La guerre que la coalition arabe mène au Yémen n’en finit plus. Les Emirats ont beau annoncer le retrait partiel de leurs troupes et son inscription dans une « logique de paix », le conflit semble sans issue. Théâtre de la guerre (de moins en moins) froide entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, l’ancienne Arabie heureuse s’enfonce dans la crise humanitaire.
Les Emirats Arabes Unis annoncent le retrait partiel de leurs troupes au Yémen et déclarent s’inscrire dans une « logique de paix », contrairement à « la stratégie militaire » jusqu’alors en vigueur. Tels sont les termes du communiqué officiel publié après que les rebelles houthis, proches de l’Iran, ont accepté de renoncer à certains territoires qu’ils avaient conquis à Hodeïda, à l’ouest du pays.
Les Emirats ont donc fait revenir au pays une partie de leurs chars et hélicoptères. Pourtant, malgré le rapatriement de leur artillerie lourde, de nombreuses troupes armées restent encore au sol. Et, surtout, cette annonce de « paix » ne réussit pas à freiner les escalades de violence que connaît le Yémen.
Le 1er août 2019, deux attaques jumelles ont embrasé le Yémen. L’une, revendiquée par les rebelles houthis à la périphérie d’Aden, visait des policiers en train de défiler lors d’une remise de diplômes, et a fait 17 morts et plusieurs blessés. Un brigadier haut placé entraîné par les Emirats, le général Mounir Al-Yafy, a été ciblé et tué sur le coup.
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L’autre attaque a été attribuée à des groupes djihadistes, même si l’ambassadeur des Emirats au Yémen, Mohammed bin Saeed Al Jabir, a immédiatement accusé les rebelles, et par conséquent, l’Iran, d’avoir coordonné l’attaque. Le 7 août, les houthis ont tué au moins deux membres des forces progouvernementales.
Comme de bien entendu, les Nations-Unies appellent à la désescalade. Sur la même ligne, le ministre de l’Intérieur du Yémen, qui siège au sein du gouvernement pro-saoudien d’Aden, Ahmed al-Mayssari, incite ses concitoyens à ne pas répondre aux attaques répétées des houthis. Même son de cloche chez le chef de la diplomatie émirati Anwar Gargash : répondre à la violence « n’est pas une solution » explique-t-il sur Twitter. Ce message manifeste la volonté des Emirats de prendre de la distance pour mieux manœuvrer dans le pays, notamment en se séparant peu à peu de l’Arabie Saoudite.
UAE Calls for Calm and Dialogue to Maintain Security for Yemeni Citizens https://t.co/05QuwL1QnF
— د. علي النعيمي (@Dralnoaimi) 10 août 2019
Car si elles sont officiellement alliées, les deux monarchies ne poursuivent pas tout à fait les mêmes objectifs au Yémen.
Si les Emirats veulent faire de ce pays un territoire faisant partie intégrante de leur politique d’influence régionale, l’Arabie Saoudite voit le Yémen comme une véritable extension de sa souveraineté, n’hésitant pas à passer des alliances avec les Frères musulmans qui sont la bête noire historique des Emiratis.
Objectif Socotra
Ainsi désolidarisés de l’Arabie Saoudite, les Emirats peuvent mieux manœuvrer comme ils l’entendent, ayant toujours sur le sol yéménite plus de neuf mille soldats engagés. Riyad s’est montrée discrète à propos de ce retrait, mais aurait essayé de dissuader les Emirats de prendre une telle décision. Et pour cause : sans l’appui des Emirats, l’Arabie Saoudite peut difficilement gagner la guerre contre les houthis. C’est pourquoi aucune issue au conflit ne se dessine.
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Ceci étant, se désengager partiellement du conflit ne signifie pas se désengager du pays – les Emirats auraient trop à y perdre compte tenu de leurs ambitions géopolitiques. Au contraire, ils vont essayer de renforcer toutes leurs forces locales, et, pour ce faire, former de nouvelles élites, explique le chercheur Ahmad Nagi. Les Emirats auraient un objectif précis : accroître leur présence sur l’île de Socotra, à 350 kilomètres du sud-est du Yémen, au large des côtes somaliennes. Cette île yéménite est fortement convoitée par les Emirats, qui tentent de l’annexer depuis mai 2018, et sans l’accord du Yémen. Elle présente un intérêt stratégique majeur pour les Emirats, qui veulent en faire une base navale et un comptoir commercial en mer d’Arabie.
Si aucune opposition armée n’a été déclarée, le premier ministre du Yémen, Ahmed ben Dagher, s’élève contre ces tentatives d’invasion qu’il considère comme des offensives « injustifiées » sur la souveraineté du pays.
Jouer le beau rôle
Le chercheur Yassine Al-Tamimi confirme donc que « en réalité, l’annonce de la diminution des forces militaires émiraties au Yémen n’a aucun rapport avec l’évolution de la situation géopolitique du Golfe ». Et François Frison-Roche, spécialiste du Yémen au CNRS, de rajouter : « Les Emirats, sensibles à leur image internationale, veulent se donner le beau rôle ». La principauté est en effet très attentive à sa communication et à l’image qu’ils renvoient à la communauté internationale. C’est aussi, par ailleurs, une des raisons pour lesquelles ils sont moins exposés que l’Arabie Saoudite dans la guerre du Yémen. Un politiste émirati, Abdulkhaleq Abdullah, ajoute à cela que les « Emirats font tout ce qu’ils peuvent pour montrer que si une guerre éclate, ce ne sera pas de leur faute », notamment au sujet de l’Iran, puisque le retrait des troupes devrait apaiser les relations avec Téhéran, qui soutient les rebelles houthis. Cette démarche se confirme avec le récent rapprochement des Emirats et de l’Iran, les deux pays s’étant rencontrés pour la première fois en six ans, même si, selon un émirati officiel, il ne s’agissait que de propos échangés autour de la sécurité maritime. Or, les Emirats veulent surtout échapper à une guerre prévisible, étant géographiquement en première ligne face à la République Islamique. On n’est jamais trop prudent.
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