En critiquant les dérives sectaires de certains maires écolos, l’eurodéputé vert se pose en futur leader de la gauche. Mais peut-on être le rassembleur de gens qui traditionnellement n’aiment pas être rassemblés? Et peut-on être vraiment présidentiable, quand on est si sage?
C’est certainement, oui, un bon mari, un bon père, un bon camarade, Yannick Jadot. On l’aimerait plus si on le connaissait mieux, mais les Français en ont-ils envie ? Ce n’est pas sûr. Plus on l’entend, moins on le voit. Plus il se distingue, plus il paraît lointain. Pour une fois, olé !, il a haussé le ton : les propos de certains ultras – les maires écologistes Grégory Doucet à Lyon et Pierre Hurmic à Bordeaux – contre le Tour de France et les sapins de Noël l’ont scandalisé. Les talibans verts, no pasarán ! Halte à l’écologie punitive ! Quand les nouveaux élus, grisés de leur prépondérance acquise aux municipales, déconnent, il accourt, il calme le jeu, il fait tomber la fièvre.
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En prenant par petites touches ses distances avec l’appareil d’EELV, Jadot, 53 ans, semble se préparer aux prochaines échéances électorales. Il veut rassurer – en se séparant un peu, mais pas trop des siens – et il prend date. Si les Verts reçoivent une claque aux régionales de 2021, son cavalier seul le rendra-t-il plus crédible ? Il le croit.
Jadot président ?
On a compris ce qu’il veut, mais on ne sait pas encore qui il est, ni ce qu’il incarne vraiment. Une espérance à gauche ? Ce n’est pas assez. Au centre ? Il y songe. À droite ? Il n’ose pas encore. Peut-il franchir le Rubicon, lui, un fils d’instituteur – son père a autrefois milité au Ceres ? Non, ce ne serait pas convenable. Pourtant, rien ne se fera sans eux au plan national. Quand la maison brûle, a-t-on le droit de dire : fontaine, je ne boirai pas de ton eau ?
De l’intelligence politique, il en a, mais a-t-il de l’instinct ? Saura-t-il tâter comme il faut la bête France et flairer le vent de l’occasion, comme ont su le faire avant lui les maquignons suprêmes de la République, De Gaulle, Chirac ou Mitterrand ? Est-il dangereux ? On ne se pose pas encore la question. Est-il assez fou pour y croire lui-même ? Ce n’est pas dit.
On peut lire sur son bon visage ses soupçons et ses craintes. C’est un anxieux, Jadot. On le comprend. Cohn-Bendit croit qu’on l’aime, il a raison. Jadot semble douter même de ses amis, il n’a pas tort. Ses pires adversaires sont à l’intérieur de son propre parti.
Chez les Verts, depuis toujours, on est fâchés ; on a un penchant pour le schisme, la sécession, l’esclandre. L’écologie a été une école de dissidence : elle le reste, même si aujourd’hui la plupart des Français y voient moins un programme politique qu’une nécessité vitale.
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Jadot veut rassembler, c’est ce qui le rend suspect aux yeux de sa famille. Chez les Verts, il est indécent d’être majoritaire ! Il ne peut ne serait-ce que le vouloir sans être aussitôt accusé par ses paroissiens de mauvaises pensées. Un conciliateur ? Un renégat, oui ! On ne trahit que les siens. On hait mieux ceux qu’on a trop aimés. Aujourd’hui, en France, les minorités, c’est tout le monde, la majorité, c’est personne – on se croirait presque en Amérique ! Comment devenir le chef sans être aussitôt révoqué en songe par ceux qui n’ont pas voté pour vous ou pas voté du tout ?
Il y a les féministes, les antispécistes, les régionalistes, les pro-européens, les souverainistes, les tiers-mondistes, les gauchistes, les réacs et même ici ou là un facho égaré. Il y a les utopistes et les pragmatiques, ceux qui trouvent que le capitalisme, ce n’est pas si mal, ceux qui croient que Greta Thunberg, c’est Jeanne d’Arc, ceux qui pensent qu’elle devrait retourner à l’école, etc. Ils ne sont unanimes que sur Flamanville, les carottes vapeur et le soja bio. Pour parvenir à ses fins, il faudrait que Jadot allie un projet raisonnable – ce n’est pas impossible – et une ambition folle – ça, s’il ne l’a pas déjà, il ne l’aura jamais.
Ce qui nous manque : un élan, une secousse, une ivresse.
N’est-il pas trop sage ? On aimerait parfois qu’il soit ridicule – « c’est une chose superbe, le ridicule, à notre époque », disait Françoise Sagan. On se souvient de Macron pendant sa campagne présidentielle, soumis à son dessein, voué à son rêve, à demi-ahuri à demi-inspiré, en nage, vociférant comme un prophète. On n’imagine pas une seconde Jadot se mettre dans cet état-là, si ? Et lui, qu’est-ce qu’il imagine ?