« Les manœuvres de la Commission européenne n’ont rien à voir avec l’État de droit. Elles visent à imposer aux Polonais un modèle socio-politique ». Une tribune libre de Zdzisław Krasnodębski, sociologue, philosophe et député européen.
Après l’arrêt de la Cour constitutionnelle polonaise (du 7 octobre 2021, NDLR), la confrontation entre Varsovie et Bruxelles a franchi un nouveau palier. À Bruxelles, dans les institutions européennes, dans les capitales européennes et dans les médias grand public à travers le continue, la chose semble entendue : le gouvernement polonais violerait depuis longtemps l’État de droit, la démocratie en Pologne serait en déclin, la Pologne serait sur le point de devenir un État autoritaire – ou, comme le prétendent les plus virulents, en est déjà un.
Il est allégué que la Cour constitutionnelle polonaise a jugé que les articles 1 et 19 du Traité sur l’Union européenne étaient incompatibles avec la constitution polonaise. Ce n’est pas exact, comme d’ailleurs tant de choses qui ont été dites ou écrites sur la Pologne ces dernières années. La Cour constitutionnelle a seulement constaté que l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 2 mars 2021 viole la constitution polonaise, car il ordonne aux juges polonais de ne pas en tenir compte.
Que dit la Cour ?
Selon la Cour polonaise, l’article 1 du Traité sur l’Union européenne, qui consacre le principe d’intégration européenne, trouve ses limites dans la Constitution de la République de Pologne et ne peut pas atteindre à l’identité constitutionnelle de l’État. En d’autres termes, la primauté du droit européen a des limites claires. De manière similaire, la Cour constitutionnelle fédérale allemande s’était prononcée sur la compatibilité du traité de Lisbonne avec le droit fondamental allemand et avait identifié des limites. Par conséquent, si la Cour allemande est en droit d’énoncer les limites des compétences de l’UE, pour quels motifs pourrait-on dénier à son équivalent polonais ce droit ? Car les juges allemands n’ont pas seulement énoncé que le droit européen « ne prévaut pas de façon absolue », ils ont également souligné que les États membres devaient être « maîtres des traités ». S’il en est ainsi, la Pologne aussi est un « maître », et non le serviteur des traités. Sinon, cela voudrait dire que nous sommes dans une Europe où il peut encore y avoir des États souverains comme l’Allemagne, et d’autres comme la Pologne qui sont censés devenir des provinces vassalisées, régies par les institutions européennes.
Certains se sont précipités pour réclamer l’arrêt des paiements européens à la Pologne. Je souhaite rappeler que les fonds européens ne sont pas un acte de charité, mais une mesure destinée à uniformiser les règles du jeu après l’ouverture du marché polonais conséquente à l’adhésion à l’UE. D’ailleurs, les entreprises étrangères opérant en Pologne en bénéficient également. Par conséquent, le mécanisme récemment introduit, qui conditionne le paiement des paiements au respect de « l’État de droit » soulève de graves problèmes juridiques.
Une majorité parlementaire fragile
Le récit de la « menace systématique à l’État de droit » en Pologne était basé sur de fausses hypothèses dès le départ, avec, d’un côté, des faits exagérés et déformés et de l’autre, des réalités complètement ignorées. Le citoyen moyen de la Pologne (même s’il n’est pas toujours un soutien du gouvernement PiS, il n’est pas forcément pour autant un fanatique anti-PiS !) ne se sent pas entravé dans ses droits civiques et ne considère pas non plus que le pouvoir judiciaire n’est plus indépendant. Pas plus n’y a-t-il d’exemples de personnes reconnues coupables à l’issue de procès à motivation politique.
Les Polonais savent aussi très bien qu’il n’y a pas de dictature en Pologne, mais plutôt une majorité parlementaire fragile. Il y a de fait de sérieux désaccords dans la coalition gouvernementale, et la majorité au parlement est faible. Comme dans tout le monde démocratique parlementaire, le gouvernement en Pologne dépend de cette majorité. L’opposition conserve par ailleurs une part importante du pouvoir au niveau régional, davantage d’influence dans les médias et dans les sphères de l’élite culturelle.
