Alors qu’il entretient le doute sur une éventuelle candidature à la présidentielle, et alors que son livre très attendu sort en librairie demain, le monde politico-médiatique se demande si Eric Zemmour est simplement un phénomène de début de campagne. Ou bien si c’est une tendance lourde qui répond aux attaques du « wokisme » et qui est là pour durer…
Au cours de l’émission du samedi 12 de C News, « Place aux idées », l’invité du jour, Pascal Bruckner dit cette chose énorme — c’est du lourd — que, oui, il y avait bien « un choc de civilisations » entre l’Europe et l’islam, quoi qu’ait dit et dise encore la gauche, qu’il n’était un secret pour personne que la Turquie, par exemple, rêvait de prendre sa revanche sur le second siège de Vienne, en 1683, en attendant la prise de Rome. Il a dit ça— énorme, le Bruckner— sur le ton calme et modéré qui sied à une chevelure blanchie sur les campus. Or, que disait-il de moins, de plus que ce que Zemmour nous répète inlassablement, mais en tirant de l’Histoire, sur un mode tragique, les dangers qu’un tel choc représente pour la France ?
Ce que fait Zemmour
La décision du CSA était prévisible—et nous rassure : nous sommes dans un régime démocratique où la parole est libre. La tribune de Philippe Bilger, dans le dernier numéro du magazine Causeur, fait une analyse juste et chaleureuse des potentialités politiques de Zemmour. En refusant la nuance, Z rend « simple ce qui est complexe, lisible ce qui est obscur, évident ce qui est occulté. » À savoir qu’il y a le feu à la Maison France. Quel politique, quel politologue, quel homme sensé pense et dit le contraire dans les forums ? Mais mezzo voce, sans insister sur les mots identité et civilisation. En disant « changement démographique » au lieu de grand remplacement. En distinguant précautionneusement musulmans et islam afin de ne pas affronter le tiers exclu : l’islamisation de la société. Bref, en ne sortant pas du politiquement correct.
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Et que fait Zemmour ? Du Woke. Il est radical voire brutal, fait tomber les masques, débusque la mauvaise foi derrière l’altruisme, dégoupille les mots, répète les évidences que l’on ne veut admettre, met sous les yeux ce qu’on ne veut pas voir, réveille les esprits. Et on l’écoute car il « jette dans le chaos et le désordre du monde… dans l’effrayante angoisse de notre pays, des pincées d’espérance. » Vous avez bien lu.
Une nation politique à l’identité contrariée
En France, nous passons notre temps à analyser : « les valeurs » de la République, nos libertés, celles des autres, nos droits, notre modèle démocratique, exportable partout. Là où Zemmour parle des femmes afghanes « bâchées de la tête aux pieds », ce qui n’est pas notre problème, BHL voit des femmes à émanciper et à secourir in situ. Les plateaux T.V. sont bourrés de politologues — comme il y eut des épidémiologistes. S’il est vrai que, depuis Athènes, la vie démocratique se caractérise par l’opposition entre parole et action, ce qu’on veut, en France, c’est parler à l’infini, « faire logos » partout, selon l’expression épatante d’une féministe, au Grand débat élyséen de 2019. Parce que parler, analyser, ergoter dispense de juger et de s’engager.
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Zemmour, lui, parle, beaucoup, en vue d’agir. Il agit déjà sur notre vie politique, en brisant les tabous et en cassant les codes. Il ne veut pas regretter, a-t-il souvent dit, comme l’historien Jacques Bainville, d’avoir « théorisé » au lieu de s’engager. Aussi force-t-il le trait car le temps presse. Ses obsessions sont justes. C’est le diagnostic qui importe. Ce que Bilger appelle « sincérité, absence de faux-fuyant, refus de l’argutie », c’est la lucidité et le courage. À l’époque du Grand Woke, Zemmour est un éveilleur. Il est normal qu’on le bâillonne.
Le CSA traite Z. comme un candidat. Sauf qu’on ne sait pas si Z. est candidat. Le Grand Méchant Loup va-t-il sortir du bois bientôt ? La seule question qui vaille est de savoir si le diagnostic de Z sur la France est justifié ou non. Et s’il a raison, dans le sommeil régnant, dans l’anesthésie généralisée des esprits, de nous réveiller, inlassablement, à cor et à cris. Ou s’il faut attendre la soupe populaire insipide qu’on nous servira lors des élections.
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