«Ce gouvernement est aveugle au réel terroriste et criminel»


«Ce gouvernement est aveugle au réel terroriste et criminel»

charlie hebdo attentat

Causeur : Dans une récente tribune publiée par La Croix, vous dénoncez le fait que, malgré les attentats de 2012, 2014 et 2015, le gouvernement français se garde bien de définir l’ennemi. Tout en parlant de « guerre » contre le terrorisme, il se contente d’évoquer « l’islamisme radical ».  Selon vous, sommes-nous en guerre ? Et dans ce cas, qui sont les ennemis de la France aujourd’hui ? 

Xavier Raufer : L’idée n’est pas de dire que l’actuel gouvernement « se garde bien de définir l’ennemi », mais qu’il est devenu physiquement incapable de le faire. Comme un aveugle de naissance ne saurait imaginer les couleurs d’un tableau. Voyez avec quelle précipitation les gouvernants français ont rebaptisé « Daech » – qui ne veut rien dire en français – l’entité qui naguère portait le nom clair et compréhensible d’« Etat islamique ». Or L’Irak et la Syrie, qui luttent sur le terrain contre cet « Etat islamique », n’usent pas du tout du nom « Daech », mais de celui de « Takfiri » (partisans d’un islam sunnite ultra-intégriste et fondamentaliste, le Takfir wal-Hijra). On voit ainsi comment le discours officiel occulte toujours plus le réel, terroriste ou criminel. Cela trahit justement le fait que cette réalité terroriste ou criminelle, le gouvernement se sent incapable de l’affronter.

Quelles sont les raisons de cette incapacité ?

Depuis la tragédie de janvier – 17 morts – ce gouvernement est KO debout. Tout ce qu’il fait depuis lors relève de la com’, du symbole, de l’effusion et de la jérémiade. On déverse sur les unités antiterroristes des ordinateurs (dont elles n’ont que faire) et des hommes non formés (dont l’utilité concrète est douteuse). Mais nul dirigeant n’a accompli l’essentiel : nommer clairement l’ennemi, celui qui tue aujourd’hui en France, c’est-à-dire les clones de Mohamed Merah qui initia en 2012 la nouvelle terreur en Europe. Depuis : Toulouse, Montauban, Joué les Tours, l’est parisien, Nice, Copenhague, ces clones – des hybrides par constitution criminels ET terroristes à la fois – ont provoqué toutes ces tueries dont rêvent, bien loin de l’Europe, al-Qaïda ou l’Etat islamique.

Résultat : ce gouvernement est aveugle au réel terroriste et criminel. Idéologie, politiquement correct, reptation devant des journalistes bobo-gauchistes : aujourd’hui, la classe politique vit en symbiose avec « l’élite » médiatique. Amants et maîtresses sont journalistes, des politiciens trustent les émissions de bavardage-café-du- commerce débitées par les radios et télés d’information. Le sociologue Michel Wieviorka peut ainsi dénoncer le « couple obscène médias-politiciens… leurs liens presque incestueux ». Cela concourt grandement à aveugler une bonne part de cette classe politique. Elle n’a pas pressenti la dangerosité de l’archétype Merah, ni la nature prescriptive de cette première bombe humaine.

Ce que vous qualifiez de  « terrorisme autochtone » du type « Merah-Nemmouche-Kouachi-Coulibaly » – voire Khaled Kelkal en 1995 – a la particularité d’être un mélange de banditisme de cités et d’endoctrinement idéologique et religieux qu’on appelle, faute de mieux, « islamisme radical ». La dimension criminelle de ce phénomène a-t-elle été comprise par nos décideurs et nos forces de l’ordre ?    

Non, nous l’avons dit. Et n’ayant pas compris où se situait le danger réel, nos décideurs n’ont pu recadrer le renseignement intérieur, qui durant toute l’année 2014 a cherché du côté de la Syrie ou de l’Irak un ennemi qui en réalité, vivait ici même, dans des cités hors-contrôle. Par orgueil professionnel, le renseignement intérieur négligeait les racailles-de-cité – ceux-là même qui ont tué les 7 et 9 janvier.

Et comme on veut désormais cacher la poussière sous le tapis, il n’y aura pas de commission parlementaire sur les événements de janvier 2015. De la com’, des défilés… mais qui est en réalité coupable de l’énorme échec et des tueries ? Circulez, il n’y a rien à voir. Sous Mitterrand on avait eu « responsable mais pas coupable » (le drame du sang contaminé, en 1991). Aujourd’hui, c’est pire encore : « ni responsables ni coupables ».

On a beaucoup entendu parler récemment d’Internet. Quel rôle attribuez-vous au réseau des réseaux dans le « terrorisme autochtone « islamo-criminel » » ?

Le cyberespace n’est qu’un terrain d’exercice neuf pour les terroristes et les criminels, qui tentent d’y déployer leur propagande et d’y installer leurs marchés illicites. Certes, la surveillance physique de ces criminels doit rester prépondérante : c’est dans les cités hors-contrôle que Kouachi & Co achètent leurs armes, pas sur Internet. Mais malgré tout, le monde des communications numériques permet – ou plutôt, devrait permettre – de surveiller des individus qui, en général, s’y montrent imprudents. Le cybermonde est une autre langue d’Esope : la meilleure et la pire des choses à la fois. C’est là qu’agissent les terroristes et les criminels, mais c’est là aussi qu’on peut les surveiller et déjouer leurs plans.

Pour conclure sur une note poétique, les risques et opportunités d’Internet sont parfaitement résumés dans ces deux vers du poète allemand Friedrich Hölderlin (Patmos) :

« Là où croit le danger
Croît aussi ce qui sauve. »



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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