Les « zones à faibles émissions » seront imposées dans toutes les agglomérations d’ici 2025. Objectif: bannir les vieilles bagnoles des centres-villes. Tous les Français ne pouvant s’offrir une voiture « propre » seront donc interdits de circulation. Pas sûr que la France qui roule au diesel et fume des clopes se laisse faire sans broncher.
Si le sigle ZFE ne vous dit rien, un peu de patience, vous allez en souper. Ces « zones à faibles émissions » (ZFE ou « ZFE-mobilité »), c’est-à-dire des zones interdites aux vieilles bagnoles, se mettent petit à petit en place. Lorsqu’elles seront pleinement en fonction, des millions de Français, trop pauvres pour se payer une électrique, seront purement et simplement interdits de centre-ville.
Née en Suède en 1996, la ZFE est adoptée dès 2003 par le Royaume-Uni. En France, la loi d’orientation des mobilités (LOM) du 26 décembre 2019, et la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 imposent la mise en place de ces zones avant le 1er janvier 2025 dans toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants.
Danger sanitaire
Selon le gouvernement, il s’agit de nous protéger des effets néfastes sur notre santé des particules fines (PF), une catégorie de particules en suspension dans l’air ambiant. Leurs dimensions et leur persistance durable à l’état d’aérosols leur permettent de s’infiltrer en profondeur dans les voies respiratoires. Selon leur degré de concentration et de toxicité, elles peuvent provoquer des pathologies plus ou moins graves.
Les données supposées légitimer les ZFE sont très alarmantes. En mars 2014, l’Organisation mondiale de la santé estime que la pollution aux PF aurait causé 7 millions de morts prématurées en 2012 dans le monde et, en 2016, l’Agence nationale de santé publique affirme qu’elle est responsable d’au moins 48 000 morts prématurées annuelles en France. Une partie significative de cette mortalité est attribuée aux particules émises notamment par les véhicules à moteur diesel. Ainsi peut-on lire dans Le Monde du 27 février 2019 : « Avec 48 000 morts par an, l’exposition aux particules fines peut réduire l’espérance de vie de deux ans dans les villes les plus polluées, selon une étude de 2016. » En 2022, Santé publique France réévalue l’impact de la pollution atmosphérique sur la mortalité annuelle en France métropolitaine pour la période 2016-2019. Il en ressort que chaque année, près de 40 000 décès seraient attribuables à une exposition aux PF des personnes âgées de 30 ans et plus, qui subiraient une perte d’espérance de vie moyenne de près de huit mois.
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Ces données interrogent, car la mortalité a baissé de plus de 20 % avant la mise en place des ZFE (à part l’expérience parisienne). Concernant Paris, l’ORS (Observatoire régional de santé) Île-de-France a publié le 10 février 2022 des données montrant qu’entre 2010 et 2019, le nombre annuel de décès attribuables à l’exposition prolongée aux particules fines est passé de 10 350 à 6 220 (une baisse de 40 %). Dans ces conditions, on peut d’autant moins attribuer ces résultats à l’introduction de la ZFE en 2015, qu’elle n’est que très moyennement respectée à ce jour.
Les recherches scientifiques en santé publique reflètent cette interrogation. Ce que constate le Journal of Medical Toxicology[1] : « Les données démontrent une relation dose-dépendante entre les PF et les maladies humaines, et l’éloignement d’un environnement riche en PF diminue la prévalence de ces maladies. Bien que des études supplémentaires soient nécessaires pour élucider les effets de la composition, de la chimie et de l’effet des PF sur les populations sensibles, la majeure partie des données montre que l’exposition aux PF entraîne une augmentation faible mais significative de la morbidité et de la mortalité humaines. »
Évidemment, tout le monde peut s’offrir une nouvelle voiture !
Aujourd’hui des ZFE existent déjà dans une dizaine de métropoles (parmi lesquelles Lyon, Strasbourg, Toulouse, Nice, Marseille, Montpellier, Rouen), mais l’automobiliste impénitent qui n’a pas eu le bon goût de se payer une nouvelle voiture bénéficie encore d’une tolérance. Les verbalisations pour non-respect des restrictions de circulation dans les ZFE tomberont dès la fin de l’année 2024.
Concrètement, comment fonctionnent-elles ? À la base du système se trouve le certificat qualité de l’air (« Crit’Air »), délivré à partir de la carte grise du véhicule, qui atteste de son niveau d’émission de polluants. Tous les véhicules routiers motorisés sont concernés. Ainsi, chacun devra afficher un autocollant coloré (la vignette ou pastille Crit’Air), qu’on pourra commander en ligne.
Instaurée en France en juin 2016, la vignette Crit’Air visait à différencier les véhicules en fonction de leur âge et des normes de pollution auxquelles ils répondent. Les véhicules les moins polluants obtiennent la vignette Crit’Air 0 (réservée aux modèles électriques ou à pile à combustible) alors que les plus polluants reçoivent la vignette Crit’Air 5 ou sont non classés (diesel d’avant 2001 et essence d’avant 1997).
