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Yves Charnet, la maladie d’amour


Yves Charnet, la maladie d’amour
Yves Charnet. Wikimedia
Yves Charnet. Wikimedia

Qu’il est bon de retrouver cet écrivain discret, de replonger dans les mots de ce virtuose de l’indécence, ce styliste qui avance sur un fil, tel un improbable funambule. On sait, par expérience, que cette rencontre laissera des traces. Il n’est pas de ceux qu’on lit innocemment pour s’endormir au coin du feu. Son lamento colle longtemps à la peau. Voyager en sa compagnie n’est pas de tout repos. Il impose son rythme, son désordre intérieur et son impossible quiétude nous interroge sur le sens même de l’existence. Sa prose brutale, parfois instable, cabossée par endroits, lumineuse à d’autres, perce les secrets d’une âme vagabonde. L’abîme est son âtre.

Un écrivain sans filtre

Tous les jours, il souffle sur ce brasier. Nous brûlons avec lui de lire tant d’intimité dévoilée. Nous perdons pied dans cette bacchanale déchirante. Charnet est un cas à part dans le paysage littéraire français. Un poète égaré dans un monde de l’édition qui préfère les auteurs phraseurs et sentencieux. Il ne chasse pas en meute comme certains de ses confrères, ne se donne jamais le beau rôle et ne croit pas aux vertus du divertissement. Il fuit les faux-semblants. Sa transgression est de tout nous raconter, notamment le détail de ses histoires d’amour. Mais là où les mystificateurs à grosses paluches nous écœureraient, nous suivons Charnet le délicat, dans ses excès, avec l’espoir fou, qui sait, de le protéger de ses propres démons. Le lecteur n’est-il pas le meilleur médecin de l’auteur, son unique bouée de sauvetage, son phare dans la longue nuit ? Livre après livre, ce quinquagénaire qui a déjà publié à la Table Ronde et Au Diable Vauvert, écrit toujours sans filtre, il ne s’interdit aucune outrance, ne se cache pas derrière un obscur personnage de fiction, il se présente, je dirais même qu’il s’offre à nous, sans le masque et les frusques du narrateur bête et discipliné.

Charnet construit son récit avec une violence et une sincérité qui nous touchent et nous émeuvent. Il ne truque jamais sa phrase, il a la volonté farouche d’en extraire toute sa force vitale, virale même. Les écorchés solitaires qui font le pari d’une littérature originale, qui mettent leur peau sur la table de travail sont précieux et rares. Couvons-les et encourageons-les en les lisant tout simplement. A travers cette détresse sublimée, cette errance désordonnée ou cette débauche de sexe, le lecteur perçoit la lumière crue de la vérité. Dans sa dernière autofiction, autobiographie ou mémoires, peu importe le genre, Charnet laboure le fond, avec ardeur. « Dans son regard aux lèvres rouges » vient de sortir aux éditions Le Bateau Ivre, agrémenté d’une postface de Jean Delabroy. Le nivernais de naissance nous invite à partager une liaison « pornographique » entre lui, professeur célibataire et Romy, « une petite fille de 40 ans ». « Une âme de gosse dans un corps de femmes mûres » dont la candeur insolente et la jouissance extrême qu’elle lui procure, deviennent une prison des sentiments. Entre le quinqua avide de cette chair tendre et la quadra en perte d’équilibre, la sarabande des corps s’accélère dans un tourbillon infernal.

Le récit d’une passion dévastatrice

Charnet a choisi comme bande-son de cet amour & désamour, les chansons populaires de Bécaud, Sardou, Lama et Montand. Il ressasse ses deux années d’une passion exclusive et dévastatrice. « J’étais toujours affamé de cette femme mariée » dit-il. Leurs corps se consumaient éperdument dans le creux d’un lit improvisé, à Toulouse, Paris ou ailleurs. Les draps d’un hôtel Ibis ne suffisaient pas à étancher leur soif de plénitude. Romy, blonde désirable, épouse effacée d’un ingénieur transparent, mère de deux enfants, qui s’éprend de Yves, intello débonnaire, amateur de Sautet. Cet adultère flaubertien n’a rien de banal chez Charnet, le charnel, qui cherche obstinément un sens à la vie. Il se met, une fois de plus, à nu. On l’avait quitté sur les bords de la Loire, vers la Charité où il égrenait les maux de son enfance dans un précédent livre. Il nous revient encore plus désarticulé, l’amertume des grands perdants est un horizon sans fin. La littérature de qualité y puise son ferment.

Yves Charnet, Dans son regard aux lèvres rouges, Editions Le Bateau Ivre (Postface de Jean Delabroy)

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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