Il y a un an, je soulignais ici-même qu’Eric Zemmour et Michel Onfray avaient bien davantage à se dire que ce qu’on pense. Qu’il serait souhaitable qu’ils se rapprochent politiquement en vue de l’élection majeure à venir. Très vite, Zemmour me signifia un intérêt pour cette idée et je suggérais donc à Stéphane Simon (co-fondateur avec Onfray de la revue souverainiste Front Populaire) l’idée d’un débat « en vrai ». Ledit débat entre les deux intellectuels eut lieu hier au Palais des Congrès de Paris.
Comme des millions de Français, j’ai guetté ces derniers mois avec la plus grande attention chaque apparition simultanée de Zemmour et Onfray côte-à-côte sur les plateaux de CNews ou de Paris Première. J’étais donc heureux de les voir enfin, « en chair et en os », face-à-face. En effet, judicieusement titré « Accords et désaccords », le débat a tenu toutes ses promesses. Comme votre serviteur en scribe au fond de la salle, le public en eut je pense pour son argent, dans la mesure où les différences l’emportèrent (en nombre, du moins) sur les points d’accord.
Des films furent d’abord projetés sur l’enfance des deux intellectuels
En introduction, la genèse des débatteurs, films documentaires à l’appui. Autrement dit leur enfance, d’où tout est supposé venir. Enfance heureuse pour les deux, mais avec des cadres de vie quasi opposés. Campagne et saisons pour l’un, bitume et livres pour l’autre. Joli tableau, même si on le savait déjà.
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Après quelques plaisanteries pour détendre l’atmosphère, Onfray attaque gentiment Zemmour. Ce dernier serait trop provocateur, blessant. Il lui est aussi reproché un manque de pédagogie, au risque d’être parfois contre-productif. Il prendrait les Français pour plus cultivés – sinon plus intelligents – qu’ils ne sont. Zemmour réfute le terme de provocation et assume ce qu’il appelle un contre-discours. L’essayiste dont Albin Michel ne veut plus entendre parler veut mettre ses mots au cœur du débat en lieu et place de ceux que la doxa – gauche et droite confondues- essaie d’imposer depuis des décennies au peuple français. Il affirme qu’il utilise des mots réalistes pour tenter de soigner les maux dont souffre un pays en perte de repères. Concernant le second reproche, Zemmour explique ne pas vouloir être un professeur. Il souhaite simplement pousser les citoyens à faire leurs propres recherches. Oui, cela peut parfois être un peu complexe ! Autrement dit, il encourage les Français à penser par eux-mêmes. Et même si seulement une fraction des sujets techniques ou historiques qu’il développe « passe », c’est toujours ça, conclut-il. Au-delà de la forme, les deux intellectuels ont marqué un point d’accord de fond: le niveau général a baissé et il faut s’employer à le relever… Chacun à sa manière !
De nombreux désaccords
Le thème sécuritaire vient tout de suite après. Accord: la sécurité est la première des libertés. Désaccords: nombreux.
Onfray cite le sociologue Max Weber et sa fameuse « violence légitime de l’Etat ». Constatant comme Zemmour l’affaiblissement – voire la disparition – de notre Etat régalien dans moult parties du territoire livrées aux bandes, il propose la création de milices (il n’emploie pas ce mot, évidemment). Des vigilantes à l’américaine, sélectionnées et armées et ce, en soutien des forces de l’ordre. Zemmour rappelle en écho la Garde Nationale, vieille tradition issue de la Révolution française, mais refuse d’acter cette situation délétère. Il invoque au contraire le renforcement de l’Etat, partout et toujours.
Arrive ensuite toute une série de différences. Pour Onfray les « quartiers » ne sont qu’une plaque tournante pour les trafics qui troublent l’ordre public. Pour régler le problème de la drogue, c’est aux deux bouts de la chaîne qu’il faudrait s’attaquer selon lui (travailler sur nos relations avec les pays producteurs d’une part, et sanctionner les consommateurs d’autre part). Pour Zemmour, les banlieues sont le centre d’un « djihad du quotidien » et le point de départ de l’islamisation du pays. Pour le philosophe, notre société est ontologiquement menacée par le transhumanisme, projet nettement plus menaçant de son point de vue que l’islam « cher » à Zemmour puisqu’il réifie et objective le corps humain. Bien davantage qu’un pseudo-prophète mort il y a quinze siècles, Elon Musk, voilà l’ennemi ! Onfray fait alors référence à l’ethnographe breton Victor Segalen et à son étude sur le peuple maori pour expliquer pourquoi le danger est grand. C’est parce qu’un pays est déjà mort qu’une autre civilisation et/ ou un autre modèle peuvent prendre sa place… et non l’inverse (et au-delà du transhumanisme, Onfray estime d’ailleurs que la Chine est plus menaçante pour nous encore que l’islam). Zemmour recentre alors le débat avec l’historien René Grousset et le professeur de sciences politiques Samuel Huntington. Certes nous nous sommes vraisemblablement affaiblis… mais ceci n’explique pas tout. Le choc des civilisations est bel et bien en marche : l’Autre a une volonté, la revanche de l’Orient sur l’Occident a sonné et c’est bien l’islam qui est le « champion » de l’Orient. Pour autant, la France n’est pas morte. Elle n’a pas dit son dernier mot. Comme on a pu le constater à plusieurs reprises au cours de leurs rencontres- comme ils l’admettent d’ailleurs eux-mêmes – l’un est donc pessimiste et l’autre (un peu plus) optimiste. Pour Zemmour, l’Occident chrétien, héritier de Rome, a engendré une civilisation supérieure à toute autre et la France doit à nouveau la porter, comme elle a su le faire par le passé. Pour Onfray, elle est déjà morte et on ne pourrait d’ailleurs établir de hiérarchies entre civilisations (l’Homme n’a pas attendu que l’Occident invente les moulins pour faire du pain, rappelle-t-il en souriant).
