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Zemmour/Onfray: rat des villes et rat des champs

De l’art de manier convergences et accords de désaccords


Zemmour/Onfray: rat des villes et rat des champs
Palais des Congrès de Paris, 4 octobre 2021 © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage : 01041694_000038

Le débat ayant opposé cette semaine le philosophe Michel Onfray au potentiel champion de la droite à la présidentielle Eric Zemmour était plaisant. Sans être interrompus ou vilipendés par les habituels médiateurs de la « pensée autorisée », les deux intellectuels ont pu échanger cordialement pendant plus de deux heures. Notre contributeur Esteban Maillot, présent dans la salle, raconte.


L’on pourrait se les figurer comme deux rivières torrentueuses, remuées et travaillées par des courants contradictoires et irréconciliables, qui pourtant, à la même confluence, gagnent le même fleuve. Phénomène inattendu, causant stupeur et effroi, incompréhension et ravissement. Les caricaturistes clament que Michel Onfray n’est plus de gauche, et assertent que Eric Zemmour est un fanatique d’extraction idéologique la plus fasciste et pernicieuse. Pourtant, ce sont ces commentateurs, affolés d’inquiétude, qui ont oublié ce qu’est la gauche socialo-libertaire, et qui ont contribué à l’accroissement de la crédibilité médiatique du polémiste. Ceci posé, revenons sur la rare qualité du débat organisé ce lundi 4 octobre au Palais des Congrès, dans une salle pleine et chaleureuse, où rien ne pressait le temps ni n’excitait d’inutiles passions.

Un vrai dialogue, pas une succession de chicanes verbales

Le spectre de la diabolisation a épuisé ses capacités de rayonnement, et désormais l’on sent bien la comique vacuité qu’il y a d’ostraciser M.Zemmour pour son authentique volonté réactionnaire, et M.Onfray pour son attachement à la gauche radicale et souverainiste, en laquelle ne se reconnaissent pas les enfants de la mondialisation et de l’Internet, qui d’ailleurs ne parlent plus la même langue que la majorité. Depuis leur chaise, bien installés et envoûtés par les attraits d’une salle respectueuse, les deux participants ont défendu le fait de parler la même langue, le français. Tout cela dans le but avoué d’avoir un vrai débat touchant aux «idées» rappelait Michel Onfray, sans novlangue ni agitation. Les spectateurs ont pu assister à un vrai dialogue, rarissime !

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Dans la tradition oratoire platonicienne en effet, le dialogue – socratique – est entendu comme une quête de vérité, résultant de l’entrechoquement de deux langues, mues par deux esprits différents. Une tâche de rigueur intellectuelle à laquelle il est toutefois difficile de satisfaire, à l’ère de l’hystérisation du débat et de l’avanie permanente. D’emblée l’attachement au sens des mots a été souscrit par les deux débatteurs, et ainsi, comme l’a apprécié le prolifique philosophe, pétri de cet intérêt nietzschéen pour la philologie et les mots, ils pourraient parler «d’idées», et non se complaire à caresser la triviale surface des choses. Par de tels principes, sur tous les sujets, les protagonistes ne péroraient pas dans le vide, et pouvaient se faire «frotter» leurs cerveaux, pour reprendre la formule de Montaigne.

Cinq grands sujets ont été traités pendant plus de deux heures et trente minutes (durée confortable laissant moins la vitalité cérébrale et langagière sous le joug de l’empressement), sur lesquels chacun a pu exprimer ses constats et proposer ses remèdes. Chaque individu étant le fruit de son éducation, la causerie a été inaugurée par le thème de l’enfance des deux auteurs, non émus de se replonger dans les arcades de leurs souvenirs. Michel Onfray, natif de Chambois, «rat des champs», a réaffirmé l’insertion de chacun dans un cosmos, notion chère aux Anciens, et a livré sa perception sensuelle des faits et du jeu de la vie. Eric Zemmour, «rat des villes» a quant à lui évoqué son enfance paisible à Drancy. Il fallait être atteint de cécité pour ne pas voir combien chacun perdait trois décennies d’âge en analysant la source de leurs systèmes de réflexion, en visionnant sur le grand écran leurs débuts. L’enfance est la fabrique des convictions, les souvenirs des ouvriers qu’on ne peut licencier.

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La crainte partagée de la fin d’un Monde

Il n’est pas commun de s’attarder autant sur un tel sujet hagiographique, et pourtant, cardinal est-il pour qui veut comprendre les raisons de leurs cheminements, et par ce fait concevoir qu’ils ont tous les deux connu des réalités aujourd’hui fragilisées : le vivre-ensemble et la mixité sociale dans des quartiers dits «difficiles», et la nature non démesurément altérée cohabitant avec l’Homme dans un cycle harmonieux. Tout ceci contribue à fournir des éléments d’explication pour cerner l’aversion qu’éprouve Michel Onfray pour les transhumanistes, anti-nature par excellence, ainsi que celle ressentie par Eric Zemmour pour le communautarisme et la délinquance. Rien ne se crée, rien ne se perd… Le deuxième sujet était celui de la «Guerre civile» et de l’insécurité, thème ô combien commenté. Il a rapidement cédé devant la thématique plus transversale de la civilisation. Un mal être profond transperce les français, et il est à cause plurielle. Ils sont d’accord à ce propos, mais, pour dire le vrai, comment ne pas l’être ? Comment ne pas pâlir devant l’ingratitude de certains modernes pour la littérature classique, le patrimoine architectural et artistique de la France, pour son Histoire ? Michel Onfray cite Victor Segalen, et pose qu’une civilisation meurt de ne pas s’être aimée, que lorsque les missionnaires arrivent et dominent le territoire, c’est que les conséquences de la chute étaient déjà survenues. La réification, la commercialisation du corps et du génome humain sont les phénomènes qui marqueront l’avènement d’un «inhumanisme», au grand dam de la Nature, impuissante, cédant devant l’infernale avancée scientifique, conclut le fondateur de la revue Front Populaire. Difficile de ne pas songer au «consummatum est», «tout est fini» de Jésus exposé sur la Croix… Les deux derniers sujets relatifs à l’immigration et au choix du «bon échelon pour gouverner» ont permis de mettre en exergue les positions strictes d’Eric Zemmour, et les tempéraments qu’y apporte Michel Onfray. Opération de pondération bienvenue et répétée maintes fois à propos du fait religieux, de l’immigration et de l’assimilation, nuance envers laquelle personne dans la foule n’a témoigné d’antipathie.

Le temps du débat retrouvé ?

Unanimement le débat a été jugé courtois et pertinent, et d’ailleurs, il faut le dire, arbitré par Stéphane Simon sans interruptions incongrues ni soubresauts qui parasitent la parole et l’écoute.

Hissés à un niveau méta-politique, les débatteurs ont montré que l’échange de qualité conforme au respect d’autrui et attentif à la discurtivité est encore possible, malgré les bruyantes déflagrations qui font chaque jour sonner les tympans des observateurs.

Qu’il est apaisant d’entendre un débat apaisé !

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