En naissant en Bourgogne au début du XIXème siècle, Xavier Forneret aurait dû se méfier. Ce terroir donne des vins délicieux qui fatiguent les reins, cernent les yeux et veloutent l’imaginaire. À la longue, surtout quand on ne bouge pratiquement pas de son province, on finit par confondre le rêve, la réalité et les villes : Dijon, Beaune et Paris. On croit jouer du violon dans son cercueil et on s’habille en noir comme un dandy de la new-wave. A l’occasion, sans trop de succès, on écrit. Des contes, des pièces de théâtre, des aphorismes. Les bourgeois se moquent de vous (rien ne change décidément), vous devenez franchement excentrique, vous avez des enfants naturels et, pour finir, vous mourrez en 1884, complètement ruiné, déjà définitivement oublié ou presque. Bref, vous êtes posthume de votre vivant, ce qui est un rare privilège.
Ressuscité par les surréalistes
Pourtant, Xavier Forneret connaît une résurrection à la fin des années 20, lorsque les surréalistes, ces inlassables chercheurs des métaux rares et de substances littéraires radioactives, redécouvrent l’écrivain. Ils laissent de côté son théâtre (désastreux, il est vrai), mais ils republient dans leurs revues ces pépites incandescentes que sont les maximes de Forneret. Des exemples ? « J’ai vu une boite aux lettres sur un cimetière », « Le sapin dont on fait les cercueils est un arbre toujours vert » ou encore « Oh, que c’est malheureux que la femme mange, même des fraises dans du lait. » Et c’est André Breton lui-même qui apportera la touche finale en donnant à Forneret une place de choix dans son Anthologie de l’humour noir, ce bréviaire des écrivains fantomatiques où se côtoient Charles Cros, Raymond Roussel, Jacques Rigaut, -l’homme du suicide à la boutonnière- et tant d’autres météores improbables.
À vrai dire, votre serviteur ne le connaissait que par ce biais, Forneret, et il nous avait échappé qu’il avait été édité au début des années 90 dans l’extraordinaire « Collection romantique » des éditions José Corti, collection qui nous a tant de fois prouvé que des petits maîtres étaient des en fait des génies mal pesés au trébuchet de l’histoire littéraire. On peut penser que Forneret en fait partie. Le texte des Contes et récits publiés dans cette édition l’ont été entre 1836 et 1860 chez des libraires de Dijon à des tirages infinitésimaux. A l’époque, le romantisme était à la mode et Forneret, impressionnable comme une plaque photographique, utilisait la panoplie règlementaire alors en vigueur : clairs de lune, amoureux sanglotants, poