Il y a quarante ans, Noah soulevait la Coupe des Mousquetaires à la Porte d’Auteuil
Je vais vous raconter une histoire. Ça a commencé sur un court en quick, planté au milieu d’un champ, exposé plein soleil dans une commune de moins de 2000 habitants, cette surface délétère pour les articulations n’aura jamais connu l’ombre, ni le succès. Un terrain brutal, chaud, venteux, n’acceptant aucune erreur de la part des joueurs, sapant le moral des novices, propice aux rebonds aléatoires et fourbes, exténuant d’ingratitudes, matant toutes les ambitions sportives, un vrai désastre pédagogique dans la formation des licenciés.
Détachement aristocratique
Une chaise d’arbitre désespérément esseulée nous observait avec méfiance, un grillage carcéral tout autour nous empêchait de nous évader et un système de réservation antédiluvien se résumant à des feuilles A3 en papier punaisées sur un panneau de bois nous laissait perplexe, certainement l’œuvre d’un professeur d’algèbre particulièrement retors. Nous étions loin de l’ocre rouge des serres d’Auteuil, du velouté du Central, de cette poussière d’or qui se colle aux baskets de nos champions et de Jacques Chaban-Delmas se promenant dans les allées, avec le même air qu’à la Libération de Paris, dans son uniforme de général de brigade. En polo Lacoste ou en képi deux étoiles, l’inamovible maire de Bordeaux donnait aux Internationaux de France, une patine historique et un détachement aristocratique du meilleur effet. Une autre atmosphère nous attendait dans nos déserts ruraux, il y avait foule, des jeunes et des moins jeunes, on se bousculait pour taper la balle durant une heure ; il arrivait même que les esprits s’échauffent avant de pénétrer sur le court, sous des prétextes fallacieux de non-respect du règlement.
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La balle jaune avait envahi la France
Dans les départements campagnards, aux Gentlemen’s agreement des beaux quartiers, on préférait les échanges vifs, je ne dis pas que quelques empoignades et mots orduriers furent échangés comme il se doit, à la fin d’une mêlée houleuse. En ce temps-là, pourtant dûment encarté au club du village, à jour de nos cotisations, nos heures de jeu étaient comptées. Notre pratique restreinte faute d’infrastructures suffisantes. Il fallait satisfaire les locaux et les Parisiens en week-end, l’école des « petits as » et les retraités de l’EDF. Dans cet Âge d’or, on pensait même construire un deuxième court et les enfants rêvaient d’une nouvelle raquette en graphite, l’acier commençait à péricliter dans les vestiaires comme dans la sidérurgie du bassin lorrain. Le club avait fait récemment l’acquisition d’un lanceur d’inspiration militaire aux relances vachardes. Il était notre fierté municipale, on le regardait avec un mélange de fierté et d’appréhension. Le tennis se démocratisait, il permettait même de gagner une élection cantonale, il était devenu un enjeu démocratique. Les footeux qui régnaient jusqu’alors en maîtres des séances se faisaient du mouron. Ils subissaient un recul net de leurs adhérents à chaque rentrée scolaire. La balle jaune avait envahi la France. Les équipementiers habillaient les collèges ; nous n’avions pas honte de porter des Nastase aux pieds ; deux mensuels consacrés à ce sport jadis d’élite se bagarraient le juteux marché publicitaire dans les kiosques à journaux ; les télés avaient flairé le filon, elles multipliaient les caméras et les angles de vue ; Philippe Chatrier avec ses épaisses montures ressemblait à un diplomate du Quai d’Orsay ; Patrice Dominguez était déjà un théoricien hors-pair ; Rossignol fabriquait des tamis en carbone ; Chris Evert n’avait pas encore essaimé les diamants de son bracelet à l’US Open ; des « Quatre mousquetaires » victorieux de la Coupe Davis entre 1927 et 1932, seul Jacques Brugnon manquait à l’appel ; Patrick Proisy, sosie de Luigi Tenco, avait atteint la finale en 1972 ; cependant, il manquait l’élément déclencheur. L’Essentiel.
Un 5 juin…
Celui par qui tout arriva dans notre pays, l’éclairage médiatique, les sponsors, l’intérêt du grand public, l’essor de la FFT dans les profondeurs de nos provinces, l’incarnation et le visage, un grand chelem masculin. Pour savourer l’épopée de 1983, visionnez « L’œuvre d’une vie », le documentaire de Nicolas de Virieu disponible en ce moment sur la chaîne l’Équipe explore. Nous étions le 5 juin. Dans les tribunes, il y avait plus de bobs que de panamas. Les annonceurs s’appelaient « New Man » et « Lois ». Wilander entra la tête baissée. Yannick en Coq sportif jaune perdit le premier point. La suite, toute le monde la connait.