Consternation en écoutant il y a quelques jours le pugilat hebdomadaire qui oppose Éric Zemmour et Nicolas Domenach dans l’émission « Ça se dispute » sur iTélé. Pour une fois, les deux chroniqueurs sont d’accord. Le réac de droite et le réac de gauche cessent un instant de camper sur leurs positions idéologiques inconciliables. La hache de guerre est enterrée l’espace d’un moment de télé d’une insondable niaiserie.
Sous le regard étonné de Léa Salamé, qui anime la traditionnelle prise de bec entre les deux journalistes surmédiatisés et doctrinaires, un consensus immédiat est trouvé sur le sujet du jour. L’Assemblée nationale s’apprête à accorder aux animaux un nouveau statut : les bêtes ne seront plus considérées par la loi comme des « meubles » mais des « êtres vivants » (quel scoop) « doués de sensibilité ».
À l’origine de ce changement de statut de l’animal dans le Code civil, —le concept barbare de « biens meubles » date de 1804 et du Code Napoléon—, un manifeste signé à l’automne dernier par une flopée d’intellectuels et de scientifiques dont Alain Finkielkraut, Michel Onfray, Boris Cyrulnik ou Hubert Reeves, demandant cette évolution juridique aussi modeste que symbolique. Le député PS Jean Glavany, un des auteurs de l’amendement adopté, a sans doute été motivé par ce manifeste plein de bon sens (cosigné par près de 700 000 personnes sur le site de l’association « 30 Millions d’Amis »), et sans doute plus encore par un sondage montrant que 90 % des Français étaient favorables à cette évolution de la loi…
Mais revenons-en à ce désolant moment de télé. Léa Salamé évoque la décision des législateurs et, sans transition, demande à ses deux chroniqueurs, payés pour avoir un avis sur tout : « Vous aimez les animaux ? »
Ricanements sur le plateau. La question les amuse. Ils veulent bien parler sérieusement des pompes d’Aquilino Morelle ou des frasques de DSK, mais les « bestioles » faut pas pousser.
Domenach se lance et place d’emblée le débat à un niveau de connerie stratosphérique : « Pour être franc, je n’ai jamais été un ami des bêtes, dit-il. Les hommes sont ma préoccupation première. » Ben oui, évidemment, on ne peut pas avoir du respect et des sentiments pour les deux. Il ironise ensuite sur « les moustiques, les cafards, et les fourmis rouges » qu’il devra désormais éviter d’écraser sous son talon puisqu’ils « ont une âme » et sont « doués de sensibilité».
Tout le monde ricane bruyamment sur le plateau. Quel comique, ce Domenach ! N’importe quel téléspectateur, doté d’un minimum d’empathie, qu’il possède ou pas ou chien ou un chat, se dit à ce stade qu’on a touché le fond, qu’on ne peut pas descendre beaucoup plus bas dans la médiocrité intellectuelle. C’était sans compter sur Éric Zemmour, qui n’entend pas céder la palme du plus réac à son contradicteur.
Zemmour s’est enfermé dans un rôle qui a fait de lui une vedette, celui du pourfendeur zélé du « politiquement correct », du champion incorruptible toujours prompt à dézinguer les « bobos ». C’est devenu un réflexe pavlovien : même quand les progressistes ont raison (ça leur arrive), Zemmour est contre. Qu’un gauchiste lui donne l’heure, et il trouvera moyen de pinailler sur la marque de sa montre.
« Je ne déteste pas les animaux, mais je suis indifférent à la cause animale », dit-il en guise de préambule. Et il ajoute pour faire le malin : « J’ai bien compris ce qui se passe philosophiquement… ».
Diantre ! On s’attend alors au couplet habituel sur la « sensiblerie » excessive des défenseurs des animaux, symptôme de notre société féminisée, de ce triste monde moderne qui préfère les LOL cats aux chômeurs, ou autre argument du même tonneau. Mais Zemmour dépasse toutes nos attentes en gémissant sur ce nouveau mauvais coup porté à notre héritage philosophique par un aréopage de progressistes d’horizons (très) divers. « C’est la remise en cause du cartésianisme. C’est la remise en cause de l’animal-machine de Descartes ! Il n’y a désormais plus de différence entre l’homme et l’animal ! Je suis éberlué », dit-il en secouant la tête de dépit.
Fin du « débat ». Sur ces paroles hallucinantes de sottise, Léa Salamé rend l’antenne, sans un mot pour expliquer aux téléspectateurs ce qu’est le concept de « l’animal-machine » qui va tant manquer à notre champion médiatique de la réaction pavlovienne. Pour le philosophe René Descartes, l’animal est un assemblage de pièces et rouages, dénué de conscience et de pensée. Il ne souffre pas. C’est une machine. Les hurlements qu’il pousse quand on le violente ou qu’on lui tranche la gorge sont des simples réflexes. À l’inverse, l’homme pense, il est libre, doté d’une âme. Il est plus proche de Dieu que des animaux… Bref, le concept de Descartes est une crétinerie moyenâgeuse.
Si ce genre de bondieuserie pouvait convaincre les gens au XVIIe siècle, la remise en cause de l’animal-machine en 2014 ne devrait pas « éberluer » Éric Zemmour mais le satisfaire. Le prochain coup, il va nous faire quoi ? Remettre en cause Darwin, ce salaud de progressiste qui prétend que Domenach descend du singe ?
À force de vouloir faire le malin sur tout et n’importe quoi, de voir la « menace » progressiste au cœur de chaque évolution de la société, de confondre humanité et sensibilité avec gauchisme et haine de la France, on risque tôt ou tard de passer pour un sale type. C’est malheureusement chose faite.
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