Aux Etats-Unis, la politique de discrimination positive mise en place par Yale pour accroître le nombre des étudiants noirs est accusée de générer d’autres discriminations ethniques, notamment une sur-sélection des étudiants asiatique et blancs. Mais l’université persiste et signe.
Le 13 août 2020, après deux ans d’enquête, le ministère de la Justice des Etats Unis a accusé l’Université de Yale (Connecticut) d’avoir des critères d’admission qui violent la loi fédérale sur les droits civiques. En d’autres termes, la politique de discrimination positive mise en place par Yale pour accroître le nombre des étudiants noirs est accusée de générer d’autres discriminations ethniques, notamment une sur-sélection des étudiants asiatique et blancs. Le ministère de la Justice admet que l’appartenance ethnique soit un critère d’admission, mais à condition que ce critère soit relativisé par d’autres. Or, « l’utilisation du critère de la race par Yale est tout sauf limitée » affirme le ministère de la Justice. « L’université utilise « la race à plusieurs étapes de son processus d’admission, ce qui donne à ce critère une importance surmultipliée » dans le processus d’admission d’un candidat. Yale l’a bien volontiers reconnu : « en ce moment unique de notre histoire, où tant d’attention est accordée aux questions de race, Yale ne faiblira pas dans son engagement à éduquer un corps d’étudiants dont la diversité est une marque de son excellence ».
Yale et Harvard mis en cause
Cette mise en cause du critère diversitaire dans le recrutement des grandes universités américaines a déjà un précédent. Début octobre 2019, le juge fédéral Allison Burroughs a débouté le ministère de la Justice et une association d’étudiants asiatiques partis en guerre contre le système de sélection de l’université d’Harvard. Le jugement rendu a justifié le principe de « diversité » et a légitimé un système d’admission « qui prend l’appartenance raciale en considération ». Le juge Burroughs a admis volontiers que le système mis en place par Harvard n’était « pas parfait », mais qu’il passait haut la main « le test constitutionnel ».
Le ministère public a bien sûr fait appel de cette décision et l’affaire pourrait se terminer devant les juges de la Cour suprême.
Les actions menées en justice contre Harvard d’abord, puis contre Yale sont au cœur des débats qui enflamment la société américaine en cet été 2020 : la société américaine est-elle construite sur un racisme systémique ? Le principe de « diversité » permet-il de lutter contre le racisme ?
L’université de Yale discrimine-t-elle les étudiants blancs et d’origine asiatique au prétexte de lutter contre le racisme anti-noirs ? Yale se justifie en expliquant que les Américains d’origine asiatique ne peuvent se dire discriminés dans la mesure où ils représentaient 14% des effectifs du premier cycle il y a quinze ans et qu’avec 18 % aujourd’hui, ils sont le groupe minoritaire le plus important des effectifs du premier cycle (5 750 étudiants), suivis par les Hispaniques (13%) et les étudiants noirs (7%). Mais la question qui surgit immanquablement est la suivante : quel serait le pourcentage de Blancs et d’Asiatiques si les Universités ne recrutaient que les meilleurs dossiers ? La réponse ne fait pas de doute : leur présence serait écrasante et ne reflèterait en rien la composition ethno-raciale des Etats-Unis.
Pas d’aides sociales
Une politique de recrutement diversitaire aide-t-elle à lutter contre le racisme ? C’est tout le problème de l’affirmative action qui est ainsi posé. Les universités ne mettent pas en place des correctifs aux inégalités économiques, elles n’aident pas (bourses, aides divers…) les très bons élèves noirs et latinos à accéder aux études, elles mettent en place des politiques « diversitaires » pour que les Noirs ne soient pas sous-représentés à l’Université.
Ce recrutement diversitaire est-il d’une quelconque utilité tant dans le renouvellement des élites que dans la lutte contre le racisme ? La question n’a bien sûr pas de réponse. Aucune étude ne permet de dire que le « diversitarisme » des universités a contribué à apaiser les tensions raciales aux Etats-Unis.
Police, université, même combat ?
S’il est difficile de mesurer l’efficacité du « diversitarisme » à l’université, il en va autrement dans la police. L’affaire George Floyd, du nom de ce délinquant noir mort étouffé par le genou d’un policier blanc en juin 2020 dans le Minnesota, a fait resurgir les accusations de racisme institutionnel de la police. Universitaires, militants de gauche et associations de défense des droits de l’homme ont réaffirmé à cette occasion que les tensions raciales naissent de contrôles de police qui ciblent exclusivement les Noirs. Ces tensions pourraient être désamorcées ont-ils expliqué, si les contrôles de police s’appliquaient à toutes les catégories ethniques au prorata de leur présence dans une ville ou une région.
