Selon France Inter, c’est la « meilleure série TV de l’année ». Causeur n’est pas exactement du même avis. Imaginant l’Angleterre de la prochaine décennie, Years and Years patauge dans le politiquement correct. Du néoféminisme au culte des migrants, cette œuvre de la télévision publique britannique s’efforce de cocher toutes les cases.
Les Anglais jouissent d’une excellente réputation dès qu’il s’agit de série télévisée. Dans la foulée de Chernobyl, une quasi-perfection, j’ai donc fait confiance à la BBC et à Years and Years présentée comme la nouvelle mini-série événement du moment (diffusée sur Canal + séries en mai). Là où Chernobyl remontait le temps pour nous faire vivre au plus près la catastrophe du nucléaire civil soviétique, les scénaristes anglais nous invitent cette fois à explorer les dix prochaines années de l’Angleterre – exercice d’anticipation toujours périlleux que j’abordais avec une foi inébranlable dans l’honnêteté intellectuelle du service public de Sa Majesté. C’est donc au travers d’une famille britannique exemplaire que Years and Years nous invite à ce voyage dans le futur. Une tribu anglaise typique comme il en existe des millions. Autour d’une grand-mère vaguement anarchiste, on suit les destins entremêlés de quatre frères et sœurs, leurs conjoints et leurs enfants. L’une des femmes de la fratrie, Rosie, se trouve être paraplégique, tandis que sa sœur aînée, Edith, est une figure et une synthèse de l’avant-garde progressiste. Passionaria de l’écologie dans sa version collapsologue (on va tous mourir), lanceuse d’alerte (gouvernement et multinationales sont pourris), activiste pro-migrants et grand reporter au plus près de l’action – en l’occurrence une bombe nucléaire lancée sur la Chine par Trump au dernier jour de son deuxième mandat (enfin un peu d’humour). Le producteur a dû trouver que le personnage d’Edith avait un très bon rapport qualité morale/prix, tant elle incarne un nombre record d’items progressistes. Aurais-je omis de signaler qu’elle entretient une relation homosexuelle avec une femme noire elle-même versée dans l’aide aux réfugiés ?
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Des scènes de sexe homosexuel à foison
Côté masculin, il y a également de bonnes ondes. Daniel, homosexuel of course – et qui bosse aussi à l’accueil des réfugiés, une famille type on vous dit – épouse son partenaire, mais s’entiche assez rapidement d’un Viktor, réfugié ukrainien comme on en trouve dans chaque foyer – éduqué, beau gosse qui fuit son pays en raison de la persécution des homosexuels… par les chrétiens orthodoxes. C’est vrai qu’on ne parle pas assez du fondamentalisme des popes déchaînés, de ses ravages dans le monde, et il est remarquable que des producteurs courageux dénoncent ce fanatisme criminel. Pour enfoncer le clou – si je puis dire – et pimenter l’histoire, les deux scènes de coucherie un peu détaillée éviteront les rapports vaginaux rasoir entre un homme et une femme (étonnement du producteur). Non, elles ne mettront en scène que des sodomies joyeuses entre Daniel et Viktor et chacune de leurs retrouvailles sera ponctuée de roulages de galoches sans doublure. Là, le producteur s’est montré intraitable, il a exigé que la paraplégique s’envoie en l’air elle aussi.
Une bonne partie de l’intrigue repose (mais peut-être l’aviez-vous subodoré) sur les difficultés rencontrées par ce réfugié ukrainien formidable, cultivé et sympathique, en proie aux menées scélérates d’un Royaume-Uni qui, à l’unisson de l’Europe, se ferme à l’immigration (même l’écrire est difficile tellement cette aspiration est ignoble). La fratrie comporte également un petit gros, Stephen, qui n’a l’air de rien comme ça, mais qui est hétérosexuel – tronche ébahie du producteur. Conscient du caractère limite du personnage et pour lui conférer un aspect plus authentique, Stephen se trouve marié à une magnifique Black aux cheveux ras – Celeste – d’une humanité bouleversante en femme trompée par ce petit Blanc. Il est d’ailleurs très encourageant de constater que toute la fratrie (de cette famille banale, insistons) a comme femme, compagnon, partenaire ou équivalent une personne issue de la diversité – même Rosie dans son fauteuil roulant roucoule avec une espèce de Pakistano-Turkmène. Je vous le dis depuis le départ, la famille britannique classique du futur.
Emma Thompson, impeccable dans l’ignominie
Je glisse rapidement sur les fêtes familiales où toutes les ethnies du monde sont présentes autour de la grandmamie gâteau, avec musique live d’essence africaine – au point que Coca-Cola ou Apple peuvent intégrer telles quelles les images dans leur pub – pour arriver à l’instant où les producteurs se sont dit qu’après toutes ces cases magistralement cochées (dans le souci évident de coller au plus près à la réalité), on pouvait encore faire mieux. À la condition expresse toutefois de rester crédible dans l’anticipation – d’où la bombe atomique lâchée par Trump sur de pacifiques Chinois qui s’abstiennent de répliquer, vu que Xi Jinping et le dalaï-lama, c’est kif-kif. Cette folie trumpiste détruira quand même l’économie mondiale, circonstances dans lesquelles une populiste blonde (Emma Thompson, impeccable dans l’ignominie) finit par emménager au 10 Downing Street. Pour cela, elle s’est appuyée sur un cabinet noir spécialisé d’abord dans les « fake news » puis, avec un souci de diversification louable, dans la gestion sous-traitée des camps de concentration où les réfugiés merveilleux sont déportés pour y être exterminés (le vrai programme de toute populiste blonde comme chacun le sait). Là, le producteur a demandé à s’isoler aux toilettes avec un rouleau de Sopalin en hurlant : « Strike ! »
Pour les créateurs de Years and Years, il est sans doute inconcevable – voire suspect – que l’on puisse hurler de rire des avertissements d’une tonne dont ils ont parsemé leur œuvre. Les dangers qui nous menacent sont dans l’ordre d’apparition à l’écran : Trump, le capitalisme, l’indifférence au climat et l’hostilité aux migrations. Et ceux qui en doutent sont des salauds. Pour faire simple (et les scénaristes ont résolument pris cette option), si vous êtes pour l’expulsion d’un migrant, c’est que vous souhaitez la réouverture des camps de la mort. Le populisme, c’est Hitler saison 2. Là au moins, on comprend bien (alors que dans Chernobyl, il y avait parfois des trucs techniques avec l’atome et tout ça).
La bonne nouvelle, car il y en a quand même une, c’est que le djihadisme aura totalement disparu dès l’année prochaine, année du Super-Vivre-Ensemble. Years and Years, projection hyper réaliste dans la prochaine décade, nous épargne tous les poncifs stigmatisant. C’est bien simple, en six épisodes, il n’est jamais question d’islam ou de terrorisme. L’État islamique a disparu, voilà au moins un problème réglé. Décidément, ils sont forts ces British.
La mauvaise nouvelle, c’est que la fin laisse entrevoir une saison 2. Ces six heures de moraline m’ont personnellement suffi. Le progressisme ne semble pas plus disposé de l’autre côté du Channel qu’ici au compromis avec les ploucs inquiets de la porosité des frontières ou troublés par des conquêtes sociétales décoiffantes. Dans la foulée du réalisme socialiste soviétique, avec la même logique de rééducation des masses, le réalisme progressiste a trouvé avec Years and Years son mètre étalon.