Zadistes, djihadistes, même combat?


Zadistes, djihadistes, même combat?

sivens ecologie beulin

Xavier Beulin, président de la FNSEA, a provoqué les cris d’orfraie dans l’establishment écolo en traitant les opposants au barrage de Sivens de « djihadistes verts ». Jean-Vincent Placé, le patron des sénateurs EELV, exige des excuses du leader paysan, et menace de le traîner en justice s’il ne présente pas ses excuses publiques et repentantes aux éminences vertes.

Comme toutes les analogies historiques, celle assimilant les « zadistes » du Tarn aux djihadistes du prétendu « Etat islamique en Irak et au Levant » porte en elle sa réfutation : qui pourrait sérieusement assimiler une guerillette mimétique dans les champs de maïs gascons à la barbarie égorgeuse des islamistes radicaux ?

Xavier Beulin n’est peut-être pas un intellectuel frotté aux théories postmodernes en vogue, mais, comme Monsieur Jourdain, il rejoint, sans le savoir, l’analyse la plus pertinente du phénomène totalitaire nazi : celle de Leo Strauss  le présentant comme un avatar du « nihilisme allemand » : «  Le nihilisme allemand désire la destruction de la civilisation moderne dans la mesure où la civilisation moderne a une signification morale. Comme chacun sait, le nihilisme allemand n’est pas particulièrement opposé aux moyens techniques modernes. La signification morale de la civilisation moderne, à laquelle s’oppose les nihilistes allemands s’exprime dans des affirmations comme les suivantes : soulager la condition de l’homme ; protéger les droits de l’homme ; le plus grand bonheur possible pour le plus grand nombre.(…) Cette protestation vient de la conviction que la société ouverte, qui est le but de l’internationalisme inhérent à  la civilisation moderne, et toutes les aspirations liées à ce but sont incompatibles avec les exigences de la vie morale »[1. Leo Strauss, Nihilisme et politique, éditions Rivages poche.].

Ce nihilisme s’est totalement dégermanisé après l’effondrement apocalyptique du IIIème Reich, mais tel le Phoenix, il renaît de ses cendres sous des formes nouvelles, remettant à l’ordre du jour le « non » radical à l’idéologie du progrès et à la mondialisation, et préconisant l’instauration de société closes fondées sur le primat d’une morale transcendante avec ou sans Dieu. Les djihadistes et les zadistes partagent la conviction que la société ouverte est vouée, sinon à être immorale, du moins amorale : le lieu où se retrouvent ceux qui recherchent le plaisir, le profit, un pouvoir irresponsable, où se retrouvent en fait toutes les irresponsabilités et les absences de sérieux. L’humour leur fait horreur, l’idée du bonheur les hérisse.  Ecoutons encore Leo Strauss, opposant le messianisme laïque des communistes à la passion nihiliste : « Ce qui paraissait aux communistes la réalisation du rêve par excellence de l’humanité était, pour ces jeunes Allemands (ceux de l’Allemagne de Weimar N.D.A.), le plus grand avilissement de l’humanité, la fin de l’humanité, l’apparition du «  dernier homme ». Ils furent incapables d’exprimer dans un langage suffisamment clair ce qu’ils désiraient mettre à la place du monde présent : la seule chose dont ils étaient absolument certains était qu’il fallait anéantir le monde présent et toute les potentialités du monde présent, afin de prévenir l’établissement de l’ordre communiste ultime, qui deviendrait inéluctable sans leur intervention : : littéralement n’importe quoi, le néant, le chaos, la jungle, l’Ouest sauvage, l’état de nature hobbien, leur semblait bien supérieur au futur communiste-anarchiste-pacifiste ».

Le projet civilisationnel communiste ayant fait faillite, le capitalisme mondialisé, l’individualisme libéral est aujourd’hui la figure de l’ennemi commun de Daech et du groupe de Tarnac. Il  doit être détruit sans qu’il soit pour cela nécessaire de présenter un projet alternatif : le Califat du désert n’est en rien un projet d’Etat, organisant la vie collective d’un population sur un territoire défini, mais une base militaire à partir de laquelle le djihad mondial procédera à la destruction physique des pouvoirs moralement corrompus, grands et petits Satans confondus. Le « Comité invisible », promu par la presse de gauche comme le fin du fin de la critique « radicale », nouvelle bible des zadistes, n’en a rien à cirer de la préservation des zones humides, ou de la survie des bouquetins du Bargy : il s’agit pour les épiciers de Tarnac de « congédier cette époque devenue totalement irrespirable (…) Quarante ans de contre-révolution triomphante en Occident nous ont affligés de deux tares jumelles, également néfastes, mais qui forment ensemble un dispositif impitoyable : le pacifisme et le radicalisme  ». On aura compris qu’il ne s’agit pas du radicalisme de Jean Michel Baylet, mais de toutes les versions non tarnaciennes de l’ultragauche, de Toni Negri à Alain Badiou, obstacles à « l’insurrection qui vient ».

Il faut rendre hommage à Frédéric Taddeï d’avoir permis l’intervention, devant des centaines de milliers de téléspectateurs d’un représentant ce discours nihiliste moderne, qui se substitue aujourd’hui à l’écologie pépère d’un Dany-Cohn Bendit, qui avait pu, un temps, faire prendre des vessies pour des lanternes, et un nouvel avatar du nihilisme préfasciste pour une utopie joyeuse et conviviale.

*Photo : SALOM GOMIS SEBASTIEN/SIPA. 00697051_000013.

 



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