J’ai deux Zemmour


J’ai deux Zemmour

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Fin novembre, j’étais vent debout contre Éric, qui avait osé s’en prendre à la Rome éternelle en la sacrée personne de François. Fin décembre, j’ai été sidéré par la campagne de haine anti-Goldstein dont il a fait l’objet à propos de rien du tout, et avec six semaines de retard. Dans l’intervalle, j’ai quand même trouvé le temps de m’intéresser à l’UMP, à Godard et à l’homophobie, la vraie.

Joyeux Nouvel An chinois à tous !

 

Zemmour l’hérésiarque

 

Samedi 29 novembre/Moi qui suis plutôt client d’ordinaire, je n’ai guère apprécié la façon dont l’ami Zemmour a remis à sa place le père François après son discours de Strasbourg. Un Gros-Jean agnostique qui en remontre à son pape, on aura tout vu ! Je me suis ouvert à lui de ce désaccord,  et il n’en a pas semblé traumatisé : « C’est “Touche pas à mon pape” », a-t-il simplement commenté avec un bon sourire – et ça me paraît un excellent résumé.

Non seulement, à mes yeux, Éric est sorti là de son domaine de compétence mais, de son propre aveu, il l’a fait avec une certaine légèreté : sur la foi ( ?) d’extraits sélectionnés par Le Monde. Autant dire que, contrairement à son habitude, il n’aura guère réfléchi avant de foncer. C’est particulièrement périlleux lorsqu’on s’aventure sur un terrain qui n’est pas le sien…

Dès le lendemain de l’allocution de François, Zemmour fulminait sur RTL une sacrée bulle contre ce pape « postchrétien ». C’est que du haut de son ULM post-positiviste, voyez-vous, le gars Éric mélange un peu tout, immanence et transcendance, politique et religion – et surtout, en l’occurrence, catholicisme et christianisme.[access capability= »lire_inedits »]

Or s’il est vrai, hélas, que depuis mille ans déjà il y a des chrétiens non catholiques, l’inverse est carrément absurde. Peut-on faire partie du contenu et pas du contenant ? Et si oui, à quoi bon ??

Prétendre, à l’instar de Maurras, conserver l’eau du bain catholique en jetant le bébé Jésus, ça n’a pas le sens commun ! On ne sépare pas impunément la lettre de l’esprit, surtout en matière de spiritualité.

Avec la condamnation de l’Action française par Pie XI en 1926, le « vieux Maître » en avait fait lui-même l’expérience, d’autant plus amère que vaine. Rien qu’en prenant ses distances avec des écrits anti-chrétiens de jeunesse parfois borderline, il aurait non seulement pu mais dû éviter ce « suicide théorique ». Mais non ! Il a fallu qu’il s’arrête…

Raideur irresponsable de la part d’un dirigeant politique, et plus encore de la part de Maurras, qui avait déjà eu un avertissement quinze ans auparavant.

L’anecdote vaut son pesant d’hosties consacrées ! Au tout début du siècle, Charles avait été très pote avec Marc Sangnier, fondateur du Sillon. Et puis ce mouvement catho social avait viré crétin-démocrate, au point d’être condamné par saint Pie X, en 1910, et en termes définitifs : « Le Sillon convoie la Révolution, l’œil fixé sur une chimère. » Pour se venger, dit-on, certain ex-sillonistes auraient alors entrepris, avec d’autres, de dénoncer auprès du Saint-Siège Maurras et son panthéisme rampant.

Certes Pie X, dans sa grande sagesse, se refusa à condamner les errements métaphysiques du jeune Charles, classant l’affaire d’une formule casuistique comme j’aime : « Damnabilis, sed non damnandus » (« C’est condamnable, mais ça ne doit pas être condamné »).

