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Mon père et l’exploit du gardien suisse

Le billet du vaurien


Mon père et l’exploit du gardien suisse
Le gardien de but de la Suisse Yann Sommer, à l'issue du match France-Suisse, Bucarest, 28 juin 2021 © Jean-Christophe Bott/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22581232_000001

Le vaurien lausannois a regardé la qualification des Suisses contre la France


Il m’arrive, le plus souvent la nuit, d’appeler mon père – jamais ma mère. Il ne me répond pas. Le voudrait-il qu’il ne le pourrait pas. Et puis, il estimait que chacun devait affronter ses heures de désarroi et qu’il n’y avait pas de remèdes à la maladie humaine. Nul ne vous tendrait la main et lui moins que quiconque : n’y a-t-il jamais eu d’autre horizon que la souffrance et la solitude ? 

J’y songeais en lisant les poèmes admirablement traduits de l’italien par Renato Weber de Pietro De Marchi : Le papier d’orange. Je devais ce livre à Ivan Farron qui l’avait préfacé et me l’avait remis en songeant que la victoire miraculeuse de la Suisse sur la France, victoire qui lui avait arraché des larmes (à moi aussi, je l’avoue) me ferait d’autant plus apprécier les poèmes de Pietro De Marchi sur le football.

Je me souviens de mon père prenant des trains de nuit pour assister aux matches du Lausanne – Sports contre les Young – Boys. La vieillesse est un voyageur de nuit. J’imagine le bonheur qu’il aurait ressenti en voyant la modeste équipe suisse affronter l’arrogance des Français et l’emporter. On peut mourir pour moins que ça ! Mais mon père était déjà incinéré au cimetière de Montoie depuis près d’un demi-siècle. La dernière victoire qui lui avait arraché des larmes était celle de la Suisse contre l’Allemagne en 1938 au Parc des Princes. Il est vrai que l’enjeu dépassait alors tout ce qui était imaginable : la guerre l’emportait sur le jeu.

A lire aussi, Jean Messiha: Football: l’idéologie diversitaire à l’offensive en Équipe de France

Pas d’apitoiement : chaque vieillard que je vois quand le temps se teinte d’octobre, semble me dire : « J’ai été ton père autrefois ». Et pour conclure avec Pietro de Marchi ce poème : 

«  Aimant les paradoxes, il avait écrit 
qu’au fond tout le monde 
mourait au bon moment.
Il eut une longue vie et finalement, 
épuisé, comme la Sybille, 
il voulait simplement pouvoir mourir
de mort naturelle 
sans prolongations 
Inutiles. »

Mais il aurait raté le tir au but de M’ Bappé et l’exploit du gardien suisse Yann Sommer. Peut-être eût-il alors concédé que la vie ne comporte pas que des désagréments.



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