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Yann Moix, Voltaire contemporain

L’écrivain Yann Moix publie « Visa » (Grasset, 2024)


Yann Moix, Voltaire contemporain
Yann Moix © Arnaud MEYER/Leextra/Editions Grasset.

Yann Moix nous raconte sa demande de visa pour aller visiter la Corée du Nord. Jubilatoire et politiquement très incorrect.


Yann Moix possède cette particularité d’être toujours imprévisible. En 2018, l’écrivain s’était rendu en Corée du Nord, entraînant dans son insolite voyage Gérard Depardieu, toujours curieux de visiter les parties du globe terrestre qui ne sont pas des destinations de vacances pour touristes en troupeau, qu’il nomme « ailleurs ». Filmé durant le séjour, la star planétaire y avait tenu des propos pour le moins salaces que les loufiats de la bien-pensance s’étaient empressés de divulguer afin de les condamner avec la plus grande fermeté, à commencer par l’ancien président de la République, François Hollande, lequel n’avait pas digéré les propos humiliants tenus par le-plus-grand-acteur-du-monde à son endroit. La vengeance est un plat qui se mange moisi, c’est bien connu.

« Votre lumineux lendemain, c’est de devenir des Arabes »

Dans Visa, court roman au rythme bondissant, l’auteur se met en scène sous les traits de « M. Yann » qui sollicite un visa pour la Corée du Nord, pardon, la République populaire démocratique de Corée, à un redoutable fonctionnaire, « M. Ri ». La scène se déroule dans les locaux de la Délégation de Corée du Nord à Paris. Disons-le tout de suite, le face-à-face entre les deux hommes est jubilatoire. Les dialogues, subtils, ironiques, surréalistes, montrent les limites du langage entre deux visions du monde diamétralement opposées. On en vient, du reste, à se demander si les deux individus habitent la même planète. Ce qui est renversant, et en même temps révélateur, puisque chacun croit détenir la vérité. Mais comme le remarque Pascal : « Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». L’esprit du Coréen est intoxiqué par la propagande, soumis aux oukases de la dictature de Kim Jong-Un, tandis que le français s’exprime dans une langue délicate, aux nombreuses formules implicites, lesquelles sont perçues par le fonctionnaire retors comme des formules hypocrites. Yann Moix renoue avec le Siècle des lumières, en particulier avec le conte philosophique cher à Voltaire. C’est osé de la part de Moix, incorrigible agitateur de cerveaux. L’époque, dirigée par les cuistres, déboulonne la statue de l’auteur du Traité sur la tolérance. Et voilà que lui, il nous pond un texte ironique irrigué d’antiphrases.

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Ce texte est une divine surprise. Il nous secoue, la tête figée par la paresse et les certitudes. C’est le rôle de l’écrivain. À ne pas confondre avec le fonctionnaire du culturel qui ne songe qu’à plaire à ses lecteurs enduits de crème solaire, allongés sur la plage interdite aux chiens et aux seins nus. Yann Moix agit comme le poil à gratter. Il souligne, par le truchement de « M. Ri », nos formules creuses, nos slogans de dircom, nos coupables incohérences. Extrait, à propos des terroristes islamistes : « Ah, Eux ? Les attentats ne seraient pas possibles dans notre pays. Vous laissez entrer trop de mauvaises personnes sur le sol de votre patrie. Nous, nous n’aimons pas ce qui entre (…). Nous considérons que nous sommes bien chez nous. Entre nous. » Ou encore : « Chez vous, il n’y a plus de patrie. Et il n’y a plus de nation. Les musulmans le savent (…). Votre lumineux lendemain, c’est de devenir des Arabes (…). Vous trouvez tout le monde merveilleux. Et c’est ainsi que tous les gens merveilleux veulent votre mort. » Ça bouge dans les rangs ? Parfait. « M. Ri » cogne sur les donneurs de leçons. Il fustige l’esprit occidental qui « a subi tous les méfaits de l’intoxication nord-américaine et de la cocaïne sud-américaine ». Il ajoute : « Les Français se servent de la France mais ne la servent pas. » Hyperbolique ? Sûrement. Mais ça permet d’ouvrir la fenêtre. Devant les réponses nuancées de « M. Yann », le fonctionnaire balance : « Notre nation ne recherche pas la finesse : elle cherche d’abord à détruire ceux qui veulent la détruire. »

Accusé Moix, levez-vous !

Alors, certes, le régime de la Corée du Nord est une dictature, même si les plages y sont superbes. Il convient de se boucher le nez, de ne surtout pas y mettre les pieds, de la condamner immédiatement, sous peine d’être pulvérisé dans l’espace médiatique. Rien que de demander un visa, c’est plus que suspect, « M. Yann ». Mais le fonctionnaire contaminé de la DCN assène quelques vérités sur son pays. Il rappelle la famine, les maladies, la puanteur de la population, les exactions sommaires d’avant l’ère Kim Jong il.

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Yann Moix n’hésite pas à pratiquer l’autodérision. Il fait dire à « M. Ri » qu’il est un « indécrottable petit-bourgeois », « frileux » et « peureux ». Extrait : « Il y a beaucoup de gens qui disent que vous n’êtes pas un très bon romancier. Il semble évident que vous n’écrivez pas de choses profondes. Vous écrivez des livres que n’importe qui peut écrire, et qui ne sont pas de la philosophie. » En constatant qu’il s’intéresse à Claude François, Michael Jackson ou encore André Gide – que le fonctionnaire avoue ne pas connaître, ouf –, il lui fait remarquer qu’il « aime beaucoup les pédophiles ». Moix feint alors de s’étonner.

Comme le dit « M. Ri » : « Qui veut tuer le loup doit parler la langue du chien ».

Jubilatoire, on vous dit.

Yann Moix, Visa, Grasset.

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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