Grazia, l’hebdomadaire voué à « la mode, la beauté, les people et le luxe » vient d’apporter sa pierre – précieuse – à la chasse aux néo-réacs du PAF. Comme ils sont pas beaux, pas bien habillés et pas people, on suppose qu’ils émargent à la rubrique « luxe » – catégorie « poule de ». Il était temps que la presse féminine contribue à cette œuvre de salubrité publique en s’emparant de ce marronnier de saison, qui rivalise en ce printemps, avec le salaire des cadres dans l’immobilier et le régime-miracle des francs-macs.
Bon, le confrère a de la bonne volonté, mais on ne peut pas dire qu’il se soit épuisé. Il est vrai que l’iconographie est plutôt inventive puisque, pour dénoncer ces « snipers de la haine » et, en attendant l’organisation de la minute du même nom, leur effigie est délicatement livrée aux flammes. L’argumentaire du papier commence à être connu, pour ne pas dire qu’il est un peu réchauffé mais je ne voudrais pas être désagréable. Comme je suis bonne fille, je vous fais un petit résumé.
Les néo-réacs ? Ils sont méchants. Ils sont puissants. Ils sont omniprésents. « On n’entend qu’eux ! » proclame d’une seule voix la planète médiatique. Comme dirait l’ami Basile, j’ai mis tous mes hommes sur le coup et je confirme : ces gens-là parlent trop, Gringo ! Si ça se trouve, le malheureux journaliste de Grazia officie sur une chaîne de télé et personne ne l’entend – ou ne se rappelle l’avoir entendu. En tout cas, ce fin limier affirme que « la chronique de Robert Ménard est le seul moment où i Télé dépasse BFM TV, sa concurrente directe ». Et vous savez quoi ? Ces patrons de médias qui pensent rien qu’à « la sacro-sainte audience », c’est tous des « hypocrites » (là coco, chez iTélé t’es tricard).
Il fallait s’y attendre, à force de laisser parler ces salopards, le résultat est là : « La menace Marine Le Pen plane. Et personne ne veut porter la responsabilité de son envolée dans les sondages. » Ben si, camarade, on est là pour ça ! Sinon, à quoi ça servirait que les néo-réacs se décarcassent ? (Bon sang, ça faisait longtemps que je n’avais pas eu entre les mains une illustration aussi éclatante de la débilité journaleuse.)
Je reconnais que c’est très injuste. Trente ans de leçons de morale et de sermons compassionnels délivrés par des centaines d’éminences ont échoué à convertir le peuple aux beautés de la World Ideology. Et voilà qu’à moins d’une dizaine et en deux ou trois ans seulement, ces squatteurs d’ondes et d’écrans (faudrait savoir, on est grassement payés ou on squatte ?) ont réussi à pervertir l’opinion à coups de « propos rances et irresponsables ». Résultat, ce peuple qui a une cervelle d’oiseau se droitise, ce qui devrait être interdit par la loi, voire s’extrême-droitise. Des beaufs qui écoutent des salauds.
C’est pas pour me vanter, mais on est forts. J’ai oublié de vous le dire, puisque ça va sans dire, qu’outre votre servante, le commando démasqué par Grazia comprend les suspects habituels : Eric Zemmour, Robert Ménard, Ivan Rioufol et Eric Brunet. Nous bénéficions de salaires « plus que confortables » – pas assez en ce qui me concerne, à bon entendeur… – et des « bonnes grâces du pouvoir en place » – certainement, mais qu’on me file son numéro, à ce pouvoir-en-place, que je fasse sauter mes PV. Quand je pense à l’auteur de cette admirable enquête qui écrit bénévolement pour sauver la France pendant qu’on s’en fout plein les poches, je vous le dis, j’ai honte.
Ces « populistes de Café du commerce » ont un point commun : non seulement ils parlent des sujets trop sensibles pour être confiés au peuple, comme l’immigration, l’Europe ou l’identité nationale, mais ils défendent des points de vue non approuvés par le comité des idées correctes. Comme il faut bien mâcher le boulot du public, dont on ne vous dira jamais assez qu’il est bouché, s’ils prônent la réduction de l’immigration, ils sont forcément racistes et s’ils ont des doutes sur le mariage gay, c’est qu’ils sont homophobes. Selon Grazia, l’un d’eux aurait même osé « dire des vacheries sur la peste verte Eva Joly ». Merde, j’espère que c’est pas moi, le coup de la « peste verte ». De tels propos me semblent en effet incompatibles avec la possession d’une carte de presse. Vous croyez que j’exagère ? Même pas.
Les mous du genou du Nouvel Obs ou du Monde s’étaient contentés de désapprouver ; le confrère de Grazia (dont je dirais, si j’étais impolie, qu’il est quand même plus « con » que « frère ») réclame courageusement des têtes, avec un titre sans équivoque : « Faites-les taire ! » Je signale à la profession que « Foutez-les dehors ! » est encore disponible. Après, il restera « À mort les réacs ! » L’ennui c’est que comme ces gens sont de grands humanistes, ils sont contre la peine de mort (moi aussi d’ailleurs), mais peut-être seraient-ils prêts à tolérer une minuscule exception : après tout, les Israéliens ont pendu Eichmann.
« Je ne partage pas vos idées et je me battrai pour que vous ne puissiez pas les exprimer. » Etrange conception du pluralisme mais, après tout, le débat entre gens du même avis, c’est plus marrant. Notre Jean Moulin d’opérette explique finaud que RTL (qui emploie quatre des membres du « quintette » maudit) « se préoccupe de savoir si son célèbre slogan« Vivre Ensemble », n’est pas en train de virer au nauséabond « Vivre entre nous » ». (Et lui, il pourrait peut-être se préoccuper de savoir causer la France, non ?) L’ennui, c’est qu’il ne comprend même pas ce qu’il écrit, ce pauvre garçon : après avoir expliqué sur deux pages que c’était mieux avant, quand des gens comme nous ne cassaient pas l’ambiance, il en conclut que « nous » voulons « vivre entre nous » ? Je renonce. Il y a des jours où je me dis que, plutôt que d’avoir à répondre à de telles buses, je ferais mieux de rester avec mes copains. Même ceux qui ne sont pas réacs.
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