Mais ce n’est pas tous les jours non plus qu’on est jugé par un saint de cette trempe, et son successeur, XIe du nom, n’aura pas de ces subtilités. Bref, il faudra attendre treize ans pour que l’excellent Pie XII lève la sanction, mais un peu tard : en 1939, dans les rumeurs de guerre et, déjà, le fourbissement des armes…

C’est à la fin de la foire que l’on compte les bouses ! L’Action française ne s’est jamais relevée de cette condamnation, sans que pour autant l’Église en soit sortie grandie. Alors, ne me dites pas que ça va recommencer ! Si une fois encore le fossé devait se creuser entre le trône et l’autel – c’est-à-dire entre Éric et François –, ce ne serait bon que pour les méchants ! 

Le Rassemblement Pour Rien

Lundi 1er décembre/Au lendemain de la victoire pyrrhusoïdale de Sarkozy à la primaire de l’UMP, qu’entends-je sur France Info ? « Le parti envisage de changer de nom, et pour l’instant c’est Le Rassemblement qui tient la corde. » Sérieux ? Ce serait trop beau…

Il se trouvera quand même bien, là-bas, quelqu’un pour faire valoir à qui de droit les abîmes de vacuité intellectuelle que cette appellation laisse entrevoir. Quoi qu’il en soit, pas d’affolement : on sera fixé ces jours-ci sur le nouveau nom du parti de Sarkozy et de ses meilleurs ennemis.

Vous me direz, non sans raison : l’Union pour un Mouvement Populaire, ça voulait déjà pas dire grand-chose… Pourquoi UMP plutôt que MUP ? Faut-il s’unir pour créer un mouvement, ou créer un mouvement pour s’unir ? Et accessoirement, que vient faire le peuple dans cette galère ?

Quoi qu’il en soit, ça a dégénéré en bataille de chiffonniers sur fond de byg scandal, à tel point que le boss veut repeindre la façade de la boutique. Est-ce une raison pour l’appeler « Boutique » ?

Du temps de De Gaulle, ou même encore de Chirac, on se donnait au moins la peine de préciser l’objet social de son mouvement. Rassembler « le peuple français », fort bien ; se rassembler « pour la République », passe encore… Mais un Rassemblement juste comme ça, au nom de rien, c’est plus fort que de jouer au bouchon ! Et pourquoi pas L’Attroupement, tant qu’on y est ?

Passons sur ce que ce que ça révèle du débat politique français, en état de mort cérébrale ; on s’en doutait déjà un peu. Ce qui me met en joie, dans cette affaire, c’est qu’une fois de plus Jalons avait vu juste ! Au mitan des 80’s, l’aile chiraquienne de notre mouvement ne s’appelait-elle pas déjà le Rassemblement Pour Rien (en abrégé, RaPouRi ) ? Et c’est Alain Duhamel le politologue ?

 

Le Masque et la plume 

Samedi 6 décembre/ Bertrand de Saint Vincent, vous connaissez ? Sinon, vous avez grand tort ; la plume de ce chroniqueur-là est d’or.

Avec lui, fini les bios-pavés d’un kilo… Ce matin, dans son billet du Figaro, il survole en deux feuillets quatre-vingt-quatre ans de Godard et, miracle, il y a l’essentiel.

Contrairement à ce qu’un vain peuple pense, un bon écrivain ne se doit pas d’être romancier ; seulement poète, peintre et musicien. Et même s’il a des opinions, voire des idées, il doit savoir se contenter de les esquisser… Une formule, une tournure, une simple virgule peuvent faire plus que tous les Stabilo Boss.

Ici par exemple, en quelques paragraphes, Bertrand nous conte son Jean-Luc, le peint, l’ « arrange » même à sa façon (Variations sur un thème godardien).

À dire vrai, je ne partage guère son enthousiasme apparent pour la Nouvelle Vague ; dans le genre sixties, je préfère le twist. De la bande des Cahiers, j’ai surtout retenu la morgue juvénile, des tics vite désuets, et les progrès qu’ils ont faits en s’en débarrassant. Qu’importe ! Grâce à Bertrand, j’entrevois au moins ce que j’ai pu rater.

Tout est dans la manière. Comme disait Jules Renard, « l’idée n’est rien ; sans la phrase, je vais me coucher ». Celles de BSV sont aériennes et denses, à faire rougir le bandeau d’un Goncourt.

