombre de débats qui la traversent ». D’où sans doute le plaisant sous-titre du livre : La peinture est un jeu sérieux.

Un jeu, ou un enjeu ? « On ne peut qu’être frappé par cet incroyable appétit », écrit encore Chardeau, dans ce chapitre intitulé Toutes voiles dehors, qui décrit l’énergie déployée par Caillebotte dans l’autre passion de sa vie : la navigation. Les photos de son frère Martial (avec qui il aura durablement partagé le même appartement parisien jusqu’au mariage de ce dernier en 1887) nous dévoilent le chantier naval du Petit-Gennevilliers, où Gustave se fait construire une maison en bord de Seine, régatant à bord des yachts qu’il pilote en véritable champion. Au point de défrayer la chronique, dans « la langue sémillante de la presse du XIXè siècle » – Ô temps révolus ! – qui sourit des noms à consonance salace dont leur armateur- propriétaire les affuble : le Condor, le Cul-Blanc… Humour de rapin : « Etrange Gustave, qui mélange grivoiserie potache et goût obsessionnel de l’expérimentation », note Chardeau.

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N’en déplaise au trio Paul Perrin, Scott Allan et Gloria Groom, sportif, viril, couillu, épris de canotage, de baignade, de régate, d’horticulture et quoiqu’entouré de matelots, de jardiniers et d’hommes de peine, Caillebotte n’orientait sa libido qu’en direction de l’autre sexe, – exclusivement. A la seule compagne qu’on lui connaît avoir partagé sa vie, Charlotte Berthier, il lèguera d’ailleurs par testament une rente confortable. Ils ne convolèrent pas. « Charlotte et lui percevaient-ils le mariage comme une aliénation ? », s’interroge Amaury Chardeau. « Au moment où ils se rencontrent, le divorce est aboli en France, et il faut attendre 1884 pour qu’il soit rétabli » (…) « Faut-il voir dans ce non-mariage une volonté égalitariste, voire féministe ? »  Plus probablement, cette union libre avec une « femme du peuple » contrevenait aux mœurs bourgeoises dont Caillebotte, tout libéral qu’il fût en la matière, incarnait, par son statut de riche rentier et sa discrétion atavique, une figure archétypale.


Gay refoulé, non. Mort trop tôt, oui

Gustave, gay dans le placard ? Son Nu au divan (prêt du Minneapolis Institute of Art pour l’exposition) répond par avance, d’évidence, négativement à « l’émergence, durant les années 2000 dans les cercles universitaires américains, de l’hypothèse d’un Caillebotte homosexuel ». Dans sa crudité anatomique, la libido féminine s’y exprime sans détour. Chardeau commente de façon superbe cette toile unique à tous les sens du terme : « Dès lors, on peut tout imaginer, l’étreinte précédant l’acte de peindre, la pulsion physique puis esthétique d’un jeune homme désireux de posséder, dans tous les sens, ce corps dont les pieds, légèrement crispés, disent la dissipation du feu et dont la main paresse sur la pointe d’un sein pour en retenir le plaisir ».  

Au catalogue tendancieux de l’exposition d’Orsay –partiellement, car il faut bien reconnaître à Stéphane Guégan, par exemple, l’intérêt majeur du chapitre qu’il consacre au lien entre la défaite française contre la Prusse, cause de l’effondrement du Second Empire, et « les incursions de Caillebotte en matière d’iconographie militaire » et virile –  la recherche d’Amaury Chardeau offre un contrepoint aussi érudit que savoureux de bout en bout. A peine quarantenaire, Gustave meurt d’une « apoplexie », comme en son temps l’on disait d’un AVC –  juste avant l’arrivée de l’automobile et du cinéma. Homme du XIXème siècle, il est déjà, sous bien des aspects, un peintre du XXème siècle. « Que serait-il devenu si le destin lui avait prêté vie quelques années de plus ? » Avec son aïeul et biographe, on peut en rêver.


Caillebotte. La peinture est un jeu sérieux, par Amaury Chardeau. 255p. Norma éditions, 2024.

Caillebotte: La peinture est un jeu sérieux

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Caillebotte. Peindre les hommes. Catalogue de l’exposition. Sous la direction de Scott Allan, Gloria Groom, Paul Perrin. 256p. Hazan/Musée d’Orsay, 2024.

Exposition Caillebotte. Peindre les hommes. Musée d’Orsay, Paris. Jusqu’au 19 janvier 2025.

Les raboteurs de virilité

L’exposition Caillebotte au musée d’Orsay est une succession de chefs-d’oeuvre. C’est aussi un concentré de bêtise. Le peintre de la vie bourgeoise au XIXe siècle est présenté comme le chantre de la déconstruction, venu « bousculer les stéréotypes de genre » en tentant d’« échapper à sa condition de riche rentier ». On s’émerveille et on rigole.


« Caillebotte : peindre les hommes » est l’une des nouvelles expositions de l’automne-hiver au musée d’Orsay. Nous devrions nous réjouir, et ce pour deux raisons. La première tient à l’artiste, Gustave Caillebotte (1848-1894). Contemporain de Monet, Renoir, Sisley, peintre des célèbres Raboteurs de parquet refusés au Salon de 1875, mécène, collectionneur et donateur des toiles de ses amis impressionnistes, il mourut suffisamment jeune – 45 ans – pour prétendre à une place dans l’histoire de l’art, mais suffisamment fortuné – fils d’un riche négociant – pour n’y figurer longtemps qu’à titre secondaire. On aime les artistes aux existences difficiles.

Seconde raison, a priori, de se réjouir : « peindre les hommes ». Après un marathon olympique d’expositions sur les femmes peintres ou, variante grotesque, sur les épouses, amantes, sœurs, belles-sœurs, mères et belles-mères – on dirait un discours de passation de pouvoir au ministère de l’Éducation nationale – ayant gravité autour d’artistes comme les Nabis (actuellement au musée de Pont-Aven), « Peindre les hommes » fait l’effet d’un bonbon au miel. Une belle récompense après s’être coltiné tout l’imagier des victimes du patriarcat occidental depuis l’art pariétal.

Réjouissons-nous d’abord pour Gustave Caillebotte, lequel disait qu’il ne suffit pas d’être mort, mais d’être mort depuis longtemps, pour gagner les bonnes grâces du public. Les cent trente ans de sa disparition sont l’occasion de venir admirer (après une petite dizaine d’accrochages à travers le monde depuis 1994) l’œuvre mi-réaliste, mi-impressionniste de ce passionné de peinture, d’horticulture, d’ingénierie navale et de sports nautiques.

Périssoires sur l’Yerres, 1877. The National Gallery of Art, Washington.

Dans le Paris des grands boulevards haussmanniens, sous des effets de lumière, de neige et de pluie, la promenade est à l’honneur. Sur le trottoir de Rue de Paris, temps de pluie (1877), un couple de bourgeois distraits par un détail hors cadre vient à notre rencontre. D’un côté du parapluie qui les abrite : pantalon sans pinces, gilet croisé, plastron, nœud papillon, large pardessus et chapeau haut-de-forme. De l’autre : petit manteau arrondi rehaussé de fourrure, voilette mouchetée et boucle d’oreille à l’éclat vermeerien. En été, sur Le Pont de l’Europe (1876), le parapluie fait place à l’ombrelle. La brève conversation qui nous parvient alors est autant celle de cet homme élégant et de cette femme tout rubans et dentelles qui s’avancent vers nous, que le dialogue entre une robe à tournure et la structure métallique du célèbre pont construit en 1863. Les nouveaux volumes du vêtement et ceux du paysage urbain sculptent la modernité de cette seconde moitié du xixe siècle. Sur le chemin de l’après-Sedan, les promenades bourgeoises, graves sans emphase, sérieuses sans affectation, croisent le prolétariat urbain au travail – comme ces Peintres en bâtiment (1877) – avant de se poursuivre par le regard, à la fenêtre ou au balcon d’un appartement cossu. Échouées sur un fauteuil capitonné ou sur un canapé confortable le temps d’une lecture silencieuse, ces promenades reprendront leur cours à la campagne et à la mer, entre dahlias, bateaux et périssoires.

Mais les réjouissances ne s’arrêtent pas là – du moins pour ceux qui lisent encore les cartels dans les musées. Car au plaisir de regarder les toiles de Caillebotte vient s’ajouter le plaisir de rire devant les nouveaux textes qui les accompagnent. Le ton est donné d’entrée de jeu et allège la gravité d’un xixe siècle un peu sombre en redingotes noires. En raison d’une « forte prédilection pour les figures masculines », Gustave Caillebotte nous est présenté comme un artiste n’ayant eu de cesse d’interroger son identité d’homme bourgeois à travers son œuvre, à une époque où l’élite masculine aurait hésité entre les codes d’une virilité triomphante et un goût naissant pour de nouvelles formes d’évasion et de sociabilité entre hommes. Largement inspirée du troisième volume de L’Histoire de la virilité, dirigé par Alain Corbin – ouvrage qui s’attache à démontrer le caractère construit, et donc heureusement obsolète, d’une virilité conduisant, entre autres, à la domination de la femme et des peuples du monde –, l’exposition Caillebotte distille l’idée d’un peintre venu, au bout de cent trente ans, « bousculer les stéréotypes de classe et de genre » de l’humanité occidentale. Présenté comme indifférent aux femmes, moite d’émotion devant les hommes, sans illusions personnelles devant le couple bourgeois, il aurait rêvé d’« échapper à sa condition de riche rentier » – de préférence du haut de son balcon du 31, boulevard Haussmann, acheté avec son frère Martial après la vente de leur domaine de 11 hectares à Yerres. Plutôt discret sur une vie privée qu’il semble avoir partagée entre sa famille, ses amis, et une certaine Charlotte Berthier, il était effectivement le candidat posthume idéal pour promouvoir, depuis son époque, les nouvelles masculinités de la nôtre. L’Homme au bain (1884) se résume ainsi au « plaisir que l’artiste a sans doute eu de peindre l’anatomie » d’un homme au sortir d’une baignoire : rien sur le réalisme du nu, les traces d’eau sur le parquet ni sur la figure de l’homme vu de dos, motif passionnant magistralement étudié par Georges Banu dans la peinture et le théâtre. Même chose pour Les Raboteurs de parquet (1875). « À demi nus et transpirants »,ilssont l’occasion d’une petite niaiserie supplémentaire formulée sur la fraternité au travail d’« hommes virils engagés ensemble dans un labeur manuel » : rien sur l’attention silencieuse que portent ces ouvriers à leur ouvrage, rien sur leur misère, rien sur la beauté et la précision de leur geste, et bien sûr rien sur la lumière. Et ainsi de suite : de cartel en cartel, le comique de répétition opère. Face au pubis richement fourni de la femme qui somnole sur un canapé (1881-1882), la taille encore marquée par un jupon retiré à la hâte, le désir du peintre doit disparaître : la « jeune femme ignore sa présence » et la main qu’elle pose sur son sein est « un geste autoérotique » qui exclut le mâle de la scène. C’est décidé : les figures masculines de Caillebotte, à leur fenêtre, à leur balcon, à leurs promenades et à leurs lectures, suintent d’une « énergie mal canalisée » sous leur virilité de façade. D’ailleurs, à y regarder de plus près, le bourgeois du pont de l’Europe ne salue pas tant la cocotte à l’ombrelle qu’il ne guigne de l’œil le peintre en bâtiment accoudé au parapet…

Jeune homme à la fenêtre, 1876. Los Angeles, J. Paul Getty Museum

Tout exhumer et tout salir, de l’école au musée : avouons que pour un siècle qui fait du respect et de la protection de l’environnement son cheval de bataille, ce gâchis labellisé a de quoi surprendre. Fidèles, malgré eux, à l’institution honnie de la famille, les déconstructeurs des années 1970 ont fait des petits, aux deux sens du terme : ils ont engendré d’autres déconstructeurs, moins intelligents qu’eux. À la différence de leurs mentors qui goûtaient le plaisir d’avoir reçu en héritage ce qu’ils jetaient par-dessus bord, les petits-maîtres d’aujourd’hui ont cessé d’être des penseurs, des professeurs, des critiques littéraires ou des historiens de l’art. Ils se contentent d’être des théoriciens du genre, des « formateurs égalité fille-garçon », des traqueurs d’écriture misogyne chez Zola ou des dénicheurs de « masculinité fluide » dans l’iconographie du xixe siècle. N’ayant rien reçu en héritage, ils n’ont plus rien à bazarder et se satisfont des basses œuvres : chiner des mots creux et réciter en boucle le catéchisme de leurs pairs quasi biologiques en le plaquant sur ce qui nous trouble, nous émeut et nous émerveille toujours.

Marcel Proust a parlé comme nul autre des jeunes filles en fleurs sans s’être apparemment distingué comme tombeur de ces dames ; Rosa Bonheur s’est consacrée à la peinture animalière, mais n’est pas encore considérée comme zoophile ; Chardin et Sorolla ont été des peintres de l’enfance sans avoir été pédophiles. Peindre des ouvriers au travail et des bourgeois à leur balcon est une autre façon d’envisager l’art et la beauté sans pour autant constituer un protoplaidoyer en faveur des nouvelles masculinités.

Lorsque seules les femmes sont autorisées à parler des femmes, et que les hommes ne sont autorisés à parler d’eux qu’en êtres vulnérables, les cartes de la vie et de l’art sont rebattues en un sens politique plutôt douteux – orwellien est un euphémisme. Portrait de femme a heureusement été écrit par un homme (Henry James) et Chéri par une femme (Colette). D’ailleurs, personne mieux que Marguerite Yourcenar, dans sa postface à Anna, soror… (1983), n’a « fermé la bouche à ceux qui s’étonnent qu’un homme puisse exceller à dépeindre les émotions d’une femme ou qu’une femme puisse créer un homme dans toute sa vérité virile ».

Marguerite Yourcenar : on aimerait l’emmener avec nous voir l’exposition Caillebotte.


À voir :

« Caillebotte : peindre les hommes », musée d’Orsay, jusqu’au 19 janvier 2025.

Maison Caillebotte, 10, rue de Concy, 91330 Yerres.

À lire

J.-K. Huysmans, « L’Art moderne », in Écrits sur l’art, Flammarion, 2008.

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Alger sur le divan

Plus de soixante ans après la décolonisation, le pouvoir algérien cultive le même ressentiment envers la France. Une intoxication mémorielle très utile pour faire oublier les errements de sa politique sociale et économique ; et pour culpabiliser les bonnes âmes françaises qui ne demandent qu’à faire repentance.


Les psychanalystes du monde entier vous le diront, s’inventer des faux problèmes pour éviter de s’occuper de ses véritables priorités est un mal répandu. Certains pays en souffrent, dont l’Algérie. Ce pays se spécialise dans l’élaboration de doléances imaginaires à l’endroit de la France au lieu de répondre aux questions fondamentales et ô combien pressantes que lui pose la vie. Il fuit les problèmes du présent et ceux du passé. Ce faisant, il sacrifie ses intérêts et pollue au passage la perception qu’ont les Français de leur histoire récente.

Parmi les questions que l’Algérie fuit depuis 1962 : où va l’argent du pétrole et du gaz ? Pourquoi le pays est-il un enfer économique où entreprendre honnêtement relève de la gageure ? Où sont l’harmonie et la prospérité promises au peuple algérien en contrepartie des sacrifices consentis lors de la guerre de libération ? Où est la concorde nationale censée supplanter la décennie noire et réconcilier les Algériens entre eux ? La justice a-t-elle été rendue aux victimes de la guerre civile ? Incapables de répondre à ces questions difficiles, le régime et sa base électorale accusent la France d’être à l’origine de tous les maux.

La politique algérienne à l’égard de la France est le récit d’une fuite psychotique, devenue une sorte de névrose chronique. Ce qui n’était qu’un mensonge élaboré par des petits malins – idéologues du FLN et militaires usurpateurs du pouvoir – est devenu une sorte de récit fondateur dont on ne peut plus se passer. La haine de la France est l’identité algérienne par défaut, une identité de substitution à l’identité algérienne véritable. Une illusion qui permet à l’Algérie de fuir sa vérité. Autrement, elle admettrait que son identité est plurielle et hybride : arabe et berbère en même temps, saharienne et méditerranéenne aussi, musulmane bien sûr.

Le régime algérien est trop petit pour aider l’Algérie à assumer son identité. Il ne sait pas ce qu’être Algérien veut dire. Il a chassé la France, mais il n’a pas trouvé l’Algérie, il a plaqué à sa place des chimères qui ne correspondent qu’en partie à la vérité de l’âme algérienne. Il a essayé de convaincre les Algériens qu’ils étaient socialistes et collectivistes, puis arabes et panarabes. Les islamistes, ses opposants, ont voulu remplir ce vide identitaire par l’islam et ils ont échoué, car comme le FLN ils n’arrivent pas à définir l’Algérie. Alors tous, régime et opposition, braillent contre la France. Ils ne croient pas si bien faire dans un sens, car l’Algérie est aussi la fille de la France, une fille née d’un viol (la colonisation) et venue au monde lors d’un accouchement sanglant, une guerre de libération terrible, et une double guerre civile, entre musulmans et entre pieds-noirs et musulmans.

