Zobain, l’histoire d’un désamour


Zobain, l’histoire d’un désamour

raymond guerin zobain

Raymond Guérin (1905-1955) n’a décidément pas eu de chance. Quinze ans avant son internement dans un camp de prisonniers allemand, dont il tirera les lignes de Représailles (Finitude, 2006), l’écrivain bordelais a expérimenté les affres de la vie conjugale. Essuyant les plâtres du mariage, le jeune Raymond n’a pas idée de ce qui l’attend lorsqu’il rencontre celle qui deviendra sa première épouse. Cette histoire lui inspirera Zobain, premier roman publié voilà quatre-vingt ans que l’excellente maison bordelaise La Finitude, éditrice de Jean-Pierre Martinet, a republié cet été. Zobain, c’est Raymond Guérin lui-même, tel que le surnommaient ses espiègles camarades moquant sa diction lorsqu’il prononçait : « Je vais-zo-bain ».

Le narrateur de ce vrai-faux roman épistolaire s’adresse à un ami imaginaire et destinataire de ses confidences de plus en plus désenchantées. Jeune marié, Zobain voit son épouse flancher un soir au restaurant, dans ce qu’il prend d’abord comme un symptôme de fatigue. Mais ce malaise cache un chancellement de l’âme, une fatigue d’être soi dont sa chère et tendre ne se remettra jamais tout à fait. Après quatre années de bonheur sans nuages, le narrateur s’interroge sur la soudaineté de cette maladie tant morale que physique qui sépare géographiquement les deux époux, nécessité de repos oblige.

La clé de l’histoire se cache dans l’intimité des deux amants – ou plutôt dans sa béance : quatre ans durant, Raymond/Zobain n’a pas daigné honorer sa femme, de peur d’effaroucher cette jeune fille d’apparence prude et fragile. « De cette amoureuse, je n’avais pas su faire une repue. Tant je la respectais, je n’avais jamais osé la traiter en vainqueur », se repent-il une fois que le mal a pénétré son couple. De médecin en cure à la campagne, de récriminations maternelles en vaines conversations conjugales, le héros se débat dans un labyrinthe dont il sortira seul et épuisé. La nuit de noces tant attendue aura attendu la maladie pour arriver, mais un mélange de maladresse, de brutalité involontaire et de lassitude partagée aura raison de cette passion fanée. « Nous avons déjà trente ans elle et moi. La moitié de notre vie est vécue. Rien ne nous rendra ces années. », s’en désole l’amer Zobain, avec le verbe précis de Guérin. L’auteur de L’Apprenti et des Poulpes vise le sort qui l’accable avec la froide résignation du condamné, avare de pathos : « Je ne crois pas au destin aveugle. Nous méritons toujours celui qui nous échoit. Moi le premier. »

Le style dépouillé de Zobain, qui ne connaît que de rares boursouflures, échappe aux vicissitudes du premier roman. Cette première grande œuvre est un coup de maître dont on chercherait en vrai les purulences nombrilistes et autres longueurs qui font le malheur du genre.

Pour ne rien gâcher, les éditions Finitude ont eu la riche idée de compiler en annexe quelques-unes des lettres de Raymond Guérin à sa première épouse, histoire d’ancrer la fiction dans la réalité. Le futur compagnon de route de Calet et de Malaparte s’y révèle fidèle à son protagoniste, aspirant à la paix de l’âme après avoir fait le deuil de son amour (é)perdu. Son double romanesque Zobain ne nous disait-il pas : « Je voudrais parvenir à un dépouillement de mon personnage, tel que je n’essayerais même plus de lutter contre la calomnie. Je me plairais à accomplir ou à tolérer ou à affirmer tout ce qui pourrait me nuire (…) Ainsi je serais aussi étranger qu’avant au chaos humain, à ses borborygmes mentaux, à ses délations, à ses souffrances, mais je serais le seul à le savoir.» ?

Côté cour, Raymond Guérin se consolera dans les bras d’une certaine Sonia Benjacob, sa seconde épouse et l’amour de sa vie qu’il protégera pendant l’Occupation, tandis que ses proches périront sous les coups de la répression nazie.  Ainsi va le destin.

Zobain de Raymond Guérin ( 20 août 2015 )

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