Le Yémen, victime de l’amitié franco-saoudienne?


Le Yémen, victime de l’amitié franco-saoudienne?

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La guerre au Yémen serait-elle indirectement entretenue par le gouvernement français ? C’est la question posée par le site Your Middle East ce lundi. La question ne laisse pas de marbre. Car le conflit yéménite a souvent été pointé du doigt pour ses nombreuses violations des droits de l’homme.

Sept mois après le lancement de l’opération « Tempête Décisive » par l’Arabie Saoudite, à la demande du président alors en exil suite à la prise du palais présidentiel de Sanaa en janvier 2015 par les rebelles Houtis, l’heure est encore au chaos. L’objectif de la coalition saoudienne ? Enrayer la progression des rebelles chiites du Nord, accusés d’être soutenus par l’Iran chiite, vers le Sud du pays sunnite. Les Etats-Unis ont donné carte blanche à la coalition « Restaurer l’espoir », qui réunit outre le royaume saoudien, le Bahrein, le Qatar et les Emirats arabes unis. Une sorte de « bon pour attaquer » de la communauté internationale. Mais le contexte est plus complexe. Sur place, en guise de trouble-fête, sévit une virulente branche de l’Etat islamique. Elle est notamment responsable de l’attentat contre une mosquée de la capitale yéménite qui avait causé la mort de 30 personnes le 17 juin dernier.

Sur place, les combats sont violents, et permanents. En août dernier, l’ONG Amnesty International tirait la sonnette d’alarme, relevant de la part de l’ensemble des belligérants des «  atteintes graves au droit international humanitaire et au droit international relatif aux droits humains ». Selon l’ONG, des zones habitées et des infrastructures civiles sont délibérément visées par des frappes aériennes de manière disproportionnée, des enfants sont enrôlés dans les rangs pro-Houthis et les forces en présence font usage d’armes bannies par la communauté internationale.

Les chiffres affolent. En tout, 2.000 civils auraient été tués, dont 400 enfants, alerte Amnesty International dans un rapport publié début octobre. Sur place, 80% des 21 millions d’habitants du pays ont besoin d’une assistance humanitaire, relève encore l’ONG. Et dans le pays, 1,5 million de personnes ont été déplacées. Amnesty demande donc une enquête indépendante sur les violations des droits de l’homme par l’ensemble des belligérants au Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU et l’arrêt des livraisons d’armes par les Etats-Unis.

Et pourtant… le 2 octobre dernier, la résolution de demande d’enquête est écartée au HCR. A la place, c’est une  résolution désignant une commission nationale d’enquête qui est adoptée. Problème : celle-ci émane d’un décret du président yéménite Abd Rabo Mansour Hadi, rentré en septembre, après la reprise d’Aden. Adieu l’enquête indépendante. C’est un allié de l’Arabie Saoudite qui jaugera du degré de violation des droits de l’homme par ses adversaires.

Mais où était la France le jour du vote ? Comment a-t-elle pu ne rien voir ?

La France était là. Tout comme le Royaume-Uni. Leur vote ? Favorable. Et ça n’a rien d’une surprise.

Retour en avril dernier. Le ministre des Affaires Etrangères Laurent Fabius fait une visite officielle en Arabie Saoudite, peu après le début des frappes aériennes de la coalition. Il assure le royaume saoudien du « soutien » de la France alors même que la situation humanitaire est alarmante. Sauver le Yémen n’a pas de prix. Surtout pour la France. Quelques jours plus tôt, l’Hexagone a complété sa tirelire en signant avec le Qatar, membre de la coalition, un contrat militaire de 7 milliards d’euros. De quoi emprunter un sourire sincère et fermer les yeux sur quelques accidents bien involontaires au Yémen. A la guerre comme à la guerre. D’autant qu’il serait dommage de froisser l’amie Arabie Saoudite, elle aussi  véritable soutien pour les ingénieurs en armement français, l’innovation, le Made in France ! Car l’Arabie Saoudite aime la France et lui confère un soutien sans faille. Depuis quelques années, le royaume, qui consacre un budget de plus en plus important aux dépenses militaires, a fait de la France son principal fournisseur en matière d’armement. En seulement quatre ans, de 2010 à 2014, les livraisons de la France vers l’Arabie Saoudite auraient même augmenté de 96,9%, selon l’Institut de recherche international pour la paix de Stockholm.

Car François Hollande a choisi dès 2012 de faire de l’Arabie Saoudite un partenaire de choix. Et la lune de miel a bien eu lieu : en mai 2015, le royaume saoudien s’est engagé à signer sur plusieurs années 50 milliards d’euros de contrats et accords avec la France. En juin dernier, 10,8 milliards d’euros avait été annoncés, lors de la visite à Paris du vice-prince héritier et ministre de la Défense, Mohammed Ben Salman. Le 13 octobre dernier, rebelote, Manuels Valls et le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drain, en déplacement à Ryad, pérennisent l’entente avec la signature de 10 milliards d’euros de contrats d’armement défensif : chantiers navals, navires patrouilleurs, satellites espions sont parmi les commandes du royaume aux entreprises françaises. C’est en tout cas ce qui a été annoncé par le Premier ministre. Sauf que… il ne s’agit que de promesses. En réalité, Ryad ne serait fermement engagé que pour un montant de moins de trois milliards d’euros et seuls 30 patrouilleurs pourraient être livrés avant la fin de l’année, pour un montant de 600 millions d’euros.

Alors mieux vaut caresser l’Arabie Saoudite dans le sens du poil. Le Yémen ? Un caillou dans la chaussure de deux pays qui marchent main dans la main.

*Photo : SIPA. 00712025_000020



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Journaliste et syndicaliste, Manuel Moreau est engagé dans le mouvement social.

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