Devant un tel échec, il ne lui reste plus que la fuite en avant : insulte sur insulte, provocation sur provocation. Le régime, les islamistes et une partie du peuple sont prêts à tout pour détourner l’attention de leur impuissance.

Cette fuite en avant obsessionnelle concerne également le passé. Le régime algérien a peur que les victimes oubliées de la guerre de libération lui demandent réparation. Après tout, il est assis sur un tas d’or et n’aurait aucune difficulté à indemniser les juifs d’Algérie déracinés, les pieds-noirs spoliés, les harkis éradiqués, les entreprises françaises et étrangères qui ont tout perdu le jour de l’indépendance. Et qui dit réparation dit repentance, c’est-à-dire reconnaissance des erreurs commises. Impossible ! Le courage manque pour admettre que le FLN a tué plus de civils musulmans que de civils français, qu’il a éradiqué les autres mouvements armés sans pitié ni retenue (dont le MNA, éliminé physiquement en Algérie et en métropole), qu’il a fait enlever 3 000 Européens après l’accord de cessez-le-feu de mars 1962, qu’il a laissé faire sinon participé au bain de sang du 5 juillet 1962 à Oran (700 morts et disparus), qu’il a trahi les engagements pris à Évian, notamment envers les pieds-noirs qu’il devait protéger après le départ de la France. Et la liste des choses à cacher sous le tapis est longue malheureusement.

Plus Alger insulte Paris, moins l’on se souvient que l’armée des frontières, composée d’officiers et de soldats bloqués au Maroc et en Tunisie, a usurpé la victoire des combattants de l’intérieur. Une fois les frontières ouvertes, elle n’a fait qu’une bouchée des maquisards épuisés et largement affaiblis par huit ans de guerre contre la France. Comble de l’ironie, cette armée de l’extérieur était largement composée d’anciens de l’armée coloniale française qui ont déserté le jour où ils ont compris que de Gaulle allait abandonner l’Algérie. Plus tard, ils ont forgé l’Armée nationale populaire dans un moule qui rappelle étrangement l’armée française…

S’il ne s’agissait que d’un problème algéro-algérien, l’on pourrait s’en détourner, laissant aux principaux intéressés le soin de s’en occuper. Malheureusement, il s’agit aussi d’un sujet franco-français. En effet, les insultes des autorités algériennes et la repentance des élites parisiennes alimentent une sorte d’intoxication mémorielle qui fait beaucoup de mal aux Français, prisonniers d’un récit falsifié qui les démoralise.

Or, la colonisation n’a pas été une bonne affaire. Il n’y avait ni or, ni cuivre, ni coton. L’agriculture algérienne a été une déception. Le pétrole est arrivé trop tard, presque à la fin, et il n’était pas aux normes recherchées par les industries françaises. Personne ne s’est « goinfré » en Algérie, à part quelques adeptes du capitalisme de connivence. En réalité, le mode de vie des pieds-noirs était frugal dans l’ensemble et il aurait pu décrocher complètement sans le traitement favorable réservé par la métropole à sa colonie.

Alors, pourquoi la France est-elle restée en Algérie si c’était une mauvaise affaire ? Pour plusieurs raisons. Parmi elles, l’incapacité de l’État à évaluer les résultats de ses politiques, la crainte de perdre la face devant les autres puissances européennes et l’adhésion des pieds-noirs aux idées républicaines. Très vite, un pacte tacite a été conclu entre la IIIe République balbutiante et l’opinion publique pied-noir qui voulait étendre et approfondir la colonisation. Sous Napoléon III, c’est-à-dire jusqu’en 1871, la présence française était relativement limitée. Il était même question de dégager un espace pour un royaume arabe. Au-delà, la présence française est devenue massive. Et ce qui était un boulet s’est transformé en hémorragie.

Très bien relayés à Paris, les colons ont obtenu, dans les années 1870-1880, la spoliation des terres collectives des musulmans, repoussés vers les zones les moins favorables. Plus tard, ils ont réussi à geler une partie des rares crédits réservés par la métropole à l’alphabétisation des musulmans.

Si les Français ont envie de faire pénitence, qu’ils la fassent au moins pour les bonnes raisons. La gauche parisienne, en tandem avec le régime algérien, leur reproche la torture des années 1954-1962, mais la torture n’est pas le crime le plus grave commis par la colonisation. Celle-ci a commencé à saccager la société algérienne traditionnelle dès le premier jour en donnant des coups de pied dans les structures féodales et les confréries musulmanes qui la gouvernaient et lui donnaient sa sécurité mentale et psychique. Du début jusqu’à la fin, la France n’a eu de cesse de démanteler le Vieux Monde pour y installer le vide. Les anciennes élites légitimes aux yeux des Algériens ont été liquidées physiquement ou déclassées symboliquement. Personne n’a pris leur place. Dans les années 1950, des jeunes sans pedigree, mais extrêmement agressifs et déterminés, donneront le coup de grâce aux cheikhs et autres bachagas : le FLN. L’Algérie paye le prix à ce jour de cette grande déstabilisation, contrairement au Maroc et à la Tunisie qui ont eu la chance d’être conquis par des militaires français qui avaient le contre-exemple algérien en tête. Ces deux pays ont gardé leur colonne vertébrale. L’Algérie n’en a plus.

Le brouillard mémoriel empêche les Français de s’apercevoir qu’ils sont des pieds-noirs qui s’ignorent. À Crépol, il y a quelques mois, un commando surgi du maquis a distribué les coups de couteau et s’est évaporé dans l’obscurité de la nuit. Scénario maintes fois éprouvé dans la Mitidja et en Oranie où les villages européens étaient une cible facile des indépendantistes. Les pieds-noirs ont quitté les campagnes à cause de ce terrorisme. Aujourd’hui, plusieurs Français choisissent leur lieu de résidence en ayant à l’esprit le terrorisme du quotidien.

Nous sommes quittes en réalité. Les crimes de la colonisation ont été largement compensés par les horreurs infligées aux Européens entre 1954 et 1962. Et la France n’a eu de cesse de passer à la caisse depuis 1962. Elle accueille des millions d’Algériens, autant de bouches en moins à nourrir au sud de la Méditerranée. Elle forme gratuitement des jeunes Algériens dans ses écoles et universités, elle leur concède la citoyenneté. Elle admet même que Marseille devienne une autre Algérie. Ajoutez à cela la délinquance d’origine étrangère (algérienne, marocaine, tunisienne, etc.) et vous avez une idée de la réparation immense que la France réalise chaque jour…

Pour toutes ces raisons, il est impossible que les Français apprennent la vérité. Ils se rebifferaient sinon. L’alliance objective entre l’establishment parisien (de gauche par vocation et habitude) et l’establishment algérien veille au maintien du statu quo.

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Vitraux de Notre-Dame: et si Emmanuel Macron était touché par la grâce?

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La reconstruction de Notre-Dame de Paris, et les modalités de sa réouverture avec le président de la République, font l’objet d’interminables polémiques nationales. Mais, la religion catholique, et toutes ces polémiques, c’est ça aussi notre France !


Emmanuel Macron parlera sur le parvis de Notre-Dame le 7 décembre. Je dis bien devant Notre-Dame, pas dedans. Notre-Père qui n’est pas aux cieux mais à l’Élysée descendra en effet de son Olympe le 7 décembre et prononcera son homélie sur le parvis. Il parait qu’il se serait bien vu le faire à l’intérieur, juste avant la messe. Mais son entourage a dû le convaincre que cette confusion des genres serait du plus mauvais goût, et que tout ce qu’il dirait serait alors emporté par une polémique.

Donc, ce sera César le 7 décembre, et Dieu le 8, avec la première messe dans la cathédrale depuis le drame d’avril 2019.

Mais malgré tout, cette visite fait quand même brailler quelques laïcards. Le parvis n’est pas une église, ne leur en déplaise ! Il appartient au peuple de Paris et de France, cela n’a donc rien de choquant. Et je dirais d’ailleurs la même chose si c’était la mosquée de Paris, autre élément de notre patrimoine et de notre histoire.

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Le 7, Emmanuel Macron sera en quelque sorte le maître d’œuvre ; l’État remettra alors les clefs du chantier au client, l’Église. À l’Élysée, on annonce un grand discours sur le thème du « pari tenu ». Mais, connaissant Emmanuel Macron, on peut aussi espérer quelques envolées sur la France millénaire.

Cependant, quand il veut quelque chose, notre président renonce rarement. Il s’est donc aussi concocté une visite de chantier dès le 29 novembre. Il l’aura donc bien, son grand moment dans la nef de Notre-Dame. En petit comité, bien sûr : juste les 2000 compagnons qui ont travaillé sur le chantier, les donateurs (c’est-à-dire tout le gratin des affaires), quelques invités… et les caméras de télévision. Une cérémonie intime !

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Qu’Emmanuel Macron veuille profiter de la réouverture de Notre-Dame pour renouer avec les Français, que ces derniers lui soient un peu reconnaissants pour avoir tenu les délais, c’est légitime. Il l’avait promis, il l’a fait. Cinq ans après, Notre-Dame de Paris renaît de ses cendres et on le doit largement à sa volonté. Par ailleurs, le président de la République n’a pas tant d’autres grands succès éclatants ou réalisations à montrer… En plus, il nous a épargné le « geste architectural » dont il nous menaçait. La flèche de Viollet-le-Duc a été restaurée à l’identique.

On dit de moi que je suis intransigeante sur la laïcité. Et on s’étonne que cela ne me choque pas que le président Macron assiste à la messe du 8 décembre. Intransigeante ne signifie pas extrémiste ou obtuse. La séparation entre l’Église et l’État signifie que l’État n’obéit pas aux lois de dieu et ne se mêle pas des affaires des églises, sauf pour vérifier qu’elles respectent bien sa loi. Cela ne signifie pas qu’ils ne se parlent jamais. Ni que nos élus n’ont pas le droit d’aller à la messe. Le général De Gaulle y allait, par exemple, même si en public, il ne communiait pas.

A lire aussi, éditorial: Rendez la Monnaie!

Enfin, en France, le catholicisme n’est pas une religion parmi d’autres. C’est notre ADN, notre terreau culturel, notre inconscient anthropologique. Notre-Dame, c’est notre inscription dans l’Histoire, c’est la France éternelle. Ses cloches ont sonné les grandes heures de la nation, de la fin de la guerre de cent ans à la Libération de Paris. Quand Emmanuel Macron ne sera plus qu’un chapitre dans les livres d’histoire (et la plupart d’entre nous, même pas une note de bas de page…), Notre-Dame sera toujours là.

Reste à espérer que le président Macron soit touché par la grâce et l’esprit saint, et qu’il renonce à son funeste projet de remplacer les vitraux de Viollet-le-Duc, pourtant restés intacts après l’incendie, par les œuvres d’artistes à la mode comme Buren ou d’autres. Parfois, la plus belle trace qu’on puisse laisser dans l’histoire, c’est d’avoir l’humilité de ne rien changer.


Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Sud Radio

Une réac nommée Fourest

Caroline Fourest continue à approuver MeToo mais pointe, dans son nouveau livre, la dérive fanatique de certains de ses zélateurs. Une nuance inadmissible pour les défenseurs de la cause : les néoféministes et la presse comme-il-faut lui tombent dessus. Alerte : Caroline a viré à droite.


Pour la promotion de son livre Le Vertige MeToo, la journaliste et militante féministe Caroline Fourest prend soin de préciser qu’elle ne souhaite pas être récupérée par les anti-MeToo. Elle souhaite rester dans le camp du bien. Elle ne dénonce pas ce mouvement de « libération de la parole », elle pointe les dérives de certains fanatiques.

Social-traître

Raté chère Caroline ! Bienvenue dans le camp du mal. Quiconque émet la moindre nuance sur les méthodes du mouvement est un ennemi du Parti. La guerre des féministes est déclarée ! Et le féminisme « modéré », « raisonnable », celui de Fourest, ne fait pas le poids face au féminisme fasciste du camp woke. Libé, Les Inrocks, Mediapart, L’Obs, Télérama, Arrêt sur image ou encore L’Humanité, tombent à bras raccourcis sur la social-traître. Dans Les Inrocks, on qualifie le livre de Fourest de « brûlot réactionnaire ». Libé déplore son « virage à droite » et l’accuse de « minimiser les violences ». Le journal qui naguère publiait les annonces sexuellement déjantées de la rubrique « Chéri(e)s » lui reproche également de penser que toutes les violences sexuelles n’ont pas la même gravité, donc de nier le « continuum à l’œuvre, c’est-à-dire le lien entre le harcèlement, l’agression sexuelle et le viol qui, ensemble, constituent un système ». Fourest refuse de mettre dans le même panier Monsieur Pélicot et Nicolas Bedos, Émile Louis et Édouard Baer, Harvey Weinstein et Ibrahim Maalouf. En fait, elle n’a tout simplement pas l’air de haïr les hommes. Elle semble même avoir un peu de pitié pour ceux qui sont brûlés en place publique pour une simple accusation sans preuve. Caroline a un petit cœur, et ça, la révolution ne le lui pardonnera pas. On se croirait dans le roman Uranus de Marcel Aymé, dans ce village de Blémont, juste après la guerre, en pleine épuration. Aymé y raconte le climat de terreur, les accusations mensongères, le mal fait au nom du bien. Il raconte également la guerre entre communistes sincères, honnêtes, et communistes zélés, tartuffes utilisant la casquette du Parti pour leurs propres intérêts, pour nuire, pour une petite place et un peu (beaucoup) de pouvoir. La même ambiance délétère transparaît dans certaines déclarations de Fourest : « Comment protéger MeToo de ces opportunistes, de ceux qui l’instrumentalisent, de ceux qui le mettent à toutes les sauces pour régler des comptes, dégager, prendre des postes ? » Eh oui ! La révolution lui échappe, le monstre se retourne contre elle. Je ne m’en réjouis pas. Quoique… je me sens moins seul ! Le traitement qu’elle subit sur certains plateaux me rappelle celui auquel j’ai eu droit lorsque je défendais la tribune de soutien à Gérard Depardieu. Sur le service public, on la reçoit en se bouchant le nez. Dans l’émission « En société », sur France 5, la présentatrice Émilie Tran Nguyen cuisine Fourest : « Donc il faut douter de la parole des femmes ? » Etl’avocate Anne Bouillon de renchérir « Une parole, a priori, ce n’est pas parce qu’elle vient d’une femme qu’elle ne doit pas être crue. Et c’est un peu le message que vous véhiculez. » Caroline est accusée d’accuser toutes les femmes d’être des menteuses ! Comme avec moi et tant d’autres, on lui reproche des propos qu’elle n’a jamais tenus. Nous parlons pourtant clairement. Mais ce que nous disons – et nous ne disons pas la même chose – est aujourd’hui inaudible. On ne veut pas l’entendre, on le déforme, on l’exagère, on le défigure. Je ne serais pas surpris que Caroline Fourest se prenne à son tour son petit MeToo. Non que j’aie eu vent d’un quelconque comportement déplacé de sa part, mais parce que dans la MeToo Family, l’accusation d’agression sexuelle est devenue un instrument de vengeance, de punition.

La meute a changé de camp

Cela fait longtemps que nous autres, anti-MeToo officiels et assumés, disons que les hommes ont peur. On nous a traités de délirants. Fourest, aujourd’hui, ne dit pas autre chose lorsqu’elle parle de « comédiennes qui passent du statut de victime au statut de procureur », qu’elle affirme : « la honte a changé de camp et je m’en réjouis, mais en même temps la meute a changé de camp », ou encore « nous sommes passés d’une société de l’honneur imposant le bâillon à celle de la pureté maniant le bûcher et la délation ». Je le répète ici, les hommes, surtout médiatiques, riches ou puissants, ont peur de se voir accusés publiquement d’agression sexuelle quand bien même ils n’ont rien fait de répréhensible. Qui pourrait envier leur place ? Oui, nous vivons une période trouble. « Des gens qui s’improvisent féministes depuis quinze secondes, depuis que la peur a changé de camp. (…) On a des convertis un peu zélés qui étaient déjà, juste avant, du côté du pouvoir et de l’abus de pouvoir et qui ont juste changé de casquette. » Sur les plateaux de télé pullulent ces résistants de la dernière heure venant gratter leur petite part de pouvoir et leur droit afférent à punir, détruire, humilier. N’oublions pas le propos d’Emmanuelle Devos pour défendre MeToo : « Bien sûr qu’il y a des têtes qui vont tomber qui n’auraient pas dû tomber, mais ça, ce sont les révolutions. C’est comme ça. » Pour des révolutionnaires, un innocent en prison ou banni de la société, ça n’est pas grand-chose.