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On en vient alors assez naturellement aux prénoms, question obsédante du moment.
Onfray s’agace sur les prénoms
Onfray balaie d’un revers de main les arguments de Zemmour, l’accusant à nouveau d’être inutilement blessant, mais également d’être irréaliste. Comme toujours, ce dernier assume et re-re-re explique que le premier prénom est facteur d’assimilation (et donc, que la loi du 1er avril 1803 sera rétablie, le cas échéant). Le mot « assimilation » est lâché et on est à présent à la moitié, au centre, au cœur même du débat. Ils sont d’accord sur le mot, mais pas forcément sur la chose, contrairement à ce que préconisait Lénine. L’assimilation est la seule voie, tous deux en conviennent. Cependant, pour l’un, les nouveaux arrivants doivent se fondre dans une civilisation chrétienne et gréco-romaine millénaire. Pour l’autre, personne ne devrait avoir à nier sa spécificité culturelle pour se sentir Français. Ils sont d’accord sur les preuves d’amour que la France est en droit d’attendre mais pas vraiment sur ce que signifie « être assimilé »…
Enfin, arrive la question religieuse. Blessant et discriminant pour les millions de musulmans de France, Zemmour? Pas du tout, répond ce dernier. Ceux-ci ont toute liberté de s’extraire de l’oumma pour entrer dans la nation française. Autrement dit, ils doivent prendre des libertés avec un Coran en contradiction avec notre civilisation. Un peu d’exégèse sur l’existence des versets abrogés et abrogeants, de la Mecque et Médine nous est proposé. On revient sur le nombre supposé de versets violents dans le Coran, et Onfray essaie de distinguer islam et islamisme, et de défendre un texte fondateur qui serait mal compris. Rien à faire. Zemmour tient bon et rend argument pour argument. L’islam est selon lui une religion totalitaire et ce, depuis les origines, même si ses adeptes ont une marge de manœuvre individuelle. Si on « christianisait » la discussion, on pourrait décrire ainsi la pensée de Zemmour : ne pas confondre péché et pécheur… à partir du moment où ce dernier y renonce.
La plus grosse différence entre Zemmour et Onfray est moins dans le constat que dans les conclusions. S’ils sont formellement d’accord sur le nettoyage, la kärchérisation nécessaire pour rendre aux Français leur sécurité perdue… sur le mot assimilation, le choix des moyens diffère.
Zemmour veut une République implacable
Pour Zemmour, la République Française doit désormais être « implacable », en s’inspirant de la Troisième République. Il faut arrêter net toute forme d’immigration, mettre fin au droit du sol et dénaturaliser les binationaux délinquants. Mais aussi rétablir la double peine et aller jusqu’à expulser les étrangers chômeurs, comme l’a fait la France avec les Italiens arrivés sur son sol. L’historien Pierre Milza explique ainsi qu’il ne restait plus qu’un million d’Italiens en 1940 sur les trois millions arrivés depuis 1870. Implacable ajoute Zemmour, non seulement pour reconquérir mètre à mètre les territoires islamisés qui parsèment le territoire et qu’il compare à des concessions qui auraient été données par la France aux imams et aux caïds, mais plus essentiellement parce qu’il en va de la vie, ou plutôt de la survie de la France. Pour Onfray c’est exactement l’inverse qui risque de se produire : si la République est implacable, c’est la mort de la France (autrement dit, de son idéal universaliste). Énorme différence, donc… aux implications diverses et multiples.
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Passons enfin aux derniers thèmes abordés au cours de ces deux heures et demie. Point de désaccord sur le « Frexit » (oui pour Onfray, non pour Zemmour) et, en vrac, points d’accord sur le référendum, le rapprochement souhaitable avec la Russie, la sortie du commandement intégré de l’OTAN, le renforcement de la participation pour les salariés et la remise à plat du « millefeuille territorial ». Plus anecdotique, la redéfinition des adjectifs jacobin et girondin si souvent accolés – y compris par moi- aux protagonistes.
Concluons par l’ambiance qui se dégageait de ce débat: 4 000 spectateurs concentrés, lesquels ne transformèrent pas la rencontre en meeting de campagne… même si l’envie ne manquait pas. Ainsi, étonnamment, on comptait sans doute davantage de partisans de Zemmour dans la grande salle – seul candidat putatif à la prochaine présidentielle – alors que l’événement était organisé et retransmis par Front Populaire (et non par Les Amis d’Eric Zemmour). Mais peut-être ne suis-je pas très objectif… En tout cas, un débat prometteur pour 2022, car il va bien falloir que l’abstentionniste chevronné qu’est le grand Michel Onfray prenne parti le moment venu.
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