Godard, note-t-il, « c’est le pape des années 60 (…). On le suit à la trace, lui a perdu la sienne ». Et quand enfin, après sa crise de maoïte aigüe, il revient vers le cinéma, ce n’est plus le même homme. « Il a perdu cette manière triste, désinvolte, de se moquer du monde. Ses prétentions l’encombrent. » Honneurs, prix, décorations : désormais, le King dédaigne tout, non sans esprit parfois. Ainsi quand il refuse l’ordre du Mérite : « Je n’ai d’ordre à recevoir de personne ! »

 

Bref, un sacré personnage, et le parcours qui va avec. « C’est à n’y rien comprendre. C’est du Godard », conclut joliment Saint Vincent. Jaloux, moi ? Jamais ! Plutôt l’éliminer…

 

 

Homophobie : deux ans ça suffit !

Mercredi 17 décembre, 4 h/ On se détend comme on peut. Pour certains c’est Youpomm, le site hot où « tous les fruitasmes se réalisent ». Moi, blasé comme je suis, j’ai décidé de m’accorder plutôt une pause dans mon travail en regardant en replay un doc sociétal de France 2.

 

L’« enquête » s’appelait Homos, la haine – et dès que je l’ai vue j’ai su que c’était elle ! Elle qui allait me dire ce qu’il fallait penser de la recrudescence de l’homophobie, liée non pas à la loi Taubira mais exclusivement à ses opposants… Elle qui m’expliquerait même peut-être par quelle sorte de Selbsthass j’avais pu devenir, comme lu sur un blog anonyme[1 Plutôt hostile.], un bi biphobe.

Eh bien, devinez quoi ? Ce docu-fiction m’a tellement plu qu’oubliant ma pause, j’ai pris des notes pour vous. Qu’est-ce qu’on dit ?

L’auteur, Philippe Besson, accessoirement écrivain, n’est jamais décevant dans ses engagements « citoyens ». En l’occurrence, il avait bien voulu confier en exclu à L’Obs l’objet de son entreprise : « Montrer à quel point les Manifs pour tous, ces défilés de petits Zemmour de 7 à 77 ans, avaient libéré la parole homophobe»

Autrement dit, ce doc est un C.Q.F.D. Pour Philippe et son co-enquêteur, l’affaire est pliée d’avance : l’unique responsable de l’homophobie, « ce mal qui ronge les sociétés contemporaines »[2. Ah bon, c’est si récent que ça ?], c’est la contestation du « mariage-pour-tous ». Si tout le monde avait été pour, on n’en serait pas là…

Le hic, c’est que les témoins interviewés pour l’occasion racontent exactement le contraire. Les discriminations, bien réelles, dont ils ont fait l’objet n’ont rien à voir avec les manifs incriminées, ne serait-ce que pour des raisons d’antériorité. Les jeunes Amina, Samuel et Emmanuelle ont été rejetés par des parents tradis, des « trois religions du Livre » comme on dit improprement. Quant aux « seniors », comme on dit poliment (Irène, Jean-Pierre et Martine), ce sont leurs patrons et collègues de travail qui leur ont pourri la vie.

Le cas le plus grave, c’est sans discussion celui de Bruno, sauvagement agressé, sodomisé avec une branche de taille adéquate et laissé pour mort dans un parc de Vitry-sur-Seine. À coup sûr, si ses quatre assaillants avaient porté des t-shirts rose et bleu, nos détectives n’auraient pas manqué de le signaler dans leur rapport – quitte à balancer les photos, les identités, les C.V. et, le cas échéant, quelques ragots croustillants.

Pas de chance ! Les faits remontent à 2006 et les coupables, condamnés depuis à vingt ans de taule pour tentative de meurtre, étaient des jeunes de banlieue normaux, tout juste désœuvrés. D’où l’idée, pour se distraire, de jouer à Orange mécanique avec un « pédé ». Mais à quoi bon ennuyer le téléspectateur avec de tels détails, n’est-ce pas, Philippe ?

