J’ai encore une télé pour deux raisons : me vautrer devant n’importe quoi les soirs de flemme, et mon rencard du mercredi avec Zemmour et Naulleau. Quand j’en parle, ceux qui ne me connaissent pas me demandent parfois lequel je préfère, si je suis plutôt Beatles ou plutôt Rolling Stones. Je ne choisis pas. Je ne sais pas qui des deux est le pop et qui est plutôt rock. A première vue, Naulleau, fan de Graham, Parkermaniaque et mal rasé a l’air plus rock’n’roll que son compère avec ses chemisettes et ses vestes, et avec sa nostalgie gaullisto-pompidolienne mais aujourd’hui, quelle mère laisserait sa fille sortir avec un Zemmour ? C’est donc plus compliqué que ça, comme disent les snobs qui ne votent pas FN pour des raisons purement esthétiques et pas très raisonnables. Si j’écrivais une thèse là-dessus au lieu de regarder la télé, ils m’inviteraient peut être dans leur case « Le grand débat ». Et pourquoi pas avec Soral qui expliquerait que c’est lui qui leur a appris à lire, à écouter du rock et à parler à la télé. Si je les aime tous les deux, je me sens quand même beaucoup plus zemmourien, pas parce que je serais de droite ou par bon goût mais par simple bon sens.
D’un Z qui veut dire Zemmour
Sur presque tout, je suis d’accord avec Zemmour, sur l’identité, l’immigration, l’intégration, l’islam, l’insécurité, le succès de Maître Gim’s et tout ce dont la tiers-mondisation de la France est le nom, mais aussi sur le genre, le mariage gay, la féminisation, et encore l’état de l’école, la déculturation, la baisse de tous les niveaux. Et en un mot comme en cent, parce que c’était mieux avant. J’ai mille preuves et un exemple sous la main : quand j’étais ado, dans ma zone péri-urbaine, je sortais le samedi soir à l’agora d’Evry avec copains et copines, à la patinoire, au cinéma, aux concerts. Aujourd’hui, les jeunes préfèrent ne pas. Trop incertain, trop dangereux. Et quand on leur demande pourquoi avec insistance, avec poussage dans leurs retranchements, ils répondent en substances, en périphrases et en baissant la voix parce qu’on les a bien élevés : trop de bandes ethniques dont je n’annoncerai pas la couleur. Et c’est là que Naulleau intervient pour demander : « Mais quel rapport » ? Je veux bien lui expliquer, je l’aime bien mais j’en connais qui perdent patience et qui s’énervent. Pas moi, j’ai toujours une petite tendresse pour ces types qui ont plus d’humanité que de lucidité. Et puis surtout, Naulleau, c’est la gauche qui parle aux salauds, et même aux enculés, alors rien que pour ça, quand je vois qu’on ne me serre plus la main dans ma propre famille, je dis merci et bravo.
« Ca ne marche pas comme ça »
J’ai bien aimé son livre d’entretiens avec Soral, enfin plutôt son attitude, son approche, la lecture de quelques pages m’ayant suffit. A la vision du monde aux mains des juifs héritée de certains illustres de ses prédécesseurs et remise à la page par mister couilles en plomb, Ribouldingue répondait en gros et sans entrer dans les détails que « ça ne marche pas comme ça. » Que pouvait-il faire d’autre ? Tenter de prouver que les enfants de l’école juive de Toulouse étaient bien morts ? Essayer de démontrer que la racaille revenue d’Orient n’avait pas besoin du Mossad pour le coup du Bataclan ? A quoi sert de se décarcasser dans ces cas-là ? A rien sinon à remettre cent balles dans le bastringue à complots. La réponse aux soraliens la plus éclairante reste encore celle de Naulleau : « Ca ne marche pas comme ça ». Je prends un exemple dans l’actualité, si on vous explique que le mariage britannique et princier entre une starlette et une fin de race a remplacé sur tous les écrans les incidents à la frontière israélo-gazaoui, et que donc c’est un complot juif, répondez simplement que « ça ne marche pas comme ça ». Inutile d’ajouter qu’aucun juif ne mettrait 450 000 euros dans une robe de mariée. Le monde serait plus compréhensible qu’il ne l’est s’il était organisé, même par les juifs. Or il ressemble plutôt à un foutoir shaekespearien sans pilote dans l’avion, voilà l’idée qu’il faut avancer mais ne vous perdez pas dans l’exposition des faits. Et n’en rajoutez pas en précisant avec Daniel Mesguich que « Shakespeare » était sans doute le pseudonyme d’un dramaturge italien et juif, ça ne ferait qu’embrouiller les choses. En terrain boueux, au risque de s’enfoncer, le plus intelligent est encore de faire comme Naulleau, d’en faire peu et d’appeler au simple bon sens. C’est le plus sûr moyen de renvoyer les antisémites endurcis à leur phobie et de ravoir les simples cons soumis au lavage de cervelet.