Blasphématrice!

Fourest se voit vomie, piétinée, calomniée, éjectée du camp féministe. Le féminisme, ce n’est plus elle, c’est Judith Godrèche. Sainte Judith répond à Caroline la blasphématrice, qui ose critiquer ses méthodes : « Aujourd’hui en France, les conservateurs et conservatrices de tous poils osent moins s’opposer frontalement à MeToo. Mais leur tactique c’est de revendiquer un juste milieu, contre les excès de MeToo. (…) Et bien sûr, quand on veut discréditer une victime sans s’en prendre ouvertement à elle, pour ne pas avoir l’air antiféministe, on l’accuse d’être une marionnette. C’est ce qu’on dit de moi. C’est ce qu’elle dit de moi. Mais n’est-ce pas là le sexisme le plus cru ? » Caro a décroché le cocotier ! Décorée du titre de « sexiste » par Sa Majesté Godrèche en personne ! Fourest semble secouée. Bien qu’ayant déjà affronté les catholiques intégristes, les homophobes et les islamistes, c’est, dit-elle, le livre le plus difficile qu’elle ait eu à écrire. Eh bien, qu’elle soit remerciée, car ce livre est un cadeau inestimable pour tous les dissidents de MeToo, une arme qu’ils utiliseront en hurlant – avec force et joie ! – « Et c’est une féministe qui l’écrit ! »

Le Vertige MeToo: Trouver l'équilibre après la nouvelle révolution sexuelle

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«Chaque euro versé à l’UNRWA est un euro contre la paix»

Israël a interdit à l’UNRWA d’exercer ses activités sur son territoire. L’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, notoirement corrompue par le Hamas, œuvre depuis sa création à délégitimer l’État hébreu, quand elle n’aide pas à le combattre. Le directeur d’UN Watch témoigne.


Basée à Genève, UN Watch est une ONG d’un genre particulier. Fondée en 1993 par un ancien président de l’American Jewish Committee (l’avocat Morris Abram), elle surveille en permanence l’action de l’ONU et apprécie la façon dont elle respecte sa propre Charte. Autant dire que le travail ne manque pas ! Les experts d’UN Watch épinglent régulièrement l’une des principales branches de l’ONU, le Conseil des droits de l’homme, par exemple quand il déroge à ses propres critères d’admission en acceptant des pays comme la Chine, Cuba ou le Venezuela, qui sont évidemment loin de respecter les principes fondateurs de « contribution à la promotion et à la protection des droits de l’homme ». Également dans le collimateur de l’ONG : le traitement pour le moins inéquitable d’Israël. Nous avons interrogé le directeur d’UN Watch, l’avocat canadien Hillel Neuer.


Causeur. Dans les publications d’UN Watch, l’ONU est présentée comme une organisation subissant de plein fouet l’emprise toxique de ses États membres les plus despotiques. N’exagérez-vous pas un peu ?

Hillel Neuer. DR.

Hillel Neuer. 60 % des États membres du Conseil des droits de l’homme sont des régimes autoritaires. Cette position de force leur assure un large pouvoir de nomination dans les instances onusiennes, où l’on retrouve des cadres et des experts qui, quoique souvent occidentaux, partagent leur aversion pour la démocratie et les valeurs libérales. Un cas typique est celui de Jean Ziegler, ce sociologue suisse, altermondialiste et anticapitaliste, qui est depuis 2009 vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme, notamment grâce au parrainage de Cuba. Les institutions de l’ONU ont fini par tomber sous la coupe d’une alliance funeste entre dictateurs et militants ayant en partage la haine de l’Occident.

Pourquoi cette alliance s’acharne-t-elle contre Israël en particulier ?

Parmi les 193 États membres de l’ONU, 56 sont des régimes islamiques et n’ont de cesse de porter devant l’Assemblée générale des résolutions qui condamnent Israël.

Mais ils ne représentent qu’un quart des votes. Ce n’est pas assez pour obtenir la majorité en Assemblée générale…

Le problème, c’est qu’il règne, à l’ONU, la culture du « vote trading » [« commerce du vote », NDLR]. Voici schématiquement comment cela se passe : si vous êtes un État membre et que vous voulez obtenir l’appui des 56 pays islamiques lors d’une délibération qui vous tient à cœur, il vous suffit, en échange, de les soutenir dans l’une des causes qui leur tiennent le plus à cœur, la lutte contre l’ennemi sioniste. À quoi s’ajoutent les moyens de pression économiques dont dispose le monde arabe. De nombreux pays savent qu’ils se procureront plus facilement du gaz et du pétrole auprès des monarchies du Golfe s’ils prennent position contre Israël. Ou qu’ils bénéficieront davantage de la manne d’un fonds souverain comme celui du Qatar. Autre source de motivation : la peur des attentats islamistes. Cette attitude de soumission est très répandue dans les chancelleries, à quelques exceptions près comme celles de la République tchèque, d’Argentine ou des États-Unis. Enfin, certaines positions anti-israéliennes soutenues à l’ONU s’expliquent par une dimension proprement irrationnelle, je veux parler du vieux fonds d’antisémitisme occidental qui remonte bien souvent à la surface.

Parmi les experts occidentaux que vous évoquez, il y en a une particulièrement virulente à l’égard d’Israël. C’est la juriste italienne Francesca Albanese, qui a été nommée en 2022 « Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 ». Quelle est sa motivation ?

La motivation de tous ces rapporteurs spéciaux est surtout idéologique, car les postes qu’ils occupent ne sont pas rémunérés par l’ONU. Albanese partage sa haine d’Israël avec son époux, l’économiste Massimiliano Calì, ex-conseiller au ministère de l’Économie nationale de l’Autorité palestinienne. Tous les deux adhèrent à l’idéologie anti-occidentale, anti-américaine et anti-israélienne, et manient tous les tropes antisémites classiques, qui consistent à comparer les Israéliens aux nazis et à décrire les juifs comme responsables de leurs propres malheurs – ce qu’on appelle l’« Holocaust inversion ». Dans ses publications sur les réseaux sociaux, Albanese affirme que les États-Unis ou la BBC sont les jouets du « lobby juif ». Elle est également intervenue dans un colloque organisé par le Hamas en novembre 2022. Elle y a déclaré : « Vous avez le droit de résister. » Pire encore, en février dernier, quand Emmanuel Macron a qualifié le 7-Octobre de « plus grand massacre antisémite de notre siècle », elle a objecté sur X (ex-Twitter) : « Les victimes du 7/10 n’ont pas été tuées à cause de leur judaïsme, mais en réaction à l’oppression d’Israël. » D’ailleurs, elle est le seul rapporteur de l’ONU à avoir été condamnée par des Etats-membres – une fois par l’Allemagne et deux fois par la France.

En tout cas, alors qu’il y a plus de 70 experts inconnus nommés par l’ONU, Albanese jouit d’une grande notoriété…

Une chose est sûre : cette notoriété n’est pas le fruit de la compétence. Albanese n’est pas une interlocutrice fiable. Elle ne respecte pas l’obligation, induite par sa fonction, de vérifier les informations qu’elle relaie. Prenez le bombardement de l’hôpital Al-Ahli Arabi à Gaza, le 17 octobre 2023 : elle n’a pas hésité à affirmer que l’auteur était l’armée israélienne alors qu’il s’agissait en réalité du Jihad islamique palestinien. Si Albanese est célèbre, c’est grâce aux tribunes que lui offrent les médias et les campus occidentaux. Elle est régulièrement publiée dans The Guardian et interrogée par France 24. Fin octobre, elle a commencé une tournée aux États-Unis. Au programme : discours au siège de l’ONU devant le Comité des droits de l’homme, puis interventions dans de prestigieuses universités du pays comme Georgetown ou Princeton. UN Watch appelle Washington à l’interdire de séjour sur le sol américain. Le 23 octobre, nous lui avons consacré un rapport de 60 pages, au titre éloquent : « A wolf in sheep’s clothing » [« Un loup déguisé en agneau », NDLR].

Pourquoi UN Watch critique-t-il l’UNRWA, l’agence des Nations unies chargée des réfugiés palestiniens ? N’accomplit-elle pas une mission essentielle et salutaire ?

L’UNRWA a été créée en 1949 pour aider les Palestiniens déplacés par la guerre de 1948 à se réinstaller dans de nouveaux lieux d’existence où ils pourraient jouir de tous leurs droits. Mais très vite, elle s’est mise au service d’une version pathologique de leur cause. Aujourd’hui encore, des vidéos montrent des écoliers gazaouis, inscrits dans les établissements gérés par l’UNRWA, qui affirment que leur vraie maison n’est pas à Gaza, mais à Haïfa ou à Tel-Aviv. Il faut dire que l’UNRWA conforte leurs parents dans cette idée et que depuis soixante-quinze ans, elle piétine sa mission d’aide à la réinstallation, contrairement au HCR, l’agence des Nations unies qui s’occupe de toutes les autres personnes déplacées dans le monde, et qui réinstalle avec succès les réfugiés syriens, soudanais ou ukrainiens au Canada, en France ou ailleurs, où ils deviennent des citoyens à part entière. L’UNWRA est donc l’ennemie de la solution à deux États, l’ennemie de la paix. Sa collusion avec le Hamas est évidente. Par exemple, il y a peu, encore, le chef du Hamas au Liban, Fathi al-Sharif, n’était autre que le président du syndicat local des professeurs d’école de l’UNRWA. Quand il est mort, tué par une frappe aérienne israélienne le 29 septembre, le Hamas l’a reconnu. De la même façon, l’UNRWA nie avoir été au courant de l’existence d’un tunnel creusé par le Hamas sous son propre siège à Gaza, alors que le parking s’enfonçait notoirement dans le sol…

Comment les dirigeants de l’UNRWA ont-ils pu ignorer ou cacher ces faits ?

Par une forme de complicité dont ils bénéficient en haut lieu. L’UNRWA a invité cette année l’ancienne ministre des Affaires étrangères française, Catherine Colonna, à faire un audit de sa neutralité. Or cette évaluation supposément indépendante a été conduite par des membres de trois instituts scandinaves (l’Institut Raoul Wallenberg en Suède, l’Institut Chr. Michelsen en Norvège et l’Institut danois des droits humains) dont le personnel a pris par le passé des positions anti-Israël et pro-UNRWA connues de tous. De notre côté, nous avons bien essayé d’éclairer Mme Colonna en lui envoyant un document de 25 pages, mais il est resté lettre morte. Son rapport final a été remis à l’ONU le 22 avril et, en dépit de certaines critiques, sa tonalité générale est de déclarer l’UNRWA « irremplaçable et indispensable ». L’objectif de cet audit est de faire changer d’avis les pays occidentaux qui ont suspendu depuis quelques années leur financement de l’UNWRA. Nous alertons régulièrement les ministères des Affaires étrangères de pays comme la France ou le Royaume-Uni quant aux véritables activités de l’UNRWA, mais ils nous ignorent, ce qui pour moi est très significatif.

L’ONU est présente au Liban à travers les troupes de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL). Cette dernière remplit-elle convenablement sa mission ?

De même que le Hamas a corrompu l’UNRWA, le Hezbollah a au moins partiellement corrompu la FINUL. En vertu de la résolution 1701 de l’ONU de 2006, la FINUL devait assurer le désarmement du Hezbollah. Or, non seulement celui-ci n’a pas été désarmé, mais au début du conflit actuel, il disposait de plus d’armes – de missiles notamment – que jamais. Nous avons recueilli le témoignage d’un militaire danois qui affirme que tous les déplacements de la FINUL sont contrôlés et encadrés par le Hezbollah, et que toute plainte à propos des armes du Hezbollah est ignorée par la FINUL.

Quelles sont les solutions selon vous ?

Il faut des changements radicaux. Premièrement, Francesca Albanese devrait être démise de son statut à l’ONU et poursuivie en justice pour antisémitisme et incitation à la haine raciale. Deuxièmement, l’UNRWA, dont le véritable but est de démanteler l’État d’Israël, devrait être dissoute. Chaque euro qui lui est versé est un euro contre la paix. Les activités humanitaires en faveur des Palestiniens peuvent tout à fait être gérées par d’autres agences de l’ONU. Les Gazaouis ne doivent plus être traités comme des réfugiés, mais comme les citoyens des pays où ils vivent. Enfin, troisièmement, il est difficile de voir comment on pourrait sauver la mission de la FINUL. Cette dernière n’inspire plus aucune confiance aux autorités de l’État hébreu, qui ne peuvent pas autoriser les 80 000 réfugiés israéliens du nord du pays à retourner vivre chez eux tant qu’ils seront menacés par le Hezbollah.

Transition d’un genre écolo

En Belgique, les récents propos tenus par le professeur Pierre Stassart sur l’anthropocène, ce fameux désordre planétaire inédit, font réagir. Il les a depuis corrigés. Mais, nous aurions tort de nous moquer de cette polémique en tant que Français.


L’université de Liège vient d’instaurer un nouveau cours portant sur « les questions de durabilité et de transition ». Cet enseignement, obligatoire et interdisciplinaire, comporte des conférences sur « les limites planétaires », des « activités locales en faveur de la durabilité » et des exposés sur « l’éco-anxiété et les changements climatiques ». Un cours a déjà fortement impressionné les étudiants, celui du professeur Pierre Stassart. Ce sociologue de l’environnement affirme ne plus vouloir « masquer les profondes inégalités quant aux responsabilités intrinsèques face aux perturbations environnementales à l’échelle planétaire ». Selon lui, tout est la faute de « l’homme blanc, chrétien et hétérosexuel ».

Alertée par des étudiants, la députée Stéphanie Cortisse a dénoncé la dérive wokiste de l’université de Liège et réclamé des comptes à sa rectrice, Anne-Sophie Nyssen, qui a botté en touche au nom de la liberté académique. De son côté, M. Stassart a assuré que ce qu’il professe est « factuellement validé par la communauté scientifique ». La révolution industrielle serait donc à l’origine d’une nouvelle ère géologique (ou Anthropocène) et aurait été « menée par des hommes blancs mais aussi chrétiens parce que c’est au nom de la religion que l’Europe a colonisé d’autres parties du monde en lui imposant son système capitaliste ».

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À la sottise écolo-woke, le sociologue ajoute l’ignorance historique. Reste l’évocation étrange de l’hétérosexualité. « C’était le modèle de base de l’époque », explique sans rire M. Stassart qui ajoute que, devant les « réactions d’incompréhension », il remplacera dans ses prochains cours le terme « hétérosexuel » par… « patriarcal ».

Cette nouvelle histoire belge aurait pu nous amuser si la folie écolo nous avait épargnés. Après Sciences-Po, l’université Sorbonne Paris Nord imposera prochainement à tous ses étudiants une formation sur la « transition écologique pour un développement soutenable ». Au programme : ateliers « citoyens » sur le climat et séances de réflexion sur « l’accueil des émotions, dont l’éco-anxiété » et sur « la manière de mobiliser sa capacité d’action » – une formation de zadiste, en somme.

Hadrien Clouet: autopsie d’une insanité

Le député d’extrême gauche de Haute-Garonne a qualifié le ministre de l’Intérieur et certains journalistes de « petites frappes fascistes ». Son message visait à soutenir Marie Mesmeur, sa consœur d’Ille-et-Vilaine qui avait elle-même minimisé les incidents survenus aux Pays-Bas lors du match de football entre l’Ajax d’Amsterdam et le Maccabi Tel-Aviv. Au-delà du caractère outrancier de la saillie, la déclaration étonne surtout par sa paresse intellectuelle ou politique. M. Retailleau ayant signalé le tweet à la justice, il pourrait avoir à en répondre devant un tribunal. Analyse.


Il me prend assez souvent l’envie d’analyser, de disséquer des inepties politiques et médiatiques. Selon moi, évidemment, et mes convictions. Et ma conception du langage. Parce que cette habitude me permet de me replonger, toutes proportions gardées, dans l’exercice du commentaire de texte, que je prisais particulièrement durant mes études de lettres supérieures. C’est le député LFI Hadrien Clouet qui s’est fait remarquer par ce tweet inepte : « Le ministre de l’Intérieur et ses journalistes de préfecture sont de petites frappes fascistes ». Bruno Retailleau qui ne laisse plus rien passer dès lors qu’une qualification pénale est possible, a évidemment signalé ce tweet à la justice.

Saillie infecte

Pour qui le lit et est de bonne foi, pourvu en même temps d’une culture historique élémentaire, le premier sentiment qu’il inspire est l’indignation même s’il faut économiser cette dernière en ces temps où on n’a que trop d’opportunités pour l’éprouver.

Mais il faut aller au-delà et se demander comment une telle absurdité a pu germer dans la tête d’un député dont les citoyens qui l’ont honoré par son élection attendaient sans doute autre chose que cette saillie infecte.

