Yvan Colonna, qui bénéficiait du statut de Détenu Particulièrement Surveillé, a été étranglé dans la salle de gym de la prison d’Arles par un co-détenu condamné pour islamisme, et se trouve aujourd’hui, pour autant que l’on sache, en état de mort cérébrale, suite à une anoxie du cerveau. Un hasard malheureux, sans doute.
Nous sommes nombreux à ne jamais avoir cru à la culpabilité d’Yvan Colonna — qui n’a jamais avoué, alors que le militantisme de l’époque supposait plutôt une revendication hautaine —, et à penser que le meurtre du préfet Erignac fut le fruit d’une manipulation politique de haut niveau. Pour explorer cette hypothèse, j’ai écrit en 2002 un roman, Pur porc (republié ultérieurement sous le titre Viande froide), et j’en ai tiré un scénario réalisé en 2012 par Antoine Santana pour Arte sous le titre Main basse sur une île, avec un François Berléand particulièrement convaincant.
Qui peut sérieusement penser que le « Groupe de Cargèse », que j’ai vaguement connu et dont le QI global ne dépassait pas 50, ait pu manigancer un assassinat exécuté avec une arme volée six mois auparavant dans une gendarmerie ? Quelle suite dans les idées ! Quel talent dans la rédaction d’un tract de revendication inidentifiable — fabriqué manifestement par un linguiste au courant des techniques d’analyse co-occurrentielle pratiquées par la police.
C’était l’avis de Jean-Michel Rossi, membre éminent du FLNC-Canal historique. Ce dernier avait fait paraître un brûlot intitulé Pour solde de tout compte. Guy Benhamou, journaliste alors à Libé et spécialiste des questions corses, qui l’aida à le mettre en forme, avait vu en 1996 sa maison de banlieue parisienne mitraillée par des inconnus : un hasard probablement. Quant à Rossi, il fut proprement exécuté d’une douzaine de balles dans la tête, en août 2000. L’Iguane — François Santoni, chef du FLNC — écrivit du coup Contre-enquête sur trois assassinats, où il analysait parallèlement la mort de son ami et celle du préfet : avant même la parution de l’ouvrage, il fut tué lui aussi, dans un guet-apens qui ressemblait fort à un exercice en triangulation style Dallas. Tous ces gens ont une fâcheuse tendance à se mettre par accident sur le trajet de balles tirées dans un pur but de divertissement.
C’est dire que la tentative d’assassinat (apparemment réussie, même s’il survit, Yvan Colonna, qui était libérable, ne dira plus jamais rien sur cette affaire) sur le principal inculpé de l’affaire Erignac est si suspecte que le soir même, des manifestations se montaient dans l’île, où Gilles Simeoni réclamait une enquête sérieuse — mais chacun sait que l’administration pénitentiaire est une bien plus grande muette que l’armée. Et mon ami Olivier Jourdan Roulot exprimait avec circonspection sur BFM ses doutes sur l’événement.
Rappelons pour compléter le dossier que l’avocat d’Yvan Colonna, Antoine Sollacaro, a été assassiné lui-même en octobre 2012 par un individu parfaitement identifié mais qui mystérieusement n’est toujours pas passé en procès — et qui continue à se balader librement dans l’île. Ah, la belle mansuétude de la justice française…
Vous vous demandez peut-être à qui le meurtre d’Erignac pouvait bien profiter. Ma foi, demandez-vous pourquoi peu de temps après le gouvernement Jospin avait proposé de donner aux maires de Corse la haute main sur les permis de construire — y compris sur les zones théoriquement préservées par le Conservatoire du Littoral. Une initiative violemment combattue par le FLNC, branche Armata Corsa — dont tous les membres, ou à peu près, furent éliminés entre 2000 et 2002. Des accidents de chasse certainement.
Lors de son arrestation, Nicolas Sarkozy avait désigné Yvan Colonna comme « l’assassin du préfet Erignac » — au mépris de toute procédure judiciaire. Il fallait un coupable, pour exonérer l’Etat de toute ingérence dans cette ténébreuse affaire. Et ce n’est pas le sénateur Charasse, aujourd’hui disparu, et dont la mère était corse, qui nous aidera désormais à démêler les fils entrecroisés de l’histoire : rappelons que l’ancien ministre du Budget s’est longtemps occupé à l’Elysée des affaires insulaires, au point de présumer contre toute évidence que mon père, président d’une université dont l’oligarchie corse ne voulait guère, était le chef du FLNC. Loin de moi de présumer que c’est à son instigation que des membres d’un service parallèle montèrent un casse chez mes parents, se firent bêtement gauler par une brigade de policiers qui passaient, et ne furent jamais traduits en justice. Il n’y a que dans les romans foutraques que de telles mésaventures arrivent. Chacun sait qu’il n’y a pas de pieds-nickelés à la DGSE.
Colonna aurait pu être transféré depuis des années à la prison de Borgo, près de Bastia, où ses proches auraient pu plus facilement lui rendre visite. Il ne l’a pas été — et je n’irai pas jusqu’à présumer que quelqu’un, en très haut lieu, avait une idée derrière la tête. « Compte tenu de son statut de DPS, dit son avocat Maître Sylvain Cormier, il n’est pas normal que ce genre de choses aient pu arriver. » Un instant d’inattention, sans doute. Le député nationaliste de Haute-Corse, Jean-Félix Acquaviva, en rajoute une couche, trouvant « surprenant qu’un tel acte ait pu être commis dans la salle de sport d’une prison centrale surveillée et a fortiori sur un détenu particulièrement signalé. » Et de fustiger « la responsabilité écrasante de l’Etat ». Pff… Vilaines insinuations. Je salue la famille et les amis d’Yvan Colonna, et m’associe à leur chagrin et à leur trouble. Quant à savoir ce qui s’est passé dans l’esprit d’un détenu à tête assez creuse pour avoir intégré l’idéologie islamiste, ce qu’il a pu croire ou les promesses qu’on lui a faites — tout cela appartient à la fiction, ça va de soi.
Contre-enquête sur trois assassinats : Erignac, Rossi, Fratacci
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