Dans un genre plus léger, voire carrément grotesque, on a droit aussi au témoignage d’un des acteurs vedettes de Plus belle la vie : « Thomas » dans la série, Laurent dans la vie, et gay assumé dans les deux, avec une pointe de militance qui fait chanter l’ensemble.

De quoi se plaint-il, celui-là ? C’est bien simple : sa vie est un enfer ! Non seulement il doit essuyer parfois des insultes dans la rue mais surtout, se plaint-il, « on ne me propose plus que des rôles de gay ! ». Terrible discrimination en vérité – dont se contenteraient pourtant volontiers des milliers de comédiens au chômage, même pas forcément gays. Mais surtout, quel rapport avec la choucroute (de Barjot) ? Que l’on sache, les producteurs de télé et de cinéma n’étaient pas en première ligne dans le combat contre la loi Taubira…

Allez, remets-toi, Lolo ! Si pour l’instant on te cantonne dans des rôles de ce « genre », c’est que tu y excelles… Dis-toi que c’est la rançon du succès ! Regarde Clint Eastwood : il a eu le même problème, en début de carrière, avec ses rôles de cow-boy impitoyable à cigarillo.

S’il s’en est sorti, y a pas de raison que tu n’y arrives pas aussi… Pas forcément à faire le cow-boy, mais pourquoi pas un tenancier de saloon avec tablier, moustache et raie gominée ? Le même rôle que dans PBLV mais en moins gay, ça t’irait pour commencer ? En Bulgarie, en ce moment, on tourne d’excellents westerns…

Au total, j’ai rarement vu un documentaire aussi spectaculairement autophage, où chacun des intervenants vient démentir un peu plus la thèse qu’ils sont censés illustrer.

De deux choses l’une : soit l’auteur ne s’est rendu compte de rien, auquel cas il ne fait pas semblant d’être con ; soit c’est nous qu’il prend pour des cons. À lire les critiques enthousiastes qui ont salué cette pignolade, du Monstre à l’Os en passant par Télékrishna, je penche pour la deuxième hypothèse.

 

Z le maudit

Samedi 20 décembre/Depuis trop longtemps déjà ce Golem de Zemmour, qu’on n’avait pas vu grandir, salope le débat démocratique français en faisant son Cohn-Bendit à l’envers, c’est à dire subversif.

La goutte d’eau qui a mis le feu au vase, c’est le succès public de son dernier essai, à égalité avec une Trierweiler pourtant plus croustillante. Lorsqu’un « ennemi du peuple » commence ainsi à être en phase avec lui, plus question de débattre : il faut l’abattre ! C’est aussi ça, la France : on cause très librement de tout entre gens de qualité partageant les mêmes « fondamentaux » ; les autres, on les fait taire.

Le prétexte, pour Zemmour, ce fut donc cette interview donnée fin octobre à un quotidien italien. Un mois et demi plus tard – le temps de se faire traduire l’ensemble et d’y ajouter, pour faire joli, le mot « déportation » – l’ami Gianluca Melenchoni sonnait le tocsin sur son blog !

Au début, l’indignation hesselienne a bien pris – jusqu’au licenciement du Zemmour par iTélé… Ensuite, un certain malaise s’est installé dans le camp du Progrès, disons entre partisans de Saint-Just et lecteurs de Voltaire.

Jean-Luc lui-même a eu le culot de dénoncer publiquement les conséquences de sa propre manipulation ! À son instar, diverses personnalités « antifascistes » incontestables ont finalement demandé la grâce pour Zemmour – moins pour des raisons de principe que de tactique. La victimisation de ce criminel de la pensée ne risquait-elle point d’être contre-productive ?

Trop tard pour y songer, hélas ; le mal était fait… C’est dans l’œuf qu’il faut écraser la Bête Immonde ! On tâchera d’y penser la prochaine fois. [/access]

*Photo : Hannah.

Janvier 2015 #20

Article extrait du Magazine Causeur



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