Heather Mac Donald, chercheur en sciences politiques et auteur de « War on Cops » (La Guerre contre les Flics) a dénoncé vigoureusement le « diversitarisme » en matière de contrôles d’identité. « A New York, les Noirs représentent 23% de la population, mais font l’objet de 57% des contrôles de police. Les Blancs représentent 34% de la population mais 8% seulement de la population blanche est contrôlée par la police » explique Heather Mac Donald. Faut-il en conclure pour autant que la police est raciste ? Non répond Mme Mac Donald. « A New York, en 2018, les Noirs ont été impliqués dans 72,6% des fusillades, alors que les Blancs n’ont été à l’origine que de 2,8% des échanges de tirs. Les taux de contrôle des Noirs et des Blancs — 57% et 8,4 % — sont facilement proportionnels aux taux de crimes violents de rue » poursuit Heather Mac Donald. Autrement dit, les contrôles de police sont renforcés sur les groupes ethniques les plus susceptibles de générer la violence. Et c’est tant mieux affirme Heather Mac Donald, car c’est ainsi que la sécurité est assurée.
Le débat sur les contrôles au faciès en France n’ont pas une tonalité différente. La sécurité collective est-elle mieux assurée quand la police cible plus précisément les groupes ethniques fauteurs de troubles ?
Un débat blanc de peau
Ces questions qui tournent autour du « racisme systémique » de la société américaine sont bien sur agitées par des organisations noires radicalisées comme Black Lives Matter (BLM). Mais la surprise vient du fait qu’une élite blanche fortement idéologisée ( « woke », soit les Blancs conscients de leur privilége blanc) vole au secours de BLM et participe à la radicalisation du « débat » dans les médias, dans les universités mais aussi dans la rue.
Dans un article intitulé « Les sauveurs blancs de l’Amérique », le chercheur Zach Goldberg a montré que sur les questions de justice raciale et de justice sociale, « les progressistes blancs sont en proie à un progressisme si radical qu’ils sont aujourd’hui le seul groupe ethnique d’Amérique à afficher un parti-pris qui place les intérêts d’autres groupes ethniques au-dessus des intérêts de leur propre groupe ethnique ». Un « millénarisme multiculturel blanc » selon l’expression du politologue Eric Kaufman existe aujourd’hui aux Etats-Unis qui pousse les progressistes américains blancs à faire passer les intérêts des minorités de couleur et des immigrants avant leurs propres intérêts et avant l’intérêt des Etats-Unis eux-mêmes.
Des sondages menés par le Roper Center for Public Opinion ont montré l’envolée des inquiétudes des progressistes blancs sur toutes les questions liées à la discrimination raciale. Ainsi, de 1996 à 2010, seuls 27% des progressistes blancs s’inquiétaient réellement des discriminations infligées aux noirs Mais à partir de 2010, un tournant s’amorce et en 2015, les progressistes blancs sont 47% à s’horrifier des discriminations subies par les noirs. En 2016, ils sont 58%.
Sur le traitement judiciaire des Noirs, les mêmes évolutions se remarquent. En 1995, 2000, et 2007, un progressiste blanc sur deux estimait que la justice traitait aussi équitablement les noirs que les blancs. Mais en 2014, 70% des progressistes blancs pensent que la justice fait preuve d’un « parti pris négatif » envers les noirs tandis que le pourcentage de ceux qui affirment que les noirs sont « judiciarisés équitablement » est tombé à 20%.
Conflit de civilisation
Une Université doit-elle se consacrer à la production d’une élite intellectuelle sans se soucier des critères de race ou bien doit-elle se préoccuper de « diversité » au risque d’engendrer discriminations et frustrations dans d’autres groupes ethniques ? De même pour la police : faut-il lutter contre le crime ou qu’il se trouve ou bien faut-il agir de telle manière que la communauté noire qui produit le plus de délinquants ne puisse pas se dire victime du racisme structurel des services de sécurité ?
Ces questions ont évidemment une couleur politique. Si les progressistes blancs alliés aux noirs radicalisés réussissaient à porter Joe Biden et le parti Démocrate au pouvoir en novembre prochain, si Donald Trump était vaincu, alors, tous ces thèmes qui fracturent les sociétés occidentales – diversité, racisme systémique, « woke »… – prendraient un tour qui changerait en profondeur le visage des sociétés occidentales blanches. Car c’est bel et bien de révolution dont il est question.
En France, comme en Amérique, une gauche illuminée malaxe les questions les plus explosives – racisme, islam, discrimination – pour jeter à bas les structures de son propre pays. Au nom de la « diversité », la gauche américaine porte la question raciale à incandescence sans que cela aide réellement les Noirs pauvres des Etats-Unis. La gauche française agit de même avec la question de l’islam.
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