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Le gouvernement prévoit une entrée en vigueur progressive des interdictions à partir de 2023, à quoi s’ajoute un zonage précis dans les quartiers les plus pollués. Cependant, pour de nombreux maires, ces ZFE représentent un casse-tête : comment surveiller le flux ? À terme, les ZFE seront surveillées par des caméras qui assureront la verbalisation des contrevenants, selon le principe contrôle-sanction automatisé. Mais qui paiera l’installation et l’entretien ? La malheureuse affaire des portiques écotaxe est toujours dans les esprits…
Surtout, leur mise en place risque de cristalliser l’opposition de ceux qui n’ont pas les moyens ou l’envie d’acheter un véhicule récent. Même à Bordeaux, où la municipalité écologiste s’active depuis son élection à pénaliser les plaisirs simples comme le sapin de Noël, il n’y a toujours pas de ZFE. Si le périmètre concerné a été défini (il sera limité à l’intérieur de la rocade), des discussions sont encore en cours pour déterminer le calendrier de mise en place et des restrictions/interdictions de circulation afférentes.
Cela ne surprendra pas les Parisiens et les banlieusards qui subissent depuis des années l’idéologie d’Anne Hidalgo et de son équipe, la capitale est à la pointe de ce progrès contestable. Paris a interdit les Crit’Air 4 (diesel d’avant 2006) dès le 1er juillet 2019. Les Crit’Air 3 (moteurs essence d’avant 2011 et diesel d’avant 2006) devaient y être proscrits mais, à en croire le gouvernement, ils viennent de bénéficier d’un sursis jusqu’en 2024, « après les Jeux olympiques ». Dans le calendrier initial, les véhicules à vignette Crit’Air 2 devaient, eux, être interdits dès 2024, mais ils pourraient également bénéficier d’un sursis.
Quartiers privés
À Marseille, depuis le 1er septembre 2022, il n’est plus possible de rouler dans la ZFE avec un véhicule non classé ou Crit’Air 5. Il en sera de même pour les Crit’Air 4 dès le 1er septembre 2023, puis pour les Crit’Air 3 un an plus tard. Lyon suit un calendrier similaire, mais refuse pour l’instant de donner une date d’interdiction précise pour les Crit’Air 3 et Crit’Air 2 (qui seront progressivement interdits entre 2023 et 2026, annonce la mairie). À Rouen comme à Paris, il est déjà interdit de rouler dans la ZFE avec un véhicule Crit’Air 4. À Grenoble, les Crit’Air 5 ne seront proscrits qu’en 2023 et les Crit’Air 4 en 2024. À Toulouse, les premières restrictions arriveront en 2023. Et partout dans le pays, les métropoles prévoient d’interdire toutes les autos n’arborant pas une Crit’Air 0 avant 2030. Ce qui signifie qu’à cette date, il ne sera théoriquement plus possible de rouler dans les ZFE durant la semaine entre 8 et 20 heures avec une voiture équipée d’un moteur thermique.
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En ce début 2023, les véhicules les plus polluants (Crit’Air 3, 4, 5 et non classés) représentent encore presque 40 % du parc français de voitures particulières. D’où le dilemme et les palinodies des pouvoirs publics. D’un côté, le 17 octobre dernier, le Conseil d’État a condamné l’État à payer 20 millions d’euros pour n’avoir pas suffisamment agi contre la pollution de l’air ; et de l’autre, on ne peut exclure des grandes villes ceux qui n’ont pas les moyens d’acquérir une voiture neuve. En tout cas, on ne devrait pas pouvoir, mais on peut envisager que les technos qui nous gouvernent décident sur un coin de table d’interdire les villes aux cochons de pollueurs. Qu’ils aillent se plaindre sur les ronds-points ! Pour le moment, dans la plupart des villes ayant créé leurs ZFE, les verbalisations sont rares. Tout le monde semble attendre l’arrivée, fin 2024, de dispositifs de verbalisation automatique, impliquant la pose de portiques et/ou de caméras. Le tarif pour les contrevenants sera de 68 euros – curieusement, on n’a pas ressuscité l’amende à 135 euros infligée durant le confinement aux sorteurs intempestifs.
L’amélioration de la qualité de l’air – notamment la baisse de la présence de particules émises par les moteurs diesel –, incontestable, est surtout le résultat du renouvellement graduel du parc automobile et du développement de l’offre de transport public – développement aujourd’hui enrayé par la pénurie de conducteurs. Les mesures ZFE, très contraignantes pour les automobilistes, mais aussi pour les municipalités qui devraient les gérer (et les financer), ne présentent donc pas une efficacité particulière. Tout ça pour ça ! Dès lors que le principal problème est le diesel dont les ventes et la part dans le parc automobile ne cessent de baisser et que le moteur thermique est condamné à l’horizon de 2035 (en supposant que cela reste d’actualité), il serait plus simple et moins coûteux d’aider les gens à changer de voiture plutôt que de se barricader à grands frais contre l’invasion fantasmagorique de pollueurs dont la colère, le moment venu, pourrait faire passer les Gilets jaunes pour d’aimables promeneurs du samedi.
[1] Jonathan O. Anderson, Josef G. Thundiyil & Andrew Stolbach, « Clearing the Air: A Review of the Effects of Particulate Matter Air Pollution on Human Health », Journal of Medical Toxicology, 2012