On savait déjà que les rebelles libyens étaient aussi courageux que sous-entraînés. On sait aussi qu’ils ne sont pas bien équipés. On découvre maintenant qu’il n’arrivent même pas à se mettre d’accord sur une chaîne de commandement unifiée.
Face au général Abdul Fattah Younès, formellement commandent en chef des forces du CNT, on trouve un autre chef de guerre, le général Khalifa Hifter, un officier supérieur qui a eu son heure de gloire durant les guerres du Tchad des années 1980. Entre les deux, le torchon brûle.
Le général Younès a deux handicaps dont le plus important est l’échec des forces armées sous son commandement. Le deuxième est son appartenance à l’ancien régime : Younès était le ministre de l’Intérieur de Kadhafi et rallia la révolution le 19 février. Très tôt donc, me direz-vous avec raison – sauf que son rival l’avait précédé de 25 ans… Le général Hifter a rompu avec Kadhafi suite aux guerres du Tchad et a dû fuir la Libye. Il a trouvé refuge aux Etats-Unis où il s’est installé dans l’état de Virginie, non loin de Langley, le QG de la CIA, comme ses détracteurs ne cessent de rappeler.
Hifter ne cache d’ailleurs pas sa collaboration avec les services américains et assoit ses revendications hiérarchiques sur son expérience du commandent de troupes sur le terrain ainsi que sur sa popularité chez de nombreux rebelles. A Benghazi dès que la rumeur a couru que Hifter risquait d’être désavoué par le CNT, ses supporters ont aussitôt manifesté et menacé de tuer quiconque osera toucher à leur héros.
Younès cumule des échecs mais jouit toujours de la confiance du CNT. Aux journalistes, il déclare être le chef suprême des forces armées. Hifter quant à lui, se dit seul et unique chef opérationnel, reléguant Younès au rôle assez subalterne de chef d’état-major, chargé de la logistique et de la formation[1. Pour compliquer encore les choses, Fawzi Bukatef, un ingénieur de Benghazi spécialiste du pétrole, a lancé sa propre école militaire où des volontaires apprennent les rudiments du maniement d’armes avant d’être envoyés au front. M. Bukatef est arrivé à mettre la main sur un container de 400 kalachnikov qu’il a confisqué pour équiper ses « conscrits ». On peut mieux comprendre comment les rebelles ont pu abattre le 19 mars leur propre chasseur bombardier…].
Cette crise de leadership est un moment de vérité pour le CNT. Une direction militaire consensuel et opérationnelle doit émerger rapidement de cette institution sans tête ni queue pour imposer une stratégie et un commandement unifié (compètent, si possible).
Sinon, il faudra bien leur imposer, pour leur propre sécurité une division de fait du pays.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !