Il faut lire Yves Ravey, et ses étonnants vrais-faux romans noirs.
Parfois, on loupe un roman à sa sortie et puis le hasard, ou « une main mystérieuse », comme l’écrit Yves Ravey dans Taormine, vous le place sur votre chemin. Donc Taormine, publié à la rentrée littéraire de septembre 2022, je l’ai lu la semaine dernière dans le train qui me conduisait à la campagne.
Un court roman, écriture minimaliste, phrases sèches, détails précis, atmosphère angoissante, qui raconte l’histoire d’un couple pas loin de la sortie de route. Elle se prénomme Louisa, est assez autoritaire, malgré de doux yeux verts. Fille de professeur de médecine, elle dirige un laboratoire au Centre national de la recherche scientifique, le sien, elle gère les comptes.
Lui, se nomme Melvil Hammett, comme le fondateur du roman noir, ça paraît gros, mais Yves Ravey a de l’humour et un brin de dérision ; c’est lui le narrateur. Il nous irrite parfois avec des détails sans importance, comme le lavage d’un pare-brise de voiture de location, transformée en engin de mort, car… il y a une victime, un enfant de migrant, écrasé par Hammet. Et c’est là que tout dérape.
Une époque où la vie ne vaut pas grand-chose
Le voyage que le couple effectue en Sicile, en avril – il faut faire attention, les mois d’avril sont meurtriers – va tourner au cauchemar.
En sortant de l’aéroport, Louisa et Melvil louent une voiture avec un supplément assurance au cas où ils auraient un accident, on n’est jamais assez prudent. Ils quittent l’itinéraire. Ils se perdent. Elle voulait voir la mer. Il est faible, essaie de sauver son couple, il n’a pas de chance, leur voiture heurte quelque chose. Ni l’un ni l’autre ne descend pour vérifier la nature du choc. C’est l’engrenage.
Yves Ravey, auteur de nombreux romans, dont Un notaire peu ordinaire, ainsi que de pièces de théâtre, entraine le lecteur à suivre le narrateur et sa femme dans un face à face qui révèle leurs personnalités. Melvil n’est pas un héros, ce serait même le contraire, il est à l’image de notre époque, une époque où la vie ne vaut pas grand-chose, surtout quand il s’agit d’un gosse sans papier, et où l’argent recouvre d’une mantille noire la morale. Pourtant Melvil, jamais, ne se surestime. Il a même tendance à se sous-estimer.
Après avoir refermé le roman, très cinématographique en fait – Melvil, comme Jean-Pierre, pour aller au bout de la dérision ? – je me suis demandé en quelle année se déroulait l’histoire. Louisa, au début du récit, déplie une carte routière. C’est devenu rare comme objet. Melvil, sachez-le, avant de lire Taormine, est possiblement manipulateur. À l’instar d’un narrateur créé par Alain Robbe-Grillet.
Yves Ravey, Taormine, Les Éditions de Minuit.