Régulièrement, un(e) romancier(ère) fait son apparition dans notre firmament littéraire, un virtuose dont l’écriture et la maturité envoûtent. Et puis, il arrive que ce magnifique savoir-faire lasse, agace, et que l’auteur se perde dans le tournis de sa virtuosité. Il y a bien longtemps que Yasmina Reza a dépassé ce cap. Depuis le triomphe planétaire de Art et Conversations après un enterrement, sa plume cerne impitoyablement les humains trop humains, leurs relations tortueuses, touchantes, minables ou fidèles, et un peu tout cela à la fois. Son dernier livre est un très bon cru. Il s’agit une sorte de Ronde à la Schnitzler, où chaque personnage prend la parole au chapitre suivant celui où il apparaît, un roman choral pas choral, où les airs solos s’enchevêtrent habilement pour créer un Rubik’s cube implacable d’amours et d’amitiés liées par un fil rouge : la recherche du bonheur.[access capability= »lire_inedits »]
À l’instar d’Albert Camus, qui a écrit quelque part qu’« il n’y a pas de honte à préférer le bonheur » Reza ne méprise pas chez ses personnages cette quête illusoire. Passant devant une fenêtre bardée de géraniums, elle observe que « dans cette maison, quelqu’un a décidé qu’il fallait être heureux. » Dans un cocktail toujours efficace de lucidité, d’espoir et d’humour – deux tiers Stefan Zweig un tiers Woody Allen − elle montre comment l’apparence du bonheur prévaut si souvent sur sa réalité : on ne connaît jamais la vie des autres. « Heureux les heureux » donc, ceux qui ont trouvé la formule…ce qui n’est pas souvent le cas des femmes du livre, apparemment plus prédisposées au martyr que les hommes. Il semble bien qu’en matière de souffrance, la demande soit toujours plus importante que l’offre. « Le bonheur serait-il une disposition ? », se demande un personnage, tandis qu’un autre, « jamais pressé, jamais vexé », semble imperméable aux contrariétés. Mais surtout, nous dit ce livre qu’on ne lâche pas, ce bonheur tient en équilibre aussi fragile qu’un mobile d’enfant, un château de cartes prêt à s’écrouler à la moindre faute de goût. Le ridicule n’est jamais loin de la félicité.[/access]
Yasmina Reza, Heureux les heureux, Flammarion
*Photo : Donna Cymek.
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