Quand il s’en prend à la nouvelle coqueluche de la droite française, certains des arguments de BHL relèvent du sophisme!
Ainsi donc, Bernard-Henri Lévy est entré en campagne contre Éric Zemmour, commandant une nouvelle offensive pour la liberté en offrant son torse à l’estocade du péril pour le salut du monde. Lui qui s’en prit à Kant, « cet enragé du concept », en citant un auteur créé de toutes pièces, ne peut que dédaigner l’impératif catégorique du penseur de Königsberg disant de traiter chacun comme une fin et non un moyen. C’est pourquoi il put faire croire que le commandant Massoud était son ami depuis 20 ans au moment de sa mort, alors qu’il ne l’avait brièvement vu que trois ans auparavant, selon le documentariste Christophe de Ponfilly qui avait arrangé la rencontre. On pourrait craindre que le sophiste n’utilise les autres pour ensuite glisser un coup d’œil sur son nombril via l’ouverture de son col… Au tour de Zemmour d’être instrumentalisé. Et le polémiste a parfois bien tort de donner le bâton pour se faire battre.
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La charge de Bernard-Henri Lévy contre Zemmour dans Le Point n’a certes pas la force de celle d’Eylau, à laquelle il manquait la participation de la célébrité germanopratine aimant crapahuter devant les objectifs pour que la victoire française fût nette, mais elle révèle une violence dont d’autres ont déjà fait les frais quand manquent les arguments de fond. Régis Debray s’en souvient encore, lui qui subit l’anathème prononcé par BHL après s’être rendu au Kosovo durant la guerre en 1999 pour essayer de démêler le vrai du faux : BHL bannit Debray de la communauté des philosophes dans les pages du Monde. Il déclara, en usant d’une perfide prétérition : « Debray n’est pas Drieu [la Rochelle]. Ni Belgrade, Berlin. Mais enfin… D’une certaine façon, nous y sommes. » Aujourd’hui, c’est Zemmour qui est implicitement banni de la communauté juive ou assigné à résidence identitaire, selon l’angle sous lequel on écoute le penseur germanopratin qui déclare qu’il est « une offense au nom juif ».
Le botulisme de la pensée: l’arrogance intellectuelle sans s’en donner les moyens
BHL est coutumier de l’emportement en guise d’argumentation, l’indignation est son éthique. En 2010, Le Nouvel Obs avait dévoilé que son De la guerre en philosophie tentait de régler le compte de Kant en s’appuyant notamment sur La vie sexuelle d’Emmanuel Kant, prétendument écrit par un certain Jean-Baptiste Botul. Il s’agit d’un canular du journaliste du Canard enchaîné Frédéric Pagès parlant d’une communauté allemande au Brésil vivant selon les principes kantiens. Le nom « Botul » est une allusion à la toxine botulique. Pour l’auteur, la référence de BHL à son ouvrage « jette un doute sur les méthodes de Bernard-Henri Lévy ». Pagès alla jusqu’à dire que BHL avait dû lire son livre avec un ventilateur, car il n’aurait pas pu vraiment le consulter sans se rendre compte de la plaisanterie. Un philosophe non médiatique, au hasard le peu mondain Kant, se serait donné les moyens de vérifier ses sources au lieu de prétendre avoir lu.
Pratiquant l’inversion accusatoire afin de discréditer la découverte du Nouvel Obs, BHL s’était présenté comme une victime d’une « chasse à l’homme » indigne du journal de Foucault et de Sartre, trouvant cela « proprement ahurissant ». À la veille de la présidentielle 2022, BHL a enfin l’occasion d’essayer de faire oublier l’affaire Botul, Zemmour étant dans les parages : il accuse ni plus ni moins le polémiste et écrivain d’utiliser des fiches de lecture. S’il le dit, c’est qu’il ne saurait en être lui-même capable… Que l’on apprécie ou non Zemmour, force est de constater qu’il lit, peut rebondir sur un propos en convoquant tel ou tel passage d’un essai ou d’un épais roman ou de mémoires connus de quelques initiés. Ses collègues parlent d’un bourreau de travail. Sa grande culture générale se retourne d’ailleurs assez souvent contre lui puisque ses citations ne sont pas comprises en tant que telles, mais comme l’expression de sa propre pensée.