Je devine le genre d’argumentation qui pourrait être développé par ses soutiens et par lui-même. On est dans un combat politique et celui-ci justifie tout… Bien sûr que non. L’esprit partisan devient une honte quand il va jusqu’à de telles extrémités. On a le droit de ne pas aimer l’action de Bruno Retailleau mais le devoir d’exprimer autrement son opposition. On est sur un réseau social où insultes et grossièretés remplacent réflexion et courtoisie. Ce n’est pas une raison pour participer à ce délitement et, comme député, ne pas donner l’exemple.

Les outrances de LFI sont quotidiennes

Le groupe LFI s’est fait une spécialité de ces violences par tous moyens. Ce qui compte est de faire parler de soi. Mais je ne crois pas qu’on puisse excuser les insanités de quelques-uns parce que tous les profèrent – ou seraient capables de le faire. Ce n’est pas exact et pour ma part je refuserai toujours de mêler tous les députés LFI dans le même opprobre. Hadrien Clouet, tweetant ainsi, imite les pires de ses collègues. Mais il en est d’autres dont le comportement plus retenu, au moins dans la forme, aurait dû l’inspirer.

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Ces justifications périphériques écartées, cherchons en et chez Hadrien Clouet lui-même les motifs allégués de ce tweet bête et odieux.

Questionné par Jean-Jacques Bourdin sur Sud Radio, il a affirmé que Bruno Retailleau, en ayant dénoncé « les Français de papier », nous avait renvoyé aux années 30 en même temps que son mépris de l’État de droit, selon lui, était scandaleux. Lamentables arguties qui n’atténuent en rien la portée de son tweet infâme! Je ne peux pas croire que, dans son for intérieur, il n’ait pas perçu la sottise de « ses journalistes » et le délire à la fois historique et gravement offensant de « petites frappes fascistes ». S’il n’en était pas conscient, ce serait inquiétant. À partir de quel élément ce député a-t-il osé qualifier de « petites frappes » Bruno Retailleau et ces journalistes ? « Petites frappes » signifiant « délinquant ordinaire, occasionnel (…) jeune voyou, pas trop dangereux », il n’y a rigoureusement aucun lien entre cette disqualification et les personnes ciblées. Convient-il d’admettre que ce député se laisse dériver et que sa jouissance serait d’insulter de la manière la plus aberrante qui soit ? On peut le craindre quand pour faire bonne mesure, il ajoute « fascistes » à petites frappes !

Un propos paresseux

Avec cet adjectif tout est dit, il se substitue paresseusement à une contradiction républicaine : le ministre et les journalistes sont à la fois des délinquants et des partisans du fascisme. L’injure suprême est lancée et Hadrien Clouet n’a plus qu’à constater le résultat de sa totale inculture historique : il a fait le « buzz » et, plus gravement, employé un terme qui à force d’être galvaudé, atténue l’horreur du passé et n’éclaire pas le présent.

Je répugne à m’abandonner à une explication ultime qui s’accorderait avec mon pessimisme sur la nature humaine : Hadrien Clouet ne serait-il pas, en l’occurrence, tout simplement « mauvais », par cette dilection qui nous pousse parfois à franchir voluptueusement les limites de son propre humanisme ?

Ce tweet, en tout cas, est une honte à plus d’un titre. Si j’ai pris la peine de lui consacrer un billet, c’est pour prévenir cette attitude qui consiste à se flatter des insanités qu’on prononce et, dans leur dénonciation, à les noyer dans une sorte de vague réprobation au lieu de s’attacher aux détails de leur ignominie. J’espère que la Justice fera de ce tweet à la fois bête et abject une analyse pertinente.

Procès des assistants parlementaires du FN: un réquisitoire très politique

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Marine Le Pen à Paris, hier © CYRIL PECQUENARD/SIPA

Dans l’affaire des assistants parlementaires du FN, le parquet a requis hier cinq ans de prison, dont deux ferme, ainsi que cinq ans d’inéligibilité contre Marine Le Pen, et demandé que la peine soit exécutée immédiatement, même si l’intéressée faisait appel. Une position pour le moins politique, aussi bien dans ses causes que dans ses conséquences.


Hier au tribunal judiciaire de Paris, comme souvent depuis le début du procès, Marine Le Pen est arrivée la première à l’audience. Puis des élus du Rassemblement national sont venus en nombre la rejoindre sur place, afin de lui témoigner leur soutien. Parmi eux, Laure Lavalette, Thomas Ménagé, Jean-Philippe Tanguy, Alexandre Loubet et Franck Allisio se sont assis aux côtés de Julien Odoul, Louis Aliot et d’autres prévenus.

Les procureurs, Louise Neyton et Nicolas Barret se sont relayés toute la journée pour prononcer leur réquisitoire. D’emblée, Louise Neyton a dénoncé « l’ampleur, la durée et le caractère organisé, systémique et systématique de l’organisation ». Selon elle, « ces faits et ce comportement ont porté une atteinte grave et durable au jeu démocratique européen mais aussi français. »

Nicolas Barret a quant à lui émis des doutes quant à la réalité même du travail effectué par les assistants parlementaires poursuivis. D’après lui, le parquet ne peut pas se satisfaire « d’une présomption de confiance, de bonne foi, d’honnêteté (…) S’ils n’arrivent pas à produire ces justificatifs, c’est qu’ils n’existent pas », a-t-il lancé.

Certains prévenus ont pourtant présenté des éléments à la justice. En particulier Bruno Gollnisch, qui était eurodéputé au moment des faits, et qui a apporté au tribunal des boîtes d’archives remplies de documents rédigés en leur temps dans le cadre de ses échanges avec ses deux assistants parlementaires mis en cause. À la barre, l’ancien vice-président du FN avait même invité les juges à venir visiter sa grange, où il a amassé le fruit de décennies d’activités politiques. Comme quoi, certains peuvent garder des traces… Mais dans ce cas, et malgré la présentation d’éléments factuels (DVD, journaux et blog), les enquêteurs n’ont pas estimé ces pièces « assez probantes ».

Bruno Gollnisch arrive au tribunal, Paris, 30 septembre 2024 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

On notera que, si les prévenus ont eu des difficultés, après tant d’années (les faits visés remontent à la période 2012-2017), à retrouver des documents attestant de leur travail, l’accusation n’a pas davantage présenté a contrario la preuve qu’ils travaillaient en réalité pour le parti (et pas pour le parlement) à la même époque.

Autre point majeur de l’accusation: pour les Dupond et Dupont du parquet, il n’y a pas de liberté totale quant aux tâches exercées par un assistant parlementaire. « La liberté absolue du député, c’est la liberté de parole, de pensée, et d’expression, absolument pas celle d’utiliser les fonds publics», a indiqué Nicolas Barret avant de préciser que « l’assistant parlementaire est au service d’une assistance directement liée au mandat (…) Il faut un lien direct entre l’activité et le mandat. La liberté n’est pas totale. » On se souvient que, durant le procès, l’ancienne eurodéputée Marie-Christine Arnautu avait cinglé le procureur qui estimait qu’en tant que « producteur de normes », elle se devait de connaître cette règle. Marie-Christine Arnautu avait répliqué : « La norme, je la combats ! On ne peut pas avoir la même norme de la Scandinavie à la Méditerranée ! »

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Après le passage en revue de tous les prévenus, Louise Neyton a attaqué frontalement Marine Le Pen, qui, au premier rang, est restée stoïque : « Ce système va se renforcer et prendre une nouvelle dimension avec l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti », a-t-elle affirmé. Dans sa fougue accusatoire, la magistrate du ministère public a même lâché, au sujet du prévenu Jean-François Jalkh : « Je n’ai aucun élément, mais je ne vous demande pas la relaxe car ça me ferait trop mal. » Sur le banc des prévenus, Marine Le Pen a aussitôt réagi: « Ah, ah, l’aveu ! » Par ces quelques mots prononcés dans un prétoire, Louise Neyton a sans aucun doute affiché une orientation politique et fait fi des obligations déontologiques des magistrats sur l’impartialité qui stipulent que « les magistrats du siège ne peuvent, ni dans leur propos ni dans leur comportement, manifester publiquement une conviction jusqu’au prononcé de la décision. »

La procureure de la République a ensuite pointé la responsabilité de Marine Le Pen en évoquant la fameuse réunion de juin 2014 au cours de laquelle celle-ci aurait signifié aux eurodéputés nouvellement élus la ventilation des assistants. « C’est dans ce cadre que Marine Le Pen annoncera aux députés qu’ils peuvent choisir un assistant effectif mais que les autres seront choisis par le parti et pour travailler à son bénéfice », récapitule-t-elle.

Marine Le Pen avait pourtant démontré lors des audiences que seuls quatre salariés, dont un à mi-temps, étaient devenus des assistants parlementaires. Seulement, le parquet a préféré se fier aux « déclarations concordantes de Schaffhauser, Montel, Chauprade ». Pour rappel, Aymeric Chauprade a chargé le FN et Marine Le Pen lors de ses premières auditions. Mais il est ensuite revenu sur ses déclarations dans un communiqué de presse publié sur Twitter.

Alors que la nuit tombait sur le tribunal correctionnel, le parquet en est venu aux peines requises. Outre des amendes, il a demandé des peines d’inéligibilité pour tous les prévenus allant d’un à cinq ans. Ces peines sont assorties d’une exécution provisoire, c’est-à-dire applicables malgré les appels.

Face au risque d’une peine d’inéligibilité qui impacterait tant sa réélection à l’Assemblée nationale que sa candidature à l’élection présidentielle de 2027, Marine Le Pen a déclaré plus tard dans la soirée : « Ils pourront se débarrasser de moi, mais ils ne pourront pas se débarrasser de Jordan. »

Dans ses réquisitions, Louise Neyton a clairement suggéré sa volonté d’assécher les finances du parti. En effet, la peine qu’elle a demandée à l’encontre du Rassemblement national correspond exactement à l’excédent des comptes 2023 du premier parti de France : 4,3 millions d’euros.

Marine Le Pen risque quant à elle, en plus des cinq ans d’inéligibilité requis, 300 000 euros d’amendes et cinq ans d’emprisonnement dont trois ans avec sursis. Le choix du parquet de demander des peines d’inéligibilité exécutoire témoigne d’une volonté politique d’abattre la candidate nationaliste qui est donnée en tête de toutes les enquêtes d’opinions.

Gérald Darmanin lui-même a tweeté sur le réseau social X qu’«il serait profondément choquant que Marine Le Pen soit jugée inéligible et, ainsi, ne puisse pas se présenter devant le suffrage des Français. Combattre Madame Le Pen se fait dans les urnes, pas ailleurs. Si le tribunal juge qu’elle doit être condamnée, elle ne peut l’être électoralement, sans l’expression du Peuple. N’ayons pas peur de la démocratie et évitons de creuser, encore plus, la différence entre les “élites” et l’immense majorité de nos concitoyens.»

Face au risque démocratique, l’électorat de Marine Le Pen se mobilise. Le hashtag #JeSoutiensMarine est partagé sur le Web tant par les élus nationaux que par les électeurs et sympathisants. Au vu de toutes ces réactions, si le but du parquet est d’empêcher Marine Le Pen d’être réélue député et d’être candidate à l’élection présidentielle de 2027, on peut se demander si ses efforts ne sont pas contre-productifs. Les électeurs n’apprécient guère qu’on leur dicte pour qui ils doivent voter. La semaine prochaine, la parole sera à la défense.

«Je place la chronique au même rang littéraire que le roman!»

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L'écrivain Thomas Morales © Hannah Assouline.

Depuis quelques années maintenant, notre contributeur Thomas Morales célèbre la France d’hier. Il publie coup sur coup Les Bouquinistes et Tendre est la province, des livres qui font la part belle aux souvenirs personnels et aux portraits littéraires. Il se confie: « Le monde d’avant m’émeut ».


Causeur. Vous publiez Les Bouquinistes et Tendre est la province, deux recueils de chroniques presque simultanément. Quelle est la genèse de ces ouvrages ? Dans quelles conditions les avez-vous écrits ?

Thomas Morales. Je dirais que c’est parfois le hasard qui guide le calendrier des parutions. L’auteur n’est pas toujours maître de son destin. Les Bouquinistes constitue le troisième volet de mon travail sur la nostalgie aux éditions Héliopoles. Il était programmé de longue date. Je creuse ce sillon-là avec un bonheur que j’espère faire partager. J’essaye d’en capter les éclats à travers différentes figures, le plus souvent, artistiques. Le monde d’avant m’émeut. Tendre est la province aux Équateurs est différent car il a été écrit dans le feu de l’action. C’est sans aucun doute mon livre le plus personnel depuis quinze ans. C’est une déambulation, comme souvent chez moi, buissonnière, de mon enfance villageoise à mes premiers pas dans le journalisme. Pour la première fois, je distille des souvenirs, des ambiances, des décors de ma province, et même de mes provinces car je file du Berry au Finistère. Je n’écris pas dans des conditions particulières. C’est mon métier. Et j’avoue ne pas faire une différence fondamentale entre ma casquette de chroniqueur, de critique, d’auteur ou de rédacteur en chef de magazines professionnels. Je trouve la prose de Blondin aussi éclatante dans un compte-rendu d’étape du Tour de France que dans une préface érudite ou un roman pluvieux. J’essaye de m’inspirer de cette exigence-là.

Ces deux livres sont constitués de chroniques. Parlez-nous de ce genre littéraire et/ou journalistique que vous semblez particulièrement apprécier.

La chronique est, selon moi, un art majeur que je place au même rang que le roman. Elle exige, par son format réduit, de la densité et une explosivité remarquable si elle veut atteindre son but. C’est-à-dire toucher le lecteur à l’uppercut. Elle ne permet pas l’à-peu-près. Les phrases doivent pétarader dans une même symphonie. En deux pages, une bonne chronique doit exprimer une idée et un élan salvateur. Quelque chose d’à la fois gourmand et acidulé, de pugnace et débridé, l’expression d’un style affirmé. Une chronique se juge à l’oreille. Les mots doivent carillonner. Je ne suis pas adepte de l’écriture blanche et des leçons de morale. Les Bouquinistes est un recueil chimiquement pur de chroniques, Tendre est la province, même s’il est cadencé d’une manière vive, est plutôt un récit, entre l’essai littéraire et la lettre d’amour.

Pourriez-vous revenir sur le conflit qui a opposé les bouquinistes parisiens à la mairie de Paris, à l’occasion des JO de Paris ?

Il s’agissait d’une mascarade assez ridicule et pathétique comme notre pays en connaît assez souvent. En résumé, plusieurs mois avant le grand événement, on a voulu enlever les boîtes vertes, l’âme des quais de Paris, son pittoresque et sa fantaisie littéraire, pour laisser l’Olympisme gambader librement et aussi pour d’obscures raisons de sécurité. Le plus drôle dans cette histoire est l’ignorance de nos dirigeants politiques. L’idée même d’amputer les quais de leurs trésors livresques n’avait pas soulevé chez eux la moindre parcelle d’indignation ou d’interrogation. Ce fut un peu « David contre Goliath », la profession s’est organisée avec peu de moyens et dans l’urgence. Jérôme Callais, bouquiniste quai de Conti a été le porte-parole de la cause dans les médias. Et des journalistes comme moi ont commencé à relayer cette information en défendant la liberté de vendre des livres même durant une Olympiade devant, par exemple, l’Académie française. Très vite, un courant de sympathie a déferlé sur le pays. Les Français ne voulaient pas que l’on touche à leurs bouquinistes. La messe était dite. Ils ont pu maintenir leur activité.

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Numéro de reportage : AP22199950_000006

Dans les deux présents recueils, vous vous faites le chantre de la France des Trente glorieuses. Quelle est cette passion qui ne cesse de vous habiter, de vous charmer ?

J’ai coutume de dire que cette France-là était et reste mon biotope culturel et mon décor mental. J’aime son allure, son second degré, sa pudeur, ses artistes disparus, ses vieilles fraternités, ses automobiles de caractère et ses plats en sauce. Les Trente Glorieuses sont mon refuge identitaire, alors oui, je les fantasme un peu, je les fais entrer dans mon moule, mais je trouve à cette période une fraîcheur et une dignité qui nous manquent cruellement aujourd’hui. Et pourtant, c’était une période historiquement rude et tendue, n’empêche que les Français y furent heureux, pleins d’espoir, ils croyaient en un avenir meilleur pour leurs enfants. Cette fois-là me touche. Elle est hautement estimable. Et je suis fidèle à la mémoire de mes grands-parents, je n’aime pas la caricature et les salisseurs de mémoire. Faire table rase du passé n’est pas dans mon vocabulaire. Je laisse le progressisme au forceps à nos nouveaux inquisiteurs.

Et la France d’aujourd’hui, qu’en pensez-vous ?

