La semaine dernière, chez Taddeï, j’ai pu voir Yann Arthus-Bertrand faire le service après-vente de son grand-œuvre avec une bonne foi désarmante. 6 milliards d’autres, le documentaire XXXL de l’ami Yann diffusé sur France 5, c’est 5 h 30 d’interviews sans sursis. Pas moins de 5 000 personnes de 75 pays y répondent tour à tour à 40 questions concoctées par le roi Arthus en personne – et ça se voit… La vie, l’amour, la mort ; la nature et la culture ; la haine, la peur, la guerre, et dieu dans tout ça…
L’ambition du photographe céleste, en nous balançant cet OVNI digne du Guinness Book ? À défaut d’être affichée, elle est évidente : remplacer dans le cœur des Français, à la tête du hit-parade des gens bons, mère Teresa, sœur Emmanuelle et l’abbé Pierre, mais aussi Nicolas Hulot, feu Cousteau et les restes de Kouchner.
Et puis, à la réflexion, l’Hexagone lui-même n’est-il pas un peu exigu pour cette grande âme ? Depuis le succès mondial de son album La Terre vue du ciel, Arthus-Bertrand peut légitimement aspirer à une carrière de « gentil » planétaire – avec au bout, pourquoi pas, un prix Nobel en solde ?
Dans cette perspective, le moins qu’on puisse dire c’est qu’à « Ce soir ou jamais », le bonhomme a fait le job ! De tautologies en déclarations de (bonnes) intentions, il s’est affirmé comme le plus grand humaniste aux yeux bleus que la Terre ait jamais porté.
Des exemples ? Y a qu’à demander ! Y. A.-B. est contre la guerre, savez-vous : « Vu d’hélicoptère, il n’y a pas de frontières ! », assène-t-il aux bellicistes qui sommeillent en nous. Et notre saint laïc d’approfondir encore sa pensée : « Mon grand-père haïssait les Allemands, et aujourd’hui nous travaillons avec eux la main dans la main. » Alors, suivant cet exemple, pourquoi ne pas réclamer que « Palestiniens et Israéliens s’embrassent » ? Sauf que dans le premier cas il aura fallu trois guerres, dont deux mondiales… C’est ça ton modèle, Yann ?
Pour parfaire le portrait, une larme d’écologie ne saurait nuire : « L’homme ne survivra pas s’il ne respecte pas enfin la biodiversité ! », menace le visionnaire. OK chef, même mes enfants savent ça. T’as quoi d’autre dans ta besace ? Un physique ! YAB, c’est un peu notre Paul Newman à nous, la moustache en plus, mais la lueur de malice en moins dans ses beaux yeux bleus (voir supra).
Et puis, à la fin du compte, une hauteur de vue que même les taïkonautes lui envient : « Tous les gens que j’ai rencontrés sont uniques », ose-t-il. Il pleut des vérités premières ; tendons nos rouges tabliers… Sans doute inspiré par cette envolée, le fameux slammeur Abd Al Malik, présent aussi chez Taddeï ce soir décidément tragique, a cru devoir surenchérir dans un élan de jargonaphasie visiblement incontrôlé – que je me dois de citer, parce qu’il faut pas gâcher : « La question, c’est qu’est-ce qu’on va faire pour s’interroger sur notre rapport à l’acceptation de l’Autre dans la différence, concrètement ? » Tout est dans le « concrètement » !
Mais notre héros Yann joue surtout la modestie. Par exemple, cette idée géniale de pyramide horizontale que le Maître a su développer sur 700 heures, eh bien elle ne lui est venue, de son propre aveu, qu’à la suite d’une panne d’hélicoptère au Mali. « On est bien peu de choses », comme disait Françoise Hardy. Bref, en attendant Europe Assistance, Yann a soudain rencontré un Malien normal qui lui a dit, tenez-vous bien : « Mon seul but dans la vie, c’est de nourrir mes enfants… » Et là, ce fut le choc, la révélation ; bref une sorte de « chemin de Bamako » pour le futur saint Yann. (Les pauvres, bon sang ! A force d’humanisme, il avait failli les oublier…)
Voilà, j’ai dit tout le bien qu’il fallait penser de ce sympathique lacrymagogue. La place me manque pour en dire du mal.
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