Intellectualisme parfois trop abouti vs indignation ostentatoire en guise de pensée
Il faut le dire, Zemmour a eu tort de d’affirmer que l’on est du pays où l’on se fait inhumer en mentionnant, dans le même propos, que la famille de Mohammed Merah avait demandé à le mettre en terre en Algérie, et que ses petites victimes avaient été inhumées en Israël. Si son propos convoquant l’anthropologie s’entend intellectuellement, comment a-t-il pu sous-estimer le fort risque de blesser les familles juives dont la vie a basculé le 19 mars 2012 quand Merah tua des enfants et un père à l’école Ozar Hatorah ? Ignore-t-il la peur des Juifs de voir les tombes de leurs chers disparus être profanées ? Cet intellectualisme de Zemmour qui veut aller au fond des choses nuit parfois à son propos et peut blesser – sans parler de l’erreur politique. Peut-être devrait-il lire Pourquoi les gens intelligents prennent-ils des décisions stupides ? Le paradoxe du QI d’Yves-Alexandre Thalmann… Cependant, BHL est dans la posture quand il réagit ; il aurait pu le faire bien avant : le livre de Zemmour qui expose ce point, La France n’a pas dit son dernier mot, ne date pas du dernier sondage confirmant la hauteur de l’écrivain dans les intentions de vote. Tout se passe comme si BHL avait attendu un prétendu danger aux portes du pouvoir pour se déguiser en combattant. De la même manière qu’il se surélève sur la pointe des pieds lors des photos avec les peshmergas kurdes, il tente de se rehausser en piétinant rageusement Zemmour. On notera qu’il laisse injustement entendre que Zemmour prétend que Merah a été inhumé en Algérie, usant là de la vieille stratégie de l’homme de paille : prêter des propos réfutables à son adversaire pour discréditer l’ensemble de sa parole.
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La verve de BHL dans sa tribune n’est pas du niveau d’un philosophe. Huitième à l’agrégation de philosophie en 1971, il compte sur son cursus pour donner un vernis d’expertise à tous ses gestes et paroles qui n’ont aucunement le niveau requis au concours. À la philosophie, il préfère cependant le sophisme, les effets de manche. On en veut pour récent exemple son indignation ostentatoire quant au fait que Zemmour a décrit le judaïsme comme plus proche de Barrès que de Zola, et dénoncé le double standard de BHL qui, selon lui, joue à Barrès à Jérusalem et Zola à Paris. Invité à répondre à Zemmour chez Pascal Praud, BHL a surjoué l’indignation en disant que Barrès était le père de l’antisémitisme moderne. Certes, on est habitué à la superficialité intellectuelle et morale du baroudeur en chemise blanche, mais on ne peut croire qu’il ignore que la comparaison zemmourienne portait sur la définition d’une identité et non sur l’antisémitisme ; ni croire qu’il ignore que Barrès évolua au point de considérer les Français de confession juive comme faisant partie du génie national. Un philosophe devrait être animé par la quête de la vérité pour ne pas être un sophiste.
BHL et Francis Kalifat, le président du CRIF refusant des voix juives à Zemmour, prétendent parler au nom des Français juifs, sans se soucier de l’exactitude de leurs propos, sans s’inquiéter d’apporter de l’eau au moulin des antisémites qui croient à l’existence d’une cinquième colonne juive. La proximité idéologique entre Éric Zemmour et Philippe de Villiers est connue, et ce dernier fut le seul homme politique applaudi dans la synagogue à l’occasion de l’hommage à Ilan Halimi, avant d’être expulsé de la manifestation par un SOS-Racisme furieux, ce qu’avait alors dénoncé le CRIF. Des applaudissements bien éloignés d’un prétendu bloc électoral juif. Il faudrait être très ivre de soi pour prétendre représenter leur pensée. Ou avoir peur d’en voir préférer la cravate de Zemmour au col grand ouvert d’une chemise toujours immaculée dans les circonstances les plus improbables.
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