Plus terne, plus clivée, plus enfermée dans des logiques victimaires, plus rétive à la liberté d’expression, plus inquiète sur son avenir. Moins libre, moins délurée, moins rieuse, moins charmeuse tout simplement. En un mot, manquant d’espoir et de panache. Je souhaiterais que l’on retrouve l’esprit français, celui qui court de Villon à Choron, de Dumas à Guitry. Du style, de l’humour, de la légèreté, des fidélités à une terre et des emballements sincères.

Vous défendez la province avec une passion inégalée, et cette même passion vous la vouez à Paris. Ne serait-ce pas paradoxal ?

C’est l’essence même d’un écrivain, le paradoxe, le zig-zag permanent, le foutraque érigé en ligne de vie. J’aime le mot de Jean-Pierre Marielle qui se définissait comme un traînard. Je suis un traînard, mes passions le prouvent, je passe de Philippe de Broca à Audiberti, de Fallet à Morand, de Cossery à Boudard, de Jean Carmet, immense, indépassable à Charles Denner. J’apprécie tout autant mon Berry, cette campagne secrète, mes sous-préfectures alanguies, que le Paris de la rue Mouffetard cher à Doisneau et Robert Giraud. Vous savez, je suis l’un des rares cinéphiles français à apprécier les deux faces de Belmondo, le Belmondo de la Nouvelle Vague et celui plus commercial et bodybuildé des années 1980. Je suis œcuménique. On est toujours multiple dans un même corps. Un village du Bourbonnais, silencieux et intemporel à l’entrée de l’automne peut déclencher chez moi des larmes de sérénité. Mais j’ai aussi d’autres visions qui m’attirent, celles d’un Paris des beaux quartiers, dans les années 1980, avec en tête le générique de « Champs-Élysées », le Paris des producteurs de cinéma et des quotidiens à gros tirages, d’une Rolls Silver Cloud garée à la Madeleine où, les jours de chance, on pouvait admirer une star de la variété s’extraire avec grâce de cette aristocratique anglaise, en négligé de soie. Le brio ne me déplaît pas.

Vous citez Patrick Besson, Bernard Frank, Henri Callet et quelques autres. Quels sont vos chroniqueurs préférés ?

Mes maîtres en chroniques, mes sprinters de l’écrit, sont nombreux. On apprend toujours de ses aînés, écrire est une école de haute lutte. Pour s’améliorer, il faut être humble. Je pense, par exemple, à Kléber Haedens pour sa fluidité, ses papiers coulent comme l’eau vive, ils sont d’une érudition à hauteur d’hommes, jamais prétentieux, toujours chargés d’une onde bénéfique, j’ai beaucoup appris de ses enthousiasmes et de ses dégoûts. Il avait la dent dure contre certains écrivains intouchables. J’ai un faible aussi pour Jacques Perret, quelle plume virtuose ! Et un Italien qui est moins connu en France et dont je fais sans cesse la réclame, il s’agit d’Ennio Flaiano (1910-1972), c’est l’esprit romain incarné, la Dolce Vita et sa férocité jouissive. Comment ne pas citer également Vialatte, le prince d’Auvergne.

Vous réhabilitez de grands oubliés, pourtant d’immenses écrivains (Patrice Delbourg les a rassemblés dans son essai Les Désemparés, Le Castor astral, 1996) : Kléber Haedens, Robert Giraud, Emmanuel Bove, Antoine Blondin, Jean-Claude Pirotte, André Hardellet, Henri Calet, René Fallet, etc. Que représentent-ils pour vous ?

J’ai toujours préféré ceux que l’on qualifie, à tort, de petits maîtres face aux monstres sacrés de la littérature. Tous ceux que vous citez ont réussi à trouver leur propre veine. Ils ont réussi à mater leur tempo intérieur pour écrire leur vérité. Ils n’instrumentalisent pas leur lecteur. L’Université les sous-estime. Ils n’intéressent pas les intellectuels à gros godillots. Ils sont atrocement personnels, donc universels. J’aime leur typicité comme les vignerons parlent de leur vin. Chez eux, j’y puise force et enchantement.

Vous citez également le dessinateur Chaval, génial, fêlé, magnifiquement mélancolique et trop oublié lui aussi…

Dans Les Bouquinistes, je dis de lui qu’il était sans filtre, donc nocif, donc indispensable. Son dessin d’une grande élégance, d’une pureté de graveur est sans rédemption. Avec Chaval, le lecteur se prend directement un mur en pleine face et il en redemande. C’est cruellement drôle. Absurde et sans filet. Il a bousculé le dessin de presse comme son confrère Bosc. Le lecteur ne sort jamais indemne d’une rencontre avec lui.

Vous avez obtenu le prix Denis-Tillinac, en 2022, avec Et maintenant, voici venir un long hiver… Rarement prix littéraire n’aura été aussi justement attribué. Vous sentez-vous en fraternité avec lui ?

Ce fut un grand honneur car il y a quelques similitudes dans nos parcours. Le mien reste bien timide par rapport au sien. Cette fraternité s’illustre par l’attachement à la province, l’apprentissage du journalisme dans une locale, notre amour pour la Presse Quotidienne Régionale qui demeure la meilleure école pour sentir les aspirations populaires d’un pays et aussi pour une fidélité aux écrivains hussards et plus généralement aux réprouvés des cénacles. Et ce qu’on oublie souvent, lorsque l’on parle de Tillinac, j’admire sa qualité de plume.

Si l’on vous dit qu’il y a chez vous de la réaction et de l’anarcho-syndicalisme, à la fois de la France infinie et de l’Espagne brûlante et révoltée, est-ce que ça vous convient ?

C’est bien vu ! Une intranquillité à la Pessoa, aussi. On peut aimer le confort d’un cadre bourgeois et les perturbateurs. J’ai un faible pour les provocateurs en costume de tweed. Les pamphlétaires d’apparence inoffensive. Cher confrère, merci pour cette séance gratuite sur le divan.

Quels sont vos projets littéraires ?

A force de médire sur le roman, son côté laborieux, ses temps morts, sa longue mise en marche, je vais bien être obligé de m’y coller…


Les Bouquinistes, Thomas Morales, Héliopoles, 2024.

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Tendre est la province, Thomas Morales, Equateurs, 2024.

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Caillebotte, rapin couillu

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"Nu au Divan" de Gustave Caillebotte, vers 1880-1881 © Minneapolis Institute of Art/The John R.Van Derlip Fund.

Tandis que l’exposition Caillebotte, peindre les hommes, au musée d’Orsay, s’accompagne d’un catalogue en partie vampirisé par le wokisme (cf. l’article de Georgia Ray, dans le magazine Causeur du mois), Amaury Chardeau, descendant de la famille Caillebotte, publie Caillebotte, la peinture est un jeu sérieux, aux éditions Norma :  à distance du jargon universitaire, aussi érudite que savoureuse, cette biographie abondamment illustrée restitue, avec force détails, l’intimité du peintre (également passionné de navigation et d’horticulture) dans son milieu et dans son époque.


Longtemps éclipsé par Renoir ou Degas, Gustave Caillebotte (1848-1894) connaît depuis un demi-siècle un spectaculaire regain de faveur – en 2024, sa cote est au plus haut. Il fallait s’y attendre : exportée des Etats-Unis, la pandémie idéologique du genre a trouvé, dans cette figure d’artiste célibataire plus entouré de garçons que de filles, une souche de contamination idéale. L’ère du soupçon fomente le procès d’une sexualité supposément refoulée, voire d’une homosexualité patiemment dissimulée, mais dont l’hypothèse transpirerait dans nombre de ses toiles.  De là ces pages de charabia aussi hilarantes que grotesques qui émaillent le catalogue, et tout particulièrement ce morceau de bravoure co-signé André Dombrowski et Jonathan D. Katz, sous le titre engageant : Peindre des hommes nus. Où l’on apprendra que l’huile célèbre baptisée Homme au bain « met en scène une inversion qui n’est ni fondée sur l’acte ni contre-nature (sic) mais est ‘’simplement’’ une fonction d’un regard ». Allez comprendre. Et de poursuivre : « Antiessentialisant, il impose une résistance performative (sic) aux deux versions dominantes de la sexualité homosexuelle proposées à l’époque ; en effet, il ne repose pas clairement sur l’acte – il représente simplement un homme s’essuyant après son bain – , mais il n’exige pas non plus que nous (ou le peintre) adoptions une attitude d’inversion sexuelle. Le tableau pose une question irritante et transpose cette irritation de la peinture, un simple objet extérieur, vers notre moi. L’homme au bain nous fait regarder et nous surprend en train de regarder ». Conclusion : « La véritable charge du tableau de Caillebotte est de mimer la dynamique de l’inversion sexuelle sans tenir compte de l’attribution de la différence sexuelle elle-même ». Tout est bien clair pour vous ?

Délires interprétatifs

Aux antipodes de ces délires interprétatifs passablement fumeux, la prose élégante, amicale et instructive d’Amaury Chardeau n’a pas seulement le mérite de sa clarté. Puisant aux sources des archives familiales, exhumant à l’occasion des documents (lettres, gravures, photographies…) inédits ou méconnus, elle brosse le récit circonstancié de la vie d’un homme dans son temps – et c’est là ce qui fait le prix de ce travail remarquable : fils de la grande bourgeoisie catholique parisienne, le jeune rentier Gustave Caillebotte en est le miroir ; son œuvre peint reflète avec exactitude le décor et les mœurs de son époque. Chardeau, dépouillant avec scrupule la somme accumulée des connaissances qu’on en a aujourd’hui, et tout se gardant d’affirmations présomptueuses, parvient page après page à reconstituer ce monde englouti. Ainsi par exemple : « Cette propriété située à Yerres (Essonne), le père de Gustave l’a achetée en 1860, les enfants étant encore petits, auprès d’un proche de l’Empereur, y investissant une partie des gains de son entreprise. C’est, pour une famille bourgeoise comme la leur, un attribut social incontournable et une échappatoire salutaire qui permet, l’été venu, de s’extraire de la ville et du fracas assourdissant des chantiers qui en empoisonne le quotidien ». En arrière-plan de la biographie, la vignette de ce Paris haussmannien en transformation accélérée !  

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Ou encore, pour commenter le célèbre tableau du Pont de l’Europe : « Le haut de forme du protagoniste central, à qui Gustave a prêté ses propres traits, est ceint d’un voile de crêpe, comme c’était parfois l’usage. L’artiste porte le deuil [de son frère cadet René, flambeur tué dans un duel à 25ans]. Ce passant au haut de forme vient de dépasser une femme s’abritant sous une ombrelle. S’ils ne marchent pas ensemble, c’est donc qu’elle marche seule. Or à l’époque, une femme ‘’comme il faut’’ ne traîne pas non accompagnée sur le pavé. Celle-ci se trouve, de ce fait, identifiée à une demi-mondaine, voire à une simple prostituée, dans un quartier réputé pour cette activité. Comme la queue dressée du chien nous le suggère avec insistance, c’est bien de commerce sexuel dont il s’agit. Mais ce commerce, le protagoniste du haut de forme s’y refuse, opposant son deuil au frou-frou rouge qui chapeaute la belle. Fuyant la luxure dans laquelle s’est perdu son frère, l’artiste s’éloigne du même coup de ce rouge qu’on retrouve à l’arrière dans l’uniforme d’un soldat rappelant les horreurs de 1870, et sur les roues d’une calèche qui, tel un corbillard, semble emporter les traumatismes du passé ». Fine analyse, à cent coudées des spéculations qui, dans le catalogue d’Orsay, suggèrent que le flâneur, en réalité, détourne son regard, non vers le paysage des rails de la gare Saint-Lazare, en contre-bas, mais en direction du garçon en blouse du premier plan, séquence liée « au contexte jusqu’alors invisibilisé de la prostitution masculine à Paris à la fin du XIXè siècle » (sic). Pourquoi pas ?

Une peinture qui appelle les commentaires

Certes, comme l’observe Amaury Chardeau : « cérébrale, sa peinture est un commentaire qui appelle au déchiffrement ». Ce qui n’autorise pas d’instrumentaliser son œuvre sur la base de présupposés idéologiques d’un anachronisme consternant. Chardeau voit juste : « Caillebotte semble ne jamais figurer d’autres vies que la sienne ». Il ne sort pas de son monde. « Contrairement à Manet, Degas, Béraud ou Eva Gonzalès, il ne peint pas les loisirs de la grande bourgeoisie, les soirées à l’opéra ou les sorties à l’hippodrome ». Son espace pictural se réduit à son intimité. Mais si notre biographe en ressaisit les péripéties avec une précision d’horloger, il a, lui, toujours soin de replacer celles-ci dans le contexte sociologique, politique, historique de cette fin de siècle. De fait, « Caillebotte peint son époque, et nombre de débats qui la traversent ». D’où sans doute le plaisant sous-titre du livre : La peinture est un jeu sérieux.

Un jeu, ou un enjeu ? « On ne peut qu’être frappé par cet incroyable appétit », écrit encore Chardeau, dans ce chapitre intitulé Toutes voiles dehors, qui décrit l’énergie déployée par Caillebotte dans l’autre passion de sa vie : la navigation. Les photos de son frère Martial (avec qui il aura durablement partagé le même appartement parisien jusqu’au mariage de ce dernier en 1887) nous dévoilent le chantier naval du Petit-Gennevilliers, où Gustave se fait construire une maison en bord de Seine, régatant à bord des yachts qu’il pilote en véritable champion. Au point de défrayer la chronique, dans « la langue sémillante de la presse du XIXè siècle » – Ô temps révolus ! – qui sourit des noms à consonance salace dont leur armateur- propriétaire les affuble : le Condor, le Cul-Blanc… Humour de rapin : « Etrange Gustave, qui mélange grivoiserie potache et goût obsessionnel de l’expérimentation », note Chardeau.

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N’en déplaise au trio Paul Perrin, Scott Allan et Gloria Groom, sportif, viril, couillu, épris de canotage, de baignade, de régate, d’horticulture et quoiqu’entouré de matelots, de jardiniers et d’hommes de peine, Caillebotte n’orientait sa libido qu’en direction de l’autre sexe, – exclusivement. A la seule compagne qu’on lui connaît avoir partagé sa vie, Charlotte Berthier, il lèguera d’ailleurs par testament une rente confortable. Ils ne convolèrent pas. « Charlotte et lui percevaient-ils le mariage comme une aliénation ? », s’interroge Amaury Chardeau. « Au moment où ils se rencontrent, le divorce est aboli en France, et il faut attendre 1884 pour qu’il soit rétabli » (…) « Faut-il voir dans ce non-mariage une volonté égalitariste, voire féministe ? »  Plus probablement, cette union libre avec une « femme du peuple » contrevenait aux mœurs bourgeoises dont Caillebotte, tout libéral qu’il fût en la matière, incarnait, par son statut de riche rentier et sa discrétion atavique, une figure archétypale.


Gay refoulé, non. Mort trop tôt, oui

Gustave, gay dans le placard ? Son Nu au divan (prêt du Minneapolis Institute of Art pour l’exposition) répond par avance, d’évidence, négativement à « l’émergence, durant les années 2000 dans les cercles universitaires américains, de l’hypothèse d’un Caillebotte homosexuel ». Dans sa crudité anatomique, la libido féminine s’y exprime sans détour. Chardeau commente de façon superbe cette toile unique à tous les sens du terme : « Dès lors, on peut tout imaginer, l’étreinte précédant l’acte de peindre, la pulsion physique puis esthétique d’un jeune homme désireux de posséder, dans tous les sens, ce corps dont les pieds, légèrement crispés, disent la dissipation du feu et dont la main paresse sur la pointe d’un sein pour en retenir le plaisir ».  

Au catalogue tendancieux de l’exposition d’Orsay –partiellement, car il faut bien reconnaître à Stéphane Guégan, par exemple, l’intérêt majeur du chapitre qu’il consacre au lien entre la défaite française contre la Prusse, cause de l’effondrement du Second Empire, et « les incursions de Caillebotte en matière d’iconographie militaire » et virile –  la recherche d’Amaury Chardeau offre un contrepoint aussi érudit que savoureux de bout en bout. A peine quarantenaire, Gustave meurt d’une « apoplexie », comme en son temps l’on disait d’un AVC –  juste avant l’arrivée de l’automobile et du cinéma. Homme du XIXème siècle, il est déjà, sous bien des aspects, un peintre du XXème siècle. « Que serait-il devenu si le destin lui avait prêté vie quelques années de plus ? » Avec son aïeul et biographe, on peut en rêver.


Caillebotte. La peinture est un jeu sérieux, par Amaury Chardeau. 255p. Norma éditions, 2024.

Caillebotte: La peinture est un jeu sérieux

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Caillebotte. Peindre les hommes. Catalogue de l’exposition. Sous la direction de Scott Allan, Gloria Groom, Paul Perrin. 256p. Hazan/Musée d’Orsay, 2024.

Exposition Caillebotte. Peindre les hommes. Musée d’Orsay, Paris. Jusqu’au 19 janvier 2025.