Au demeurant, le soutien au parti Droit et Justice (PiS) demeure autour de 35% et selon des sondages récents, il passerait même à 40%. À ce jour, il s’agit du parti politique bénéficiant du plus large soutien populaire dans le pays. Et il n’est pas du tout certain qu’il ne gagnera pas les prochaines élections, même avec une opposition unie. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu d’erreurs commises par le pouvoir en place. La réforme judiciaire, par exemple, ne peut pas être considérée comme un succès – principalement parce qu’elle n’a pas amélioré les conditions de travail des tribunaux. Elle a en revanche réformé certaines attributions des juges qui jusqu’alors étaient au-dessus des lois et étaient de facto auto-élus.
Malgré des lacunes qui restent à combler, la Pologne n’a pas à rougir au sein de l’Union européenne par rapport à de nombreux autres pays, comme la Bulgarie, qui subit de violentes manifestations de masse, la République tchèque, où un grand oligarque qui contrôle également les médias est arrivé récemment au pouvoir, Malte, où des journalistes ont été assassinés ou encore le Luxembourg, qui est un paradis fiscal. On reproche à la cour polonaise d’être politisée. On pourrait aussi parler de l’Allemagne, où le président de la Cour constitutionnelle fédérale est un homme politique de la CDU qui vient directement des bancs du Bundestag.
Les institutions européennes doivent balayer devant leur porte
La Commission n’a jamais voulu appliquer les mêmes critères à tous les pays. Si l’indépendance des juges doit signifier qu’ils ne sont pas élus politiquement, alors l’UE devrait regarder l’exemple de l’Allemagne et exiger qu’elle change complètement son système judiciaire, car certains juges sont issus de partis politiques, ce qui garantit difficilement leur indépendance. Autre exemple : si l’indépendance dépend de l’existence d’une cour constitutionnelle, alors elle devrait exiger des Pays-Bas qu’ils en créent une. Et il faudrait aussi demander à la France de repenser son système politique à l’aune du principe de séparation des pouvoirs. Enfin, il conviendrait aussi que la Commission reconnaisse que l’État de droit au sein de l’UE elle-même n’est pas bon. Peut-être faudrait-il ainsi que ce soit le Parlement européen, qui a voté de nombreuses lois absurdes, sans s’interroger sur les limites de sa propre juridiction et en violation des traités, qui soit porté devant la CJUE.
Toute cette histoire est particulièrement ironique. Il y a quelques années la Commission avait engagé une procédure au titre de l’article 7, dans laquelle le gouvernement polonais est accusé d’avoir violé la Constitution polonaise. C’est maintenant la Commission et la CJUE qui demandent que la Constitution polonaise soit ignorée. Cherchez l’erreur. Au fond, tout cela n’a rien à voir avec l’État de droit en Pologne. Il s’agit de basse politique et de pouvoir de l’UE. Il s’agit d’imposer aux Polonais un modèle socio-politique qui est considéré comme la seule option viable.
La Pologne n’est pas un membre de seconde zone
Or, la vision que la Pologne défend est celle de Robert Schuman et du Général de Gaulle. Il est probable que tous deux seraient traités aujourd’hui de trublions d’extrême-droite ou d’eurosceptiques patentés. Les caciques de la centralisation de l’UE, pour laquelle la Pologne est devenue un véritable punching ball, continueront à vociférer. La Commission utilisera les mêmes méthodes contre d’autres pays. Il n’est pas difficile d’imaginer ce qui se passerait si un candidat de droite remportait l’élection présidentielle en France et traduisait ses promesses en actions. Michel Barnier, par exemple, est attaché à la souveraineté du droit français dans le domaine de l’immigration. Une victoire de Marine Le Pen ou d’Eric Zemmour provoquerait une réaction similaire à une victoire du PiS en Pologne, quelque peu tempérée par le respect envers la France.
La Pologne n’acceptera pas d’être un membre de deuxième zone et un État vassal de Bruxelles. L’Europe devrait s’atteler à résoudre la question de la limite des responsabilités de la Commission européenne et de la CJUE, au lieu de taper sur la Pologne. On pourrait toujours trouver des compromis sur des fausses questions : le problème de base persisterait. Aujourd’hui, plus de 30 ans après la chute du communisme, la question est : la liberté et la souveraineté nationale en Europe ont-elles un avenir ? Nous, Européens, devons résoudre le problème ensemble. J’espère que nous choisirons la liberté.
Traduction : Valentin Chantereau
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !