Parmi les multiples raisons qui ont empêché Eric Zemmour de parvenir au second tour de la présidentielle, il en est une que l’on n’a pas beaucoup analysée: la peur.
Depuis dimanche soir, on a déjà abondamment développé les raisons qui ont freiné, puis inversé la courbe de la progression d’Eric Zemmour, aboutissant au résultat que l’on sait.
Parmi celles-ci, son tropisme supposément pro-Poutine, une inclination qu’on lui a très fortement reprochée, alors que, bizarrement, Marine Le Pen se sortait facilement de ce même piège, épargnée qu’elle fut par les journalistes. Sans doute le candidat n’a-t-il pas pris suffisamment de hauteur assez vite dans cette affaire, en balayant d’un revers de main la version médiatique, et en replaçant la question dans son contexte géopolitique, un contexte où la lecture du conflit, un affrontement russo-américain sur le sol ukrainien, et non une simple agression de l’Ukraine par son voisin, aurait pourtant pu être expliquée, et comprise facilement.
Un candidat qui n’a pas réussi à prendre une dimension gaullienne
De même, il a sans doute raté, au Trocadéro, l’occasion d’un grand discours « gaullien », précisément centré sur cette question, qui préoccupait tout le monde, en refaisant un « discours de Phnom Penh » (1966), et en expliquant qu’il n’y avait « pas de solution militaire, mais seulement une solution politique » au conflit ukrainien, comme De Gaulle l’avait expliqué à l’époque à propos du Vietnam. A un moment très troublé, il y aurait pris beaucoup de hauteur. Au lieu de cela, il a fait le choix de rester très terre à terre, même si très patriote. Ainsi, il a galvanisé ses propres soutiens, mais en a-t-il convaincu beaucoup d’autres, en leur montrant, en particulier, qu’il était « le chef debout dans les tempêtes » ?
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D’une façon générale, sans doute Eric Zemmour a-t-il manqué, volontairement, on peut le penser, de grandeur [1]. Cette faculté gaullienne de « tutoyer l’histoire », et de l’expliquer simplement aux Français, qu’il possède certainement [2], on a eu l’impression qu’il l’avait comme camouflée, pour en rester à une stratégie très concrète, croyant ainsi mieux répondre aux préoccupations pratiques des gens. Mais la magie, et l’identification au Général, y ont sûrement beaucoup perdu.
Un électorat essentiellement bourgeois
Par ailleurs, Eric Zemmour n’a pas pu capter suffisamment les votes populaires. A cela, deux raisons principales : d’une part, sa campagne a commencé beaucoup trop tard. Vouloir s’assurer les voix de la France profonde en quatre mois seulement était une gageure. Ces électeurs ne se laissent pas séduire au premier rendez-vous. Il aurait fallu bien plus de temps pour « faire connaissance ». Avec eux, c’est un « labourage » qu’il faut, et non pas un « blitzkrieg ». Par ailleurs, le prétendant est resté trop longtemps sur une problématique gauche-droite, pertinente pour les bourgeoisies patriotes qui étaient ses premiers électeurs, mais non opérative pour la France rurale et périphérique. Il a mis trop de temps pour basculer sur la thématique opérante, celle du clivage « riches-pauvres », ou « France d’en haut-France d’en bas », qu’il aurait pu exploiter davantage.
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De même, il a privilégié des stratégies sur les réseaux sociaux (où il s’est très bien défendu) ou sur les chaînes nationales (où il se faisait copieusement et systématiquement attaquer), plutôt que vers les réseaux ou les corps intermédiaires (AMF, CGPME), des relais pourtant très importants.
Victime du vote utile
On pourrait par ailleurs considérer qu’Eric Zemmour a été trop monothématique par rapport à l’immigration, et aussi qu’il n’a pas assez travaillé la récupération des musulmans modérés. Il l’a fait, à travers l’expression « ce sont mes frères », mais pas assez pour briser le consensus politique communautariste, dont Mélenchon, du coup, a profité à plein. La discorde chez l’ennemi est pourtant, certainement, l’un de ses livres de chevet…
Last but not least des raisons évoquées par les analystes, la configuration politique des dernières semaines, avec la poussée continue de Mélenchon, et le battage effréné des sondages montrant sans arrêt le candidat de Reconquête à la traîne de Marine Le Pen, ont accéléré le phénomène de vote utile, qui pour lui a été mortel. Il faut dire que sur ce plan, la « vengeance médiatique » par rapport au candidat considéré comme le plus antisystème a été fort bien orchestrée…
La peur est mauvaise conseillère
Mais il est une autre raison, étonnamment non évoquée : la peur. Peur de la poussée de l’islam politique, conquérant, séparatiste, islamiste, mafieux, crapuleux. Cette thématique, Eric Zemmour l’a abondamment développée, à Marseille, dans de nombreux meetings, à Montreuil, à la « colline du crack ». S’il y avait une prise de conscience à acquérir, par rapport à la dangerosité d’une telle évolution, son discours y suffisait amplement. Et par rapport à cela, les autres candidats, et même Marine Le Pen ont cherché, peu ou prou, à édulcorer les réponses. Comment se fait-il que, dans ces conditions, si peu de Français se soient dressés avec lui ? Paradoxalement, les seuls à avoir compris son message sont les musulmans eux-mêmes qui se sont dit « C’est chaud pour nous » et qui ont, du coup, voté en masse pour Mélenchon. Mais les autres ?
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Il est pourtant facile de deviner la suite : en suivant si mollement le candidat qui affirmait avec le plus de force son envie d’affronter le problème, la classe politique et l’électorat ont montré globalement leur peur de se battre, et même leur pacifisme. Dans le « camp d’en face », on ne décrètera évidemment pas une pacification, mais au contraire une mobilisation et une pression supplémentaires, pour acquérir dans la foulée de nouveaux gains politiques, d’autant plus que d’une question qui restait sociale et « feutrée » (il ne fallait pas en parler…), Eric Zemmour a fait maintenant, grâce à sa campagne, une question ouverte et politique. Faute d’avoir donné au candidat, par les votes, la légitimité suffisante, les conditions d’un affrontement futur entre communautés se mettent peu à peu en place. Par rapport à cette question à la fois essentielle et urgente, ce vote du premier tour peut, d’une certaine façon, être qualifié d’ « anti-Zemmour » : il fallait, surtout, éliminer le gêneur. Pour avoir préféré être « munichois » plutôt que « churchilliens », ces électeurs se font ainsi les enfants des 500.000 personnes qui avaient accueilli au Bourget Edouard Daladier, le 30 septembre 1936. On connaît la suite.
« Encore une minute, Monsieur le bourreau », dit la Comtesse du Barry en montant à l’échafaud, le 8 décembre 1793. Le problème, c’est qu’elle ne l’a dit qu’une fois. Quelques instants plus tard, c’était la guillotine. Nous venons de dire la même chose. Quel peut bien être, dans ces conditions, notre avenir ?
[1] Dans la célébration du discours, plus que dans l’attitude, son courage ne laissant pas de doute sur ce dernier plan.
[2] Il l’a prouvé notamment lors de son premier discours à Villepinte, et lors de son remarquable discours du Mont Saint-Michel.