Les raboteurs de virilité

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Raboteurs de parquets, 1875 © Musée d’Orsay, dist. RMN-Grand Palais/Patrice Schmidt

L’exposition Caillebotte au musée d’Orsay est une succession de chefs-d’oeuvre. C’est aussi un concentré de bêtise. Le peintre de la vie bourgeoise au XIXe siècle est présenté comme le chantre de la déconstruction, venu « bousculer les stéréotypes de genre » en tentant d’« échapper à sa condition de riche rentier ». On s’émerveille et on rigole.


« Caillebotte : peindre les hommes » est l’une des nouvelles expositions de l’automne-hiver au musée d’Orsay. Nous devrions nous réjouir, et ce pour deux raisons. La première tient à l’artiste, Gustave Caillebotte (1848-1894). Contemporain de Monet, Renoir, Sisley, peintre des célèbres Raboteurs de parquet refusés au Salon de 1875, mécène, collectionneur et donateur des toiles de ses amis impressionnistes, il mourut suffisamment jeune – 45 ans – pour prétendre à une place dans l’histoire de l’art, mais suffisamment fortuné – fils d’un riche négociant – pour n’y figurer longtemps qu’à titre secondaire. On aime les artistes aux existences difficiles.

Seconde raison, a priori, de se réjouir : « peindre les hommes ». Après un marathon olympique d’expositions sur les femmes peintres ou, variante grotesque, sur les épouses, amantes, sœurs, belles-sœurs, mères et belles-mères – on dirait un discours de passation de pouvoir au ministère de l’Éducation nationale – ayant gravité autour d’artistes comme les Nabis (actuellement au musée de Pont-Aven), « Peindre les hommes » fait l’effet d’un bonbon au miel. Une belle récompense après s’être coltiné tout l’imagier des victimes du patriarcat occidental depuis l’art pariétal.

Réjouissons-nous d’abord pour Gustave Caillebotte, lequel disait qu’il ne suffit pas d’être mort, mais d’être mort depuis longtemps, pour gagner les bonnes grâces du public. Les cent trente ans de sa disparition sont l’occasion de venir admirer (après une petite dizaine d’accrochages à travers le monde depuis 1994) l’œuvre mi-réaliste, mi-impressionniste de ce passionné de peinture, d’horticulture, d’ingénierie navale et de sports nautiques.

Périssoires sur l’Yerres, 1877. The National Gallery of Art, Washington.

Dans le Paris des grands boulevards haussmanniens, sous des effets de lumière, de neige et de pluie, la promenade est à l’honneur. Sur le trottoir de Rue de Paris, temps de pluie (1877), un couple de bourgeois distraits par un détail hors cadre vient à notre rencontre. D’un côté du parapluie qui les abrite : pantalon sans pinces, gilet croisé, plastron, nœud papillon, large pardessus et chapeau haut-de-forme. De l’autre : petit manteau arrondi rehaussé de fourrure, voilette mouchetée et boucle d’oreille à l’éclat vermeerien. En été, sur Le Pont de l’Europe (1876), le parapluie fait place à l’ombrelle. La brève conversation qui nous parvient alors est autant celle de cet homme élégant et de cette femme tout rubans et dentelles qui s’avancent vers nous, que le dialogue entre une robe à tournure et la structure métallique du célèbre pont construit en 1863. Les nouveaux volumes du vêtement et ceux du paysage urbain sculptent la modernité de cette seconde moitié du xixe siècle. Sur le chemin de l’après-Sedan, les promenades bourgeoises, graves sans emphase, sérieuses sans affectation, croisent le prolétariat urbain au travail – comme ces Peintres en bâtiment (1877) – avant de se poursuivre par le regard, à la fenêtre ou au balcon d’un appartement cossu. Échouées sur un fauteuil capitonné ou sur un canapé confortable le temps d’une lecture silencieuse, ces promenades reprendront leur cours à la campagne et à la mer, entre dahlias, bateaux et périssoires.

Mais les réjouissances ne s’arrêtent pas là – du moins pour ceux qui lisent encore les cartels dans les musées. Car au plaisir de regarder les toiles de Caillebotte vient s’ajouter le plaisir de rire devant les nouveaux textes qui les accompagnent. Le ton est donné d’entrée de jeu et allège la gravité d’un xixe siècle un peu sombre en redingotes noires. En raison d’une « forte prédilection pour les figures masculines », Gustave Caillebotte nous est présenté comme un artiste n’ayant eu de cesse d’interroger son identité d’homme bourgeois à travers son œuvre, à une époque où l’élite masculine aurait hésité entre les codes d’une virilité triomphante et un goût naissant pour de nouvelles formes d’évasion et de sociabilité entre hommes. Largement inspirée du troisième volume de L’Histoire de la virilité, dirigé par Alain Corbin – ouvrage qui s’attache à démontrer le caractère construit, et donc heureusement obsolète, d’une virilité conduisant, entre autres, à la domination de la femme et des peuples du monde –, l’exposition Caillebotte distille l’idée d’un peintre venu, au bout de cent trente ans, « bousculer les stéréotypes de classe et de genre » de l’humanité occidentale. Présenté comme indifférent aux femmes, moite d’émotion devant les hommes, sans illusions personnelles devant le couple bourgeois, il aurait rêvé d’« échapper à sa condition de riche rentier » – de préférence du haut de son balcon du 31, boulevard Haussmann, acheté avec son frère Martial après la vente de leur domaine de 11 hectares à Yerres. Plutôt discret sur une vie privée qu’il semble avoir partagée entre sa famille, ses amis, et une certaine Charlotte Berthier, il était effectivement le candidat posthume idéal pour promouvoir, depuis son époque, les nouvelles masculinités de la nôtre. L’Homme au bain (1884) se résume ainsi au « plaisir que l’artiste a sans doute eu de peindre l’anatomie » d’un homme au sortir d’une baignoire : rien sur le réalisme du nu, les traces d’eau sur le parquet ni sur la figure de l’homme vu de dos, motif passionnant magistralement étudié par Georges Banu dans la peinture et le théâtre. Même chose pour Les Raboteurs de parquet (1875). « À demi nus et transpirants »,ilssont l’occasion d’une petite niaiserie supplémentaire formulée sur la fraternité au travail d’« hommes virils engagés ensemble dans un labeur manuel » : rien sur l’attention silencieuse que portent ces ouvriers à leur ouvrage, rien sur leur misère, rien sur la beauté et la précision de leur geste, et bien sûr rien sur la lumière. Et ainsi de suite : de cartel en cartel, le comique de répétition opère. Face au pubis richement fourni de la femme qui somnole sur un canapé (1881-1882), la taille encore marquée par un jupon retiré à la hâte, le désir du peintre doit disparaître : la « jeune femme ignore sa présence » et la main qu’elle pose sur son sein est « un geste autoérotique » qui exclut le mâle de la scène. C’est décidé : les figures masculines de Caillebotte, à leur fenêtre, à leur balcon, à leurs promenades et à leurs lectures, suintent d’une « énergie mal canalisée » sous leur virilité de façade. D’ailleurs, à y regarder de plus près, le bourgeois du pont de l’Europe ne salue pas tant la cocotte à l’ombrelle qu’il ne guigne de l’œil le peintre en bâtiment accoudé au parapet…

Jeune homme à la fenêtre, 1876. Los Angeles, J. Paul Getty Museum

Tout exhumer et tout salir, de l’école au musée : avouons que pour un siècle qui fait du respect et de la protection de l’environnement son cheval de bataille, ce gâchis labellisé a de quoi surprendre. Fidèles, malgré eux, à l’institution honnie de la famille, les déconstructeurs des années 1970 ont fait des petits, aux deux sens du terme : ils ont engendré d’autres déconstructeurs, moins intelligents qu’eux. À la différence de leurs mentors qui goûtaient le plaisir d’avoir reçu en héritage ce qu’ils jetaient par-dessus bord, les petits-maîtres d’aujourd’hui ont cessé d’être des penseurs, des professeurs, des critiques littéraires ou des historiens de l’art. Ils se contentent d’être des théoriciens du genre, des « formateurs égalité fille-garçon », des traqueurs d’écriture misogyne chez Zola ou des dénicheurs de « masculinité fluide » dans l’iconographie du xixe siècle. N’ayant rien reçu en héritage, ils n’ont plus rien à bazarder et se satisfont des basses œuvres : chiner des mots creux et réciter en boucle le catéchisme de leurs pairs quasi biologiques en le plaquant sur ce qui nous trouble, nous émeut et nous émerveille toujours.

Marcel Proust a parlé comme nul autre des jeunes filles en fleurs sans s’être apparemment distingué comme tombeur de ces dames ; Rosa Bonheur s’est consacrée à la peinture animalière, mais n’est pas encore considérée comme zoophile ; Chardin et Sorolla ont été des peintres de l’enfance sans avoir été pédophiles. Peindre des ouvriers au travail et des bourgeois à leur balcon est une autre façon d’envisager l’art et la beauté sans pour autant constituer un protoplaidoyer en faveur des nouvelles masculinités.

Lorsque seules les femmes sont autorisées à parler des femmes, et que les hommes ne sont autorisés à parler d’eux qu’en êtres vulnérables, les cartes de la vie et de l’art sont rebattues en un sens politique plutôt douteux – orwellien est un euphémisme. Portrait de femme a heureusement été écrit par un homme (Henry James) et Chéri par une femme (Colette). D’ailleurs, personne mieux que Marguerite Yourcenar, dans sa postface à Anna, soror… (1983), n’a « fermé la bouche à ceux qui s’étonnent qu’un homme puisse exceller à dépeindre les émotions d’une femme ou qu’une femme puisse créer un homme dans toute sa vérité virile ».

Marguerite Yourcenar : on aimerait l’emmener avec nous voir l’exposition Caillebotte.


À voir :

« Caillebotte : peindre les hommes », musée d’Orsay, jusqu’au 19 janvier 2025.

Maison Caillebotte, 10, rue de Concy, 91330 Yerres.

À lire

J.-K. Huysmans, « L’Art moderne », in Écrits sur l’art, Flammarion, 2008.

Écrits sur l'art

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Georges Banu, L’Homme de dos : peinture, théâtre. Adam Biro, 2000.

L'Homme de dos. Peinture, théâtre

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Alger sur le divan

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Abdelmajid Tebboune, réélu lors d’un scrutin marqué par un faible taux de participation, prête serment pour un second mandat, Alger, 17 septembre 2024 © AP Photo/SIPA

Plus de soixante ans après la décolonisation, le pouvoir algérien cultive le même ressentiment envers la France. Une intoxication mémorielle très utile pour faire oublier les errements de sa politique sociale et économique ; et pour culpabiliser les bonnes âmes françaises qui ne demandent qu’à faire repentance.


Les psychanalystes du monde entier vous le diront, s’inventer des faux problèmes pour éviter de s’occuper de ses véritables priorités est un mal répandu. Certains pays en souffrent, dont l’Algérie. Ce pays se spécialise dans l’élaboration de doléances imaginaires à l’endroit de la France au lieu de répondre aux questions fondamentales et ô combien pressantes que lui pose la vie. Il fuit les problèmes du présent et ceux du passé. Ce faisant, il sacrifie ses intérêts et pollue au passage la perception qu’ont les Français de leur histoire récente.

Parmi les questions que l’Algérie fuit depuis 1962 : où va l’argent du pétrole et du gaz ? Pourquoi le pays est-il un enfer économique où entreprendre honnêtement relève de la gageure ? Où sont l’harmonie et la prospérité promises au peuple algérien en contrepartie des sacrifices consentis lors de la guerre de libération ? Où est la concorde nationale censée supplanter la décennie noire et réconcilier les Algériens entre eux ? La justice a-t-elle été rendue aux victimes de la guerre civile ? Incapables de répondre à ces questions difficiles, le régime et sa base électorale accusent la France d’être à l’origine de tous les maux.

La politique algérienne à l’égard de la France est le récit d’une fuite psychotique, devenue une sorte de névrose chronique. Ce qui n’était qu’un mensonge élaboré par des petits malins – idéologues du FLN et militaires usurpateurs du pouvoir – est devenu une sorte de récit fondateur dont on ne peut plus se passer. La haine de la France est l’identité algérienne par défaut, une identité de substitution à l’identité algérienne véritable. Une illusion qui permet à l’Algérie de fuir sa vérité. Autrement, elle admettrait que son identité est plurielle et hybride : arabe et berbère en même temps, saharienne et méditerranéenne aussi, musulmane bien sûr.

Le régime algérien est trop petit pour aider l’Algérie à assumer son identité. Il ne sait pas ce qu’être Algérien veut dire. Il a chassé la France, mais il n’a pas trouvé l’Algérie, il a plaqué à sa place des chimères qui ne correspondent qu’en partie à la vérité de l’âme algérienne. Il a essayé de convaincre les Algériens qu’ils étaient socialistes et collectivistes, puis arabes et panarabes. Les islamistes, ses opposants, ont voulu remplir ce vide identitaire par l’islam et ils ont échoué, car comme le FLN ils n’arrivent pas à définir l’Algérie. Alors tous, régime et opposition, braillent contre la France. Ils ne croient pas si bien faire dans un sens, car l’Algérie est aussi la fille de la France, une fille née d’un viol (la colonisation) et venue au monde lors d’un accouchement sanglant, une guerre de libération terrible, et une double guerre civile, entre musulmans et entre pieds-noirs et musulmans.

Devant un tel échec, il ne lui reste plus que la fuite en avant : insulte sur insulte, provocation sur provocation. Le régime, les islamistes et une partie du peuple sont prêts à tout pour détourner l’attention de leur impuissance.

Cette fuite en avant obsessionnelle concerne également le passé. Le régime algérien a peur que les victimes oubliées de la guerre de libération lui demandent réparation. Après tout, il est assis sur un tas d’or et n’aurait aucune difficulté à indemniser les juifs d’Algérie déracinés, les pieds-noirs spoliés, les harkis éradiqués, les entreprises françaises et étrangères qui ont tout perdu le jour de l’indépendance. Et qui dit réparation dit repentance, c’est-à-dire reconnaissance des erreurs commises. Impossible ! Le courage manque pour admettre que le FLN a tué plus de civils musulmans que de civils français, qu’il a éradiqué les autres mouvements armés sans pitié ni retenue (dont le MNA, éliminé physiquement en Algérie et en métropole), qu’il a fait enlever 3 000 Européens après l’accord de cessez-le-feu de mars 1962, qu’il a laissé faire sinon participé au bain de sang du 5 juillet 1962 à Oran (700 morts et disparus), qu’il a trahi les engagements pris à Évian, notamment envers les pieds-noirs qu’il devait protéger après le départ de la France. Et la liste des choses à cacher sous le tapis est longue malheureusement.

Plus Alger insulte Paris, moins l’on se souvient que l’armée des frontières, composée d’officiers et de soldats bloqués au Maroc et en Tunisie, a usurpé la victoire des combattants de l’intérieur. Une fois les frontières ouvertes, elle n’a fait qu’une bouchée des maquisards épuisés et largement affaiblis par huit ans de guerre contre la France. Comble de l’ironie, cette armée de l’extérieur était largement composée d’anciens de l’armée coloniale française qui ont déserté le jour où ils ont compris que de Gaulle allait abandonner l’Algérie. Plus tard, ils ont forgé l’Armée nationale populaire dans un moule qui rappelle étrangement l’armée française…

S’il ne s’agissait que d’un problème algéro-algérien, l’on pourrait s’en détourner, laissant aux principaux intéressés le soin de s’en occuper. Malheureusement, il s’agit aussi d’un sujet franco-français. En effet, les insultes des autorités algériennes et la repentance des élites parisiennes alimentent une sorte d’intoxication mémorielle qui fait beaucoup de mal aux Français, prisonniers d’un récit falsifié qui les démoralise.

Or, la colonisation n’a pas été une bonne affaire. Il n’y avait ni or, ni cuivre, ni coton. L’agriculture algérienne a été une déception. Le pétrole est arrivé trop tard, presque à la fin, et il n’était pas aux normes recherchées par les industries françaises. Personne ne s’est « goinfré » en Algérie, à part quelques adeptes du capitalisme de connivence. En réalité, le mode de vie des pieds-noirs était frugal dans l’ensemble et il aurait pu décrocher complètement sans le traitement favorable réservé par la métropole à sa colonie.

Alors, pourquoi la France est-elle restée en Algérie si c’était une mauvaise affaire ? Pour plusieurs raisons. Parmi elles, l’incapacité de l’État à évaluer les résultats de ses politiques, la crainte de perdre la face devant les autres puissances européennes et l’adhésion des pieds-noirs aux idées républicaines. Très vite, un pacte tacite a été conclu entre la IIIe République balbutiante et l’opinion publique pied-noir qui voulait étendre et approfondir la colonisation. Sous Napoléon III, c’est-à-dire jusqu’en 1871, la présence française était relativement limitée. Il était même question de dégager un espace pour un royaume arabe. Au-delà, la présence française est devenue massive. Et ce qui était un boulet s’est transformé en hémorragie.