Désaccords parfaits
J’ai beau être farouchement zemmourien, avec Zemmour j’ai quand même un désaccord, et même deux : les femmes et l’ingérence. Je ne m’étendrai pas sur les femmes publiquement, c’est déjà fait, mais l’ingérence, je suis pour, jusqu’à la mauvaise foi et jusqu’à la Libye non comprise. Par exemple, j’étais pour les deux guerres en Irak, surtout la deuxième. Moins pour le Koweït dont je me moque que contre les armes de destruction massives, même si les Américains ont menti, ce qui n’est pas sûr. Comme disait Alexandre Adler, ce n’est pas parce qu’ils n’en ont pas trouvé qu’il n’y en a jamais eu. Mais dans cette histoire, ce n’est pas tellement le mensonge qui pose problème. Bien sûr, ce n’est pas beau, comme le faisait remarquer le procureur Stark à Bill Clinton, mais le plus inquiétant, c’est quand même d’être obligé de raconter des histoires au monde entier pour aller casser la gueule à Saddam Hussein. « On ne mélange pas la morale et la politique », nous dit Zemmour après Richelieu. Je préfère D’Artagnan qui ne se demandait pas longtemps s’il était bien raisonnable ou encore contre-productif de sortir de son fourreau son épée quand elle le démangeait et que son honneur lui commandait de le faire. En réalité, ce n’est pas tant une question de morale qu’une question d’honneur. En Syrie comme dans la cour de récré, quand on est le plus fort, on ne laisse pas les petits sans défense se faire maltraiter sans réagir, pas seulement parce que ce n’est pas bien, parce que ce n’est pas français.
Leur royaume pour un Zemmour
A part ça, tous les mercredis soirs, je suis fidèle au poste et à cette émission qui offre le meilleur rapport qualité/liberté sur les ondes. Pour trouver une parole aussi libérée, il faut aller sur internet où toutes les audaces sont dans la nature mais où il y a toujours un truc qui cloche, comme chez les amateurs ou les autodidactes. Avant, quand c’était mieux, je retrouvais Zemmour dans « Ca se dispute » sur I-Télé le samedi face à Nicolas Domenach ou l’un de ses remplaçants, Claude Askolovitch ou Renaud Dély, qui tenaient rarement plus de deux ou trois rounds. Il aurait pu les affronter tous les trois en même temps façon Horace, ou même se faire toute la gauchosphère à lui tout seul, comme Bruce Lee dans « Big Boss », ça aurait été pareil. Avec son talent, son courage et le réel en renfort, on ne craint personne. Voilà sans doute pourquoi il a fini par être viré, à la demande de ses collègues, pour des raisons idéologiques, lesquels furent débarqués à leur tour un peu plus tard pour des raisons économiques, ce qui veut dire à la télé pour leurs trop faibles audimats. Ils ont disparu un jour dans une charrette de quatre-vingt journalistes et nous ont moins manqué que l’éditorialiste islamo-lucide, qui est revenu grâce à sa forte audience.
L’abus de Zemmour & Naulleau n’est dangereux que pour les politiciens
Pas étonnant qu’avec ces deux champions l’émission tienne encore la distance avec les années. Certains prétendent qu’elle rend les politiques plus intelligents, ce qui n’est pas un prodige mais le fruit d’une stratégie guerrière. Chez Zemmour et Naulleau, les invités ne viennent pas répondre à des questions sur leurs programmes, leurs intentions ou leurs tactiques, ils sont tenus de répondre de leurs compromissions, de leurs approximations, de leurs contradictions ou de leurs soumissions. Hélas, ça ne marche pas avec tout le monde. Ceux qui déroulent comme ailleurs les leçons de leur communicants dans une langue de bois de placage standard tombent sur deux os, ceux qui ont le courage de l’honnêteté intellectuelle en sortent grandis. Dans tous les cas, l’exigence défendue par cette belle paire de mâles dominants, qui est la marque du programme, sert la vérité, et c’est tout ce qu’on demande. Si ces deux feignasses ne partaient pas en vacances de début juin à fin octobre, comme de vulgaires universitaires ou de banals magistrats, en nous laissant seuls avec l’armada de leurs confrères qui décryptent l’actualité à travers le petit bout d’une lorgnette bien pensante et dans une langue convenue, on serait comblés. Heureusement, il nous reste un antidote à ce poison mortel d’ennui, il nous reste Causeur, qui reste ouvert tout l’été.
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