Nos musées sont en train de se transformer en salles de yoga. L’esthétique cède la place au culte de soi.
Ces temps-ci, aller au musée est en passe de devenir un casse-tête. On n’a en effet que l’embarras du choix. Non pas quant à l’artiste à côtoyer ou aux œuvres à admirer, mais en raison des activités périphériques désormais proposées. L’art ne se suffisant sans doute plus à lui-même, la mode de l’agrémenter de pratiques annexes se répand à grande vitesse. Ainsi, au musée Fabre de Montpellier, des séances de yoga se tiennent devant les œuvres abstraites du plasticien Christian Jacquard.
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Même supplément orientalisant au menu d’autres lieux dont la liste s’allonge de jour en jour. Au musée d’Art moderne de Paris, ce yoga s’enrichit du qualificatif de « profond », alors qu’à la Cité de l’architecture et du patrimoine, ainsi qu’aux musées Delacroix et Henner, il se métamorphose en « yoga vinyasa ». On s’en réjouit. Au Louvre, qui donne lui aussi dans ces innovations, la Joconde n’en a probablement pas fini avec son petit sourire en coin. Au train où vont les choses, l’apparition d’ateliers french-cancan au musée Toulouse-Lautrec ne saurait être exclue. On peut se moquer de cette vogue, certes, mais au-delà de ces initiatives de bonne intention se profile le travers majeur des temps modernes : l’obsession de soi, un égocentrisme quasi névrotique. Le musée, la contemplation de l’œuvre d’art ne sont plus le lieu et le moment où l’on s’oublie soi-même pour s’immerger dans plus grand que soi, où l’on s’invite à espérer transcender sa condition d’humain bien ordinaire, mais le sanctuaire où l’on doit pouvoir persister dans l’illusion d’être le seul et unique héros de sa vie. Dès lors, fréquenter ces œuvres en sacrifiant à l’humilité heureuse d’admirer serait une perte de temps, de même que serait à proscrire toute activité n’étant pas consacrée in fine à cajoler l’ego. Alors oui, décidément, le moi est bel et bien haïssable. Surtout le moi en sueur…