Très bien relayés à Paris, les colons ont obtenu, dans les années 1870-1880, la spoliation des terres collectives des musulmans, repoussés vers les zones les moins favorables. Plus tard, ils ont réussi à geler une partie des rares crédits réservés par la métropole à l’alphabétisation des musulmans.

Si les Français ont envie de faire pénitence, qu’ils la fassent au moins pour les bonnes raisons. La gauche parisienne, en tandem avec le régime algérien, leur reproche la torture des années 1954-1962, mais la torture n’est pas le crime le plus grave commis par la colonisation. Celle-ci a commencé à saccager la société algérienne traditionnelle dès le premier jour en donnant des coups de pied dans les structures féodales et les confréries musulmanes qui la gouvernaient et lui donnaient sa sécurité mentale et psychique. Du début jusqu’à la fin, la France n’a eu de cesse de démanteler le Vieux Monde pour y installer le vide. Les anciennes élites légitimes aux yeux des Algériens ont été liquidées physiquement ou déclassées symboliquement. Personne n’a pris leur place. Dans les années 1950, des jeunes sans pedigree, mais extrêmement agressifs et déterminés, donneront le coup de grâce aux cheikhs et autres bachagas : le FLN. L’Algérie paye le prix à ce jour de cette grande déstabilisation, contrairement au Maroc et à la Tunisie qui ont eu la chance d’être conquis par des militaires français qui avaient le contre-exemple algérien en tête. Ces deux pays ont gardé leur colonne vertébrale. L’Algérie n’en a plus.

Le brouillard mémoriel empêche les Français de s’apercevoir qu’ils sont des pieds-noirs qui s’ignorent. À Crépol, il y a quelques mois, un commando surgi du maquis a distribué les coups de couteau et s’est évaporé dans l’obscurité de la nuit. Scénario maintes fois éprouvé dans la Mitidja et en Oranie où les villages européens étaient une cible facile des indépendantistes. Les pieds-noirs ont quitté les campagnes à cause de ce terrorisme. Aujourd’hui, plusieurs Français choisissent leur lieu de résidence en ayant à l’esprit le terrorisme du quotidien.

Nous sommes quittes en réalité. Les crimes de la colonisation ont été largement compensés par les horreurs infligées aux Européens entre 1954 et 1962. Et la France n’a eu de cesse de passer à la caisse depuis 1962. Elle accueille des millions d’Algériens, autant de bouches en moins à nourrir au sud de la Méditerranée. Elle forme gratuitement des jeunes Algériens dans ses écoles et universités, elle leur concède la citoyenneté. Elle admet même que Marseille devienne une autre Algérie. Ajoutez à cela la délinquance d’origine étrangère (algérienne, marocaine, tunisienne, etc.) et vous avez une idée de la réparation immense que la France réalise chaque jour…

Pour toutes ces raisons, il est impossible que les Français apprennent la vérité. Ils se rebifferaient sinon. L’alliance objective entre l’establishment parisien (de gauche par vocation et habitude) et l’establishment algérien veille au maintien du statu quo.

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Vitraux de Notre-Dame: et si Emmanuel Macron était touché par la grâce?

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Notre-Dame de Paris, septembre 2024 © FELIX GRAUMER/SIPA

La reconstruction de Notre-Dame de Paris, et les modalités de sa réouverture avec le président de la République, font l’objet d’interminables polémiques nationales. Mais, la religion catholique, et toutes ces polémiques, c’est ça aussi notre France !


Emmanuel Macron parlera sur le parvis de Notre-Dame le 7 décembre. Je dis bien devant Notre-Dame, pas dedans. Notre-Père qui n’est pas aux cieux mais à l’Élysée descendra en effet de son Olympe le 7 décembre et prononcera son homélie sur le parvis. Il parait qu’il se serait bien vu le faire à l’intérieur, juste avant la messe. Mais son entourage a dû le convaincre que cette confusion des genres serait du plus mauvais goût, et que tout ce qu’il dirait serait alors emporté par une polémique.

Donc, ce sera César le 7 décembre, et Dieu le 8, avec la première messe dans la cathédrale depuis le drame d’avril 2019.

Mais malgré tout, cette visite fait quand même brailler quelques laïcards. Le parvis n’est pas une église, ne leur en déplaise ! Il appartient au peuple de Paris et de France, cela n’a donc rien de choquant. Et je dirais d’ailleurs la même chose si c’était la mosquée de Paris, autre élément de notre patrimoine et de notre histoire.

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Le 7, Emmanuel Macron sera en quelque sorte le maître d’œuvre ; l’État remettra alors les clefs du chantier au client, l’Église. À l’Élysée, on annonce un grand discours sur le thème du « pari tenu ». Mais, connaissant Emmanuel Macron, on peut aussi espérer quelques envolées sur la France millénaire.

Cependant, quand il veut quelque chose, notre président renonce rarement. Il s’est donc aussi concocté une visite de chantier dès le 29 novembre. Il l’aura donc bien, son grand moment dans la nef de Notre-Dame. En petit comité, bien sûr : juste les 2000 compagnons qui ont travaillé sur le chantier, les donateurs (c’est-à-dire tout le gratin des affaires), quelques invités… et les caméras de télévision. Une cérémonie intime !

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Qu’Emmanuel Macron veuille profiter de la réouverture de Notre-Dame pour renouer avec les Français, que ces derniers lui soient un peu reconnaissants pour avoir tenu les délais, c’est légitime. Il l’avait promis, il l’a fait. Cinq ans après, Notre-Dame de Paris renaît de ses cendres et on le doit largement à sa volonté. Par ailleurs, le président de la République n’a pas tant d’autres grands succès éclatants ou réalisations à montrer… En plus, il nous a épargné le « geste architectural » dont il nous menaçait. La flèche de Viollet-le-Duc a été restaurée à l’identique.

On dit de moi que je suis intransigeante sur la laïcité. Et on s’étonne que cela ne me choque pas que le président Macron assiste à la messe du 8 décembre. Intransigeante ne signifie pas extrémiste ou obtuse. La séparation entre l’Église et l’État signifie que l’État n’obéit pas aux lois de dieu et ne se mêle pas des affaires des églises, sauf pour vérifier qu’elles respectent bien sa loi. Cela ne signifie pas qu’ils ne se parlent jamais. Ni que nos élus n’ont pas le droit d’aller à la messe. Le général De Gaulle y allait, par exemple, même si en public, il ne communiait pas.

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Enfin, en France, le catholicisme n’est pas une religion parmi d’autres. C’est notre ADN, notre terreau culturel, notre inconscient anthropologique. Notre-Dame, c’est notre inscription dans l’Histoire, c’est la France éternelle. Ses cloches ont sonné les grandes heures de la nation, de la fin de la guerre de cent ans à la Libération de Paris. Quand Emmanuel Macron ne sera plus qu’un chapitre dans les livres d’histoire (et la plupart d’entre nous, même pas une note de bas de page…), Notre-Dame sera toujours là.

Reste à espérer que le président Macron soit touché par la grâce et l’esprit saint, et qu’il renonce à son funeste projet de remplacer les vitraux de Viollet-le-Duc, pourtant restés intacts après l’incendie, par les œuvres d’artistes à la mode comme Buren ou d’autres. Parfois, la plus belle trace qu’on puisse laisser dans l’histoire, c’est d’avoir l’humilité de ne rien changer.


Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Sud Radio

Une réac nommée Fourest

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Caroline Fourest © Hannah Assouline

Caroline Fourest continue à approuver MeToo mais pointe, dans son nouveau livre, la dérive fanatique de certains de ses zélateurs. Une nuance inadmissible pour les défenseurs de la cause : les néoféministes et la presse comme-il-faut lui tombent dessus. Alerte : Caroline a viré à droite.


Pour la promotion de son livre Le Vertige MeToo, la journaliste et militante féministe Caroline Fourest prend soin de préciser qu’elle ne souhaite pas être récupérée par les anti-MeToo. Elle souhaite rester dans le camp du bien. Elle ne dénonce pas ce mouvement de « libération de la parole », elle pointe les dérives de certains fanatiques.

Social-traître

Raté chère Caroline ! Bienvenue dans le camp du mal. Quiconque émet la moindre nuance sur les méthodes du mouvement est un ennemi du Parti. La guerre des féministes est déclarée ! Et le féminisme « modéré », « raisonnable », celui de Fourest, ne fait pas le poids face au féminisme fasciste du camp woke. Libé, Les Inrocks, Mediapart, L’Obs, Télérama, Arrêt sur image ou encore L’Humanité, tombent à bras raccourcis sur la social-traître. Dans Les Inrocks, on qualifie le livre de Fourest de « brûlot réactionnaire ». Libé déplore son « virage à droite » et l’accuse de « minimiser les violences ». Le journal qui naguère publiait les annonces sexuellement déjantées de la rubrique « Chéri(e)s » lui reproche également de penser que toutes les violences sexuelles n’ont pas la même gravité, donc de nier le « continuum à l’œuvre, c’est-à-dire le lien entre le harcèlement, l’agression sexuelle et le viol qui, ensemble, constituent un système ». Fourest refuse de mettre dans le même panier Monsieur Pélicot et Nicolas Bedos, Émile Louis et Édouard Baer, Harvey Weinstein et Ibrahim Maalouf. En fait, elle n’a tout simplement pas l’air de haïr les hommes. Elle semble même avoir un peu de pitié pour ceux qui sont brûlés en place publique pour une simple accusation sans preuve. Caroline a un petit cœur, et ça, la révolution ne le lui pardonnera pas. On se croirait dans le roman Uranus de Marcel Aymé, dans ce village de Blémont, juste après la guerre, en pleine épuration. Aymé y raconte le climat de terreur, les accusations mensongères, le mal fait au nom du bien. Il raconte également la guerre entre communistes sincères, honnêtes, et communistes zélés, tartuffes utilisant la casquette du Parti pour leurs propres intérêts, pour nuire, pour une petite place et un peu (beaucoup) de pouvoir. La même ambiance délétère transparaît dans certaines déclarations de Fourest : « Comment protéger MeToo de ces opportunistes, de ceux qui l’instrumentalisent, de ceux qui le mettent à toutes les sauces pour régler des comptes, dégager, prendre des postes ? » Eh oui ! La révolution lui échappe, le monstre se retourne contre elle. Je ne m’en réjouis pas. Quoique… je me sens moins seul ! Le traitement qu’elle subit sur certains plateaux me rappelle celui auquel j’ai eu droit lorsque je défendais la tribune de soutien à Gérard Depardieu. Sur le service public, on la reçoit en se bouchant le nez. Dans l’émission « En société », sur France 5, la présentatrice Émilie Tran Nguyen cuisine Fourest : « Donc il faut douter de la parole des femmes ? » Etl’avocate Anne Bouillon de renchérir « Une parole, a priori, ce n’est pas parce qu’elle vient d’une femme qu’elle ne doit pas être crue. Et c’est un peu le message que vous véhiculez. » Caroline est accusée d’accuser toutes les femmes d’être des menteuses ! Comme avec moi et tant d’autres, on lui reproche des propos qu’elle n’a jamais tenus. Nous parlons pourtant clairement. Mais ce que nous disons – et nous ne disons pas la même chose – est aujourd’hui inaudible. On ne veut pas l’entendre, on le déforme, on l’exagère, on le défigure. Je ne serais pas surpris que Caroline Fourest se prenne à son tour son petit MeToo. Non que j’aie eu vent d’un quelconque comportement déplacé de sa part, mais parce que dans la MeToo Family, l’accusation d’agression sexuelle est devenue un instrument de vengeance, de punition.

La meute a changé de camp

Cela fait longtemps que nous autres, anti-MeToo officiels et assumés, disons que les hommes ont peur. On nous a traités de délirants. Fourest, aujourd’hui, ne dit pas autre chose lorsqu’elle parle de « comédiennes qui passent du statut de victime au statut de procureur », qu’elle affirme : « la honte a changé de camp et je m’en réjouis, mais en même temps la meute a changé de camp », ou encore « nous sommes passés d’une société de l’honneur imposant le bâillon à celle de la pureté maniant le bûcher et la délation ». Je le répète ici, les hommes, surtout médiatiques, riches ou puissants, ont peur de se voir accusés publiquement d’agression sexuelle quand bien même ils n’ont rien fait de répréhensible. Qui pourrait envier leur place ? Oui, nous vivons une période trouble. « Des gens qui s’improvisent féministes depuis quinze secondes, depuis que la peur a changé de camp. (…) On a des convertis un peu zélés qui étaient déjà, juste avant, du côté du pouvoir et de l’abus de pouvoir et qui ont juste changé de casquette. » Sur les plateaux de télé pullulent ces résistants de la dernière heure venant gratter leur petite part de pouvoir et leur droit afférent à punir, détruire, humilier. N’oublions pas le propos d’Emmanuelle Devos pour défendre MeToo : « Bien sûr qu’il y a des têtes qui vont tomber qui n’auraient pas dû tomber, mais ça, ce sont les révolutions. C’est comme ça. » Pour des révolutionnaires, un innocent en prison ou banni de la société, ça n’est pas grand-chose.

Blasphématrice!

Fourest se voit vomie, piétinée, calomniée, éjectée du camp féministe. Le féminisme, ce n’est plus elle, c’est Judith Godrèche. Sainte Judith répond à Caroline la blasphématrice, qui ose critiquer ses méthodes : « Aujourd’hui en France, les conservateurs et conservatrices de tous poils osent moins s’opposer frontalement à MeToo. Mais leur tactique c’est de revendiquer un juste milieu, contre les excès de MeToo. (…) Et bien sûr, quand on veut discréditer une victime sans s’en prendre ouvertement à elle, pour ne pas avoir l’air antiféministe, on l’accuse d’être une marionnette. C’est ce qu’on dit de moi. C’est ce qu’elle dit de moi. Mais n’est-ce pas là le sexisme le plus cru ? » Caro a décroché le cocotier ! Décorée du titre de « sexiste » par Sa Majesté Godrèche en personne ! Fourest semble secouée. Bien qu’ayant déjà affronté les catholiques intégristes, les homophobes et les islamistes, c’est, dit-elle, le livre le plus difficile qu’elle ait eu à écrire. Eh bien, qu’elle soit remerciée, car ce livre est un cadeau inestimable pour tous les dissidents de MeToo, une arme qu’ils utiliseront en hurlant – avec force et joie ! – « Et c’est une féministe qui l’écrit ! »

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«Chaque euro versé à l’UNRWA est un euro contre la paix»

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Distribution de nourriture aux Palestiniens de Gaza au centre de distribution de l'UNRWA à Deir al-Balah, 28 septembre 2024 © Omar Ashtawy/AP/SIPA

Israël a interdit à l’UNRWA d’exercer ses activités sur son territoire. L’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, notoirement corrompue par le Hamas, œuvre depuis sa création à délégitimer l’État hébreu, quand elle n’aide pas à le combattre. Le directeur d’UN Watch témoigne.


Basée à Genève, UN Watch est une ONG d’un genre particulier. Fondée en 1993 par un ancien président de l’American Jewish Committee (l’avocat Morris Abram), elle surveille en permanence l’action de l’ONU et apprécie la façon dont elle respecte sa propre Charte. Autant dire que le travail ne manque pas ! Les experts d’UN Watch épinglent régulièrement l’une des principales branches de l’ONU, le Conseil des droits de l’homme, par exemple quand il déroge à ses propres critères d’admission en acceptant des pays comme la Chine, Cuba ou le Venezuela, qui sont évidemment loin de respecter les principes fondateurs de « contribution à la promotion et à la protection des droits de l’homme ». Également dans le collimateur de l’ONG : le traitement pour le moins inéquitable d’Israël. Nous avons interrogé le directeur d’UN Watch, l’avocat canadien Hillel Neuer.


Causeur. Dans les publications d’UN Watch, l’ONU est présentée comme une organisation subissant de plein fouet l’emprise toxique de ses États membres les plus despotiques. N’exagérez-vous pas un peu ?

Hillel Neuer. DR.

Hillel Neuer. 60 % des États membres du Conseil des droits de l’homme sont des régimes autoritaires. Cette position de force leur assure un large pouvoir de nomination dans les instances onusiennes, où l’on retrouve des cadres et des experts qui, quoique souvent occidentaux, partagent leur aversion pour la démocratie et les valeurs libérales. Un cas typique est celui de Jean Ziegler, ce sociologue suisse, altermondialiste et anticapitaliste, qui est depuis 2009 vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme, notamment grâce au parrainage de Cuba. Les institutions de l’ONU ont fini par tomber sous la coupe d’une alliance funeste entre dictateurs et militants ayant en partage la haine de l’Occident.

Pourquoi cette alliance s’acharne-t-elle contre Israël en particulier ?

