Jérôme Leroy entame cette série d’été par ce roman d’Yves Amiot sur le patriotisme. Déniché dans un vide-grenier lillois, le livre nous embarque pour les forêts des Ardennes.
Il faudrait attirer davantage l’attention sur Yves Amiot mort en 2008. Ce banquier d’affaires avait un physique de proconsul romain, est l’auteur d’une œuvre parmi les plus intelligentes de cette époque. Intime de l’éditeur José Corti où il a publié ses premiers romans, ami de Julien Gracq, Yves Amiot réunissait les principales vertus de ses deux parrains en littérature : une souveraine indifférence aux engouements éphémères d’une époque qu’il méprisait sans ostentation et un style d’un classicisme un rien hautain.
Son sujet de prédilection était l’homme seul dans les tragédies historiques, l’homme des choix assumés et le plus souvent désespérés. Ses personnages favoris : un préfet de Vichy, un chirurgien des armées de Bonaparte ou un Solitaire janséniste à la veille de la Révolution française. Ses références avouées ou secrètes, Pascal et Corneille n’empêchent pas un sens aigu de la narration et une technique spectaculaire dans les descriptions de batailles.
L’appel de la forêt
Quand nous avons trouvé ce Cavalier Rampin (Flammarion, 1991) qui nous avait échappé, on a pourtant reconnu d’emblée un des thèmes favoris d’Yves Amiot : le destin paradoxal et un peu fou qui consiste à rester français par gros temps.
Nous sommes quelque part dans les Ardennes. Il y a une maison cernée par l’hiver. A l’intérieur un vieux philosophe et un jeune magistrat. Le premier raconte au second l’histoire d’un de ses condisciples de Sorbonne que l’on surnommait dans les années 30, le Cavalier Rampin, à cause de sa ressemblance avec la statue grecque du même nom. Rampin avec l’intelligence lucide et le cœur sensible des âmes d’élite pressent la guerre qui vient. Mobilisé en 40 comme sergent dans une ligne de casemates qui surplombe la Meuse, il comprend l’incurie de ses chefs et la lâcheté de ses subordonnés.
L’Europe actuelle, un goulag mou?
Après une résistance désespérée contre l’assaut nazi de mai 40, il prend la forêt, en uniforme, et refuse de se rendre. Malgré l’occupation, malgré la collaboration, il passe quatre années à rôder dans les massifs ardennais, remords insupportable et symbole vivant. Quarante-cinq ans plus tard, Rampin assiste à l’effondrement du Mur de Berlin, et pour lui cela signifie une répétition obscène de l’histoire. Alors, malgré son âge, autant reprendre la forêt…
Amiot avait écrit là un roman fascinant sur le patriotisme qu’il ne confond jamais avec le nationalisme : la chute du Mur lui apparaissait comme l’acte de naissance d’une Europe désincarnée et impuissante, un goulag mou. Avait-il vraiment tort ?
Le cavalier Rampin de Yves Amiot (2 euros, vide-grenier quartier Saint-Maurice, Lille)
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