Moix reprend du service. Son dernier roman, Verdun (Grasset), raconte un service militaire dans une génération où on le faisait encore…
Ce qui est bien avec un écrivain, c’est que tout devient littéraire. Yann Moix nous parle de son service militaire et il devient littéraire. Une prouesse, car ceux qui l’ont fait, j’en suis, ont tendance à rapidement passer sur cette période inutile ou à ne garder que des souvenirs de journées de gags gras à cloper. Il n’y a rien de pire que la guerre sans la faire.
Après Orléans et Reims, Verdun
Après Orléans, qui racontait l’enfance martyrisée du romancier, puis Reims où l’on suivait son parcours pitoyable en école de commerce, dans l’ombre angoissante de Georges Bataille, voici Verdun, troisième ouvrage de sa tétralogie « Au pays de l’enfance immobile », sorte d’éducation sentimentale dévastée avant le soleil noir de Paris.
Ça commence à Angers, où le bidasse fait ses classes. L’atmosphère est lourde, l’ennui vrille le ventre, le béret bleu marine orné du macaron du 6e régiment du génie gratte. Moix chante la Madelon après un petit-dej dégueulasse (il ne parle pas du bromure dans le café pour éviter d’intempestives masturbations nocturnes), il reçoit une arme, un fusil d’assaut Mas 5,56, modèle F1. « C’était la première fois que je tenais entre mes mains un objet spécialement conçu pour tuer un homme », confie le narrateur. Rien à voir cependant avec l’apprentissage du maniement d’une kalachnikov dans un quartier de Beyrouth en flammes, par exemple. On apprend plus vite quand la mort frappe à tout moment.
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Moix raconte les humiliations des gradés qui n’ont plus que ça dans leur vie. Il devient « Couille-de-loup », puis « branle-téton », puis « mademoiselle Moix ». Mais le futur écrivain résiste. Il y trouve même du plaisir. C’est son côté maso, qu’on retrouve dans ses livres ou ses attitudes provocatrices. « Je commençais à m’inventer du plaisir à être là, écrit-il, otage d’un vocabulaire imagé, prisonnier des registres obscènes et des outrancières saillies. »
L’artilleur obsolète
Il rejoint l’École d’application de l’artillerie à Draguignan, puis se retrouve muté au troisième régiment d’artillerie de marine à Verdun. Verdun avec une arme obsolète. L’oxymore qui tue. Moix raconte ce qui vaut témoignage puisque le service militaire a été supprimé en 2001 par Jacques Chirac, président de droite.
Les brimades donc, mais aussi les grandes manœuvres, les marches de nuit, les tirs au Famas, les lits au carré, le salut au drapeau. Et toujours l’ennui qui s’étire comme de la gomme à mâcher. À la fin du livre, Moix avoue : « J’avais été un homme heureux, ou presque. » Tout le mal-être de l’écrivain se terre dans ce presque.
Mémoire de Péguy
Le style ne faiblit pas d’intensité. Peut-être même que le récit tient, comme on tient une colline ou un pont, par lui. Parce que, je le répète, sans tir à balle réelle par un ennemi déterminé, les histoires de bidasses sont dérisoires. Il est conseillé en revanche de lire Idiotie de Pierre Guyotat pour prendre conscience de l’infamie des batailles.
Et puis il y a l’hommage aux écrivains morts à la guerre, ou revenus mutilés, notamment cette page consacrée à Charles Péguy, tombé le 5 septembre 1914, à Villeroy, dans un champ de betteraves. « Un soldat ennemi avait fini par tirer, écrit Moix, cinématographique, libérant Péguy de son grand secret, ce chagrin d’amour superposé à tous les autres chagrins, qui l’avait fait marcher seul – en larmes – vers Notre-Dame de Chartres. Les yeux vides, crispant les mains dans l’air chaud, il s’affaissa sur les mottes ; lorsqu’on le fouilla, on retrouva sur son cœur un poème inachevé et une photo de la femme qui l’avait fait souffrir. » Et Moix de conclure, comme fantasmant sa propre destinée : « Il avait vécu excessif ; il mourrait sacrifié. »
Yann Moix, Verdun, Grasset.
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