Parmi les 193 États membres de l’ONU, 56 sont des régimes islamiques et n’ont de cesse de porter devant l’Assemblée générale des résolutions qui condamnent Israël.

Mais ils ne représentent qu’un quart des votes. Ce n’est pas assez pour obtenir la majorité en Assemblée générale…

Le problème, c’est qu’il règne, à l’ONU, la culture du « vote trading » [« commerce du vote », NDLR]. Voici schématiquement comment cela se passe : si vous êtes un État membre et que vous voulez obtenir l’appui des 56 pays islamiques lors d’une délibération qui vous tient à cœur, il vous suffit, en échange, de les soutenir dans l’une des causes qui leur tiennent le plus à cœur, la lutte contre l’ennemi sioniste. À quoi s’ajoutent les moyens de pression économiques dont dispose le monde arabe. De nombreux pays savent qu’ils se procureront plus facilement du gaz et du pétrole auprès des monarchies du Golfe s’ils prennent position contre Israël. Ou qu’ils bénéficieront davantage de la manne d’un fonds souverain comme celui du Qatar. Autre source de motivation : la peur des attentats islamistes. Cette attitude de soumission est très répandue dans les chancelleries, à quelques exceptions près comme celles de la République tchèque, d’Argentine ou des États-Unis. Enfin, certaines positions anti-israéliennes soutenues à l’ONU s’expliquent par une dimension proprement irrationnelle, je veux parler du vieux fonds d’antisémitisme occidental qui remonte bien souvent à la surface.

Parmi les experts occidentaux que vous évoquez, il y en a une particulièrement virulente à l’égard d’Israël. C’est la juriste italienne Francesca Albanese, qui a été nommée en 2022 « Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 ». Quelle est sa motivation ?

La motivation de tous ces rapporteurs spéciaux est surtout idéologique, car les postes qu’ils occupent ne sont pas rémunérés par l’ONU. Albanese partage sa haine d’Israël avec son époux, l’économiste Massimiliano Calì, ex-conseiller au ministère de l’Économie nationale de l’Autorité palestinienne. Tous les deux adhèrent à l’idéologie anti-occidentale, anti-américaine et anti-israélienne, et manient tous les tropes antisémites classiques, qui consistent à comparer les Israéliens aux nazis et à décrire les juifs comme responsables de leurs propres malheurs – ce qu’on appelle l’« Holocaust inversion ». Dans ses publications sur les réseaux sociaux, Albanese affirme que les États-Unis ou la BBC sont les jouets du « lobby juif ». Elle est également intervenue dans un colloque organisé par le Hamas en novembre 2022. Elle y a déclaré : « Vous avez le droit de résister. » Pire encore, en février dernier, quand Emmanuel Macron a qualifié le 7-Octobre de « plus grand massacre antisémite de notre siècle », elle a objecté sur X (ex-Twitter) : « Les victimes du 7/10 n’ont pas été tuées à cause de leur judaïsme, mais en réaction à l’oppression d’Israël. » D’ailleurs, elle est le seul rapporteur de l’ONU à avoir été condamnée par des Etats-membres – une fois par l’Allemagne et deux fois par la France.

En tout cas, alors qu’il y a plus de 70 experts inconnus nommés par l’ONU, Albanese jouit d’une grande notoriété…

Une chose est sûre : cette notoriété n’est pas le fruit de la compétence. Albanese n’est pas une interlocutrice fiable. Elle ne respecte pas l’obligation, induite par sa fonction, de vérifier les informations qu’elle relaie. Prenez le bombardement de l’hôpital Al-Ahli Arabi à Gaza, le 17 octobre 2023 : elle n’a pas hésité à affirmer que l’auteur était l’armée israélienne alors qu’il s’agissait en réalité du Jihad islamique palestinien. Si Albanese est célèbre, c’est grâce aux tribunes que lui offrent les médias et les campus occidentaux. Elle est régulièrement publiée dans The Guardian et interrogée par France 24. Fin octobre, elle a commencé une tournée aux États-Unis. Au programme : discours au siège de l’ONU devant le Comité des droits de l’homme, puis interventions dans de prestigieuses universités du pays comme Georgetown ou Princeton. UN Watch appelle Washington à l’interdire de séjour sur le sol américain. Le 23 octobre, nous lui avons consacré un rapport de 60 pages, au titre éloquent : « A wolf in sheep’s clothing » [« Un loup déguisé en agneau », NDLR].

Pourquoi UN Watch critique-t-il l’UNRWA, l’agence des Nations unies chargée des réfugiés palestiniens ? N’accomplit-elle pas une mission essentielle et salutaire ?

L’UNRWA a été créée en 1949 pour aider les Palestiniens déplacés par la guerre de 1948 à se réinstaller dans de nouveaux lieux d’existence où ils pourraient jouir de tous leurs droits. Mais très vite, elle s’est mise au service d’une version pathologique de leur cause. Aujourd’hui encore, des vidéos montrent des écoliers gazaouis, inscrits dans les établissements gérés par l’UNRWA, qui affirment que leur vraie maison n’est pas à Gaza, mais à Haïfa ou à Tel-Aviv. Il faut dire que l’UNRWA conforte leurs parents dans cette idée et que depuis soixante-quinze ans, elle piétine sa mission d’aide à la réinstallation, contrairement au HCR, l’agence des Nations unies qui s’occupe de toutes les autres personnes déplacées dans le monde, et qui réinstalle avec succès les réfugiés syriens, soudanais ou ukrainiens au Canada, en France ou ailleurs, où ils deviennent des citoyens à part entière. L’UNWRA est donc l’ennemie de la solution à deux États, l’ennemie de la paix. Sa collusion avec le Hamas est évidente. Par exemple, il y a peu, encore, le chef du Hamas au Liban, Fathi al-Sharif, n’était autre que le président du syndicat local des professeurs d’école de l’UNRWA. Quand il est mort, tué par une frappe aérienne israélienne le 29 septembre, le Hamas l’a reconnu. De la même façon, l’UNRWA nie avoir été au courant de l’existence d’un tunnel creusé par le Hamas sous son propre siège à Gaza, alors que le parking s’enfonçait notoirement dans le sol…

Comment les dirigeants de l’UNRWA ont-ils pu ignorer ou cacher ces faits ?

Par une forme de complicité dont ils bénéficient en haut lieu. L’UNRWA a invité cette année l’ancienne ministre des Affaires étrangères française, Catherine Colonna, à faire un audit de sa neutralité. Or cette évaluation supposément indépendante a été conduite par des membres de trois instituts scandinaves (l’Institut Raoul Wallenberg en Suède, l’Institut Chr. Michelsen en Norvège et l’Institut danois des droits humains) dont le personnel a pris par le passé des positions anti-Israël et pro-UNRWA connues de tous. De notre côté, nous avons bien essayé d’éclairer Mme Colonna en lui envoyant un document de 25 pages, mais il est resté lettre morte. Son rapport final a été remis à l’ONU le 22 avril et, en dépit de certaines critiques, sa tonalité générale est de déclarer l’UNRWA « irremplaçable et indispensable ». L’objectif de cet audit est de faire changer d’avis les pays occidentaux qui ont suspendu depuis quelques années leur financement de l’UNWRA. Nous alertons régulièrement les ministères des Affaires étrangères de pays comme la France ou le Royaume-Uni quant aux véritables activités de l’UNRWA, mais ils nous ignorent, ce qui pour moi est très significatif.

L’ONU est présente au Liban à travers les troupes de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL). Cette dernière remplit-elle convenablement sa mission ?

De même que le Hamas a corrompu l’UNRWA, le Hezbollah a au moins partiellement corrompu la FINUL. En vertu de la résolution 1701 de l’ONU de 2006, la FINUL devait assurer le désarmement du Hezbollah. Or, non seulement celui-ci n’a pas été désarmé, mais au début du conflit actuel, il disposait de plus d’armes – de missiles notamment – que jamais. Nous avons recueilli le témoignage d’un militaire danois qui affirme que tous les déplacements de la FINUL sont contrôlés et encadrés par le Hezbollah, et que toute plainte à propos des armes du Hezbollah est ignorée par la FINUL.

Quelles sont les solutions selon vous ?

Il faut des changements radicaux. Premièrement, Francesca Albanese devrait être démise de son statut à l’ONU et poursuivie en justice pour antisémitisme et incitation à la haine raciale. Deuxièmement, l’UNRWA, dont le véritable but est de démanteler l’État d’Israël, devrait être dissoute. Chaque euro qui lui est versé est un euro contre la paix. Les activités humanitaires en faveur des Palestiniens peuvent tout à fait être gérées par d’autres agences de l’ONU. Les Gazaouis ne doivent plus être traités comme des réfugiés, mais comme les citoyens des pays où ils vivent. Enfin, troisièmement, il est difficile de voir comment on pourrait sauver la mission de la FINUL. Cette dernière n’inspire plus aucune confiance aux autorités de l’État hébreu, qui ne peuvent pas autoriser les 80 000 réfugiés israéliens du nord du pays à retourner vivre chez eux tant qu’ils seront menacés par le Hezbollah.

Transition d’un genre écolo

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En Belgique, les récents propos tenus par le professeur Pierre Stassart sur l’anthropocène, ce fameux désordre planétaire inédit, font réagir. Il les a depuis corrigés. Mais, nous aurions tort de nous moquer de cette polémique en tant que Français.


L’université de Liège vient d’instaurer un nouveau cours portant sur « les questions de durabilité et de transition ». Cet enseignement, obligatoire et interdisciplinaire, comporte des conférences sur « les limites planétaires », des « activités locales en faveur de la durabilité » et des exposés sur « l’éco-anxiété et les changements climatiques ». Un cours a déjà fortement impressionné les étudiants, celui du professeur Pierre Stassart. Ce sociologue de l’environnement affirme ne plus vouloir « masquer les profondes inégalités quant aux responsabilités intrinsèques face aux perturbations environnementales à l’échelle planétaire ». Selon lui, tout est la faute de « l’homme blanc, chrétien et hétérosexuel ».

Alertée par des étudiants, la députée Stéphanie Cortisse a dénoncé la dérive wokiste de l’université de Liège et réclamé des comptes à sa rectrice, Anne-Sophie Nyssen, qui a botté en touche au nom de la liberté académique. De son côté, M. Stassart a assuré que ce qu’il professe est « factuellement validé par la communauté scientifique ». La révolution industrielle serait donc à l’origine d’une nouvelle ère géologique (ou Anthropocène) et aurait été « menée par des hommes blancs mais aussi chrétiens parce que c’est au nom de la religion que l’Europe a colonisé d’autres parties du monde en lui imposant son système capitaliste ».

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À la sottise écolo-woke, le sociologue ajoute l’ignorance historique. Reste l’évocation étrange de l’hétérosexualité. « C’était le modèle de base de l’époque », explique sans rire M. Stassart qui ajoute que, devant les « réactions d’incompréhension », il remplacera dans ses prochains cours le terme « hétérosexuel » par… « patriarcal ».

Cette nouvelle histoire belge aurait pu nous amuser si la folie écolo nous avait épargnés. Après Sciences-Po, l’université Sorbonne Paris Nord imposera prochainement à tous ses étudiants une formation sur la « transition écologique pour un développement soutenable ». Au programme : ateliers « citoyens » sur le climat et séances de réflexion sur « l’accueil des émotions, dont l’éco-anxiété » et sur « la manière de mobiliser sa capacité d’action » – une formation de zadiste, en somme.

Hadrien Clouet: autopsie d’une insanité

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Le député toulousain LFI Hadrien Clouet, novembre 2022 © Juliette Avot/SIPA

Le député d’extrême gauche de Haute-Garonne a qualifié le ministre de l’Intérieur et certains journalistes de « petites frappes fascistes ». Son message visait à soutenir Marie Mesmeur, sa consœur d’Ille-et-Vilaine qui avait elle-même minimisé les incidents survenus aux Pays-Bas lors du match de football entre l’Ajax d’Amsterdam et le Maccabi Tel-Aviv. Au-delà du caractère outrancier de la saillie, la déclaration étonne surtout par sa paresse intellectuelle ou politique. M. Retailleau ayant signalé le tweet à la justice, il pourrait avoir à en répondre devant un tribunal. Analyse.


Il me prend assez souvent l’envie d’analyser, de disséquer des inepties politiques et médiatiques. Selon moi, évidemment, et mes convictions. Et ma conception du langage. Parce que cette habitude me permet de me replonger, toutes proportions gardées, dans l’exercice du commentaire de texte, que je prisais particulièrement durant mes études de lettres supérieures. C’est le député LFI Hadrien Clouet qui s’est fait remarquer par ce tweet inepte : « Le ministre de l’Intérieur et ses journalistes de préfecture sont de petites frappes fascistes ». Bruno Retailleau qui ne laisse plus rien passer dès lors qu’une qualification pénale est possible, a évidemment signalé ce tweet à la justice.

Saillie infecte

Pour qui le lit et est de bonne foi, pourvu en même temps d’une culture historique élémentaire, le premier sentiment qu’il inspire est l’indignation même s’il faut économiser cette dernière en ces temps où on n’a que trop d’opportunités pour l’éprouver.

Mais il faut aller au-delà et se demander comment une telle absurdité a pu germer dans la tête d’un député dont les citoyens qui l’ont honoré par son élection attendaient sans doute autre chose que cette saillie infecte.

Je devine le genre d’argumentation qui pourrait être développé par ses soutiens et par lui-même. On est dans un combat politique et celui-ci justifie tout… Bien sûr que non. L’esprit partisan devient une honte quand il va jusqu’à de telles extrémités. On a le droit de ne pas aimer l’action de Bruno Retailleau mais le devoir d’exprimer autrement son opposition. On est sur un réseau social où insultes et grossièretés remplacent réflexion et courtoisie. Ce n’est pas une raison pour participer à ce délitement et, comme député, ne pas donner l’exemple.

Les outrances de LFI sont quotidiennes

Le groupe LFI s’est fait une spécialité de ces violences par tous moyens. Ce qui compte est de faire parler de soi. Mais je ne crois pas qu’on puisse excuser les insanités de quelques-uns parce que tous les profèrent – ou seraient capables de le faire. Ce n’est pas exact et pour ma part je refuserai toujours de mêler tous les députés LFI dans le même opprobre. Hadrien Clouet, tweetant ainsi, imite les pires de ses collègues. Mais il en est d’autres dont le comportement plus retenu, au moins dans la forme, aurait dû l’inspirer.

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Ces justifications périphériques écartées, cherchons en et chez Hadrien Clouet lui-même les motifs allégués de ce tweet bête et odieux.

Questionné par Jean-Jacques Bourdin sur Sud Radio, il a affirmé que Bruno Retailleau, en ayant dénoncé « les Français de papier », nous avait renvoyé aux années 30 en même temps que son mépris de l’État de droit, selon lui, était scandaleux. Lamentables arguties qui n’atténuent en rien la portée de son tweet infâme! Je ne peux pas croire que, dans son for intérieur, il n’ait pas perçu la sottise de « ses journalistes » et le délire à la fois historique et gravement offensant de « petites frappes fascistes ». S’il n’en était pas conscient, ce serait inquiétant. À partir de quel élément ce député a-t-il osé qualifier de « petites frappes » Bruno Retailleau et ces journalistes ? « Petites frappes » signifiant « délinquant ordinaire, occasionnel (…) jeune voyou, pas trop dangereux », il n’y a rigoureusement aucun lien entre cette disqualification et les personnes ciblées. Convient-il d’admettre que ce député se laisse dériver et que sa jouissance serait d’insulter de la manière la plus aberrante qui soit ? On peut le craindre quand pour faire bonne mesure, il ajoute « fascistes » à petites frappes !

Un propos paresseux

Avec cet adjectif tout est dit, il se substitue paresseusement à une contradiction républicaine : le ministre et les journalistes sont à la fois des délinquants et des partisans du fascisme. L’injure suprême est lancée et Hadrien Clouet n’a plus qu’à constater le résultat de sa totale inculture historique : il a fait le « buzz » et, plus gravement, employé un terme qui à force d’être galvaudé, atténue l’horreur du passé et n’éclaire pas le présent.

Je répugne à m’abandonner à une explication ultime qui s’accorderait avec mon pessimisme sur la nature humaine : Hadrien Clouet ne serait-il pas, en l’occurrence, tout simplement « mauvais », par cette dilection qui nous pousse parfois à franchir voluptueusement les limites de son propre humanisme ?

Ce tweet, en tout cas, est une honte à plus d’un titre. Si j’ai pris la peine de lui consacrer un billet, c’est pour prévenir cette attitude qui consiste à se flatter des insanités qu’on prononce et, dans leur dénonciation, à les noyer dans une sorte de vague réprobation au lieu de s’attacher aux détails de leur ignominie. J’espère que la Justice fera de ce tweet à la fois bête et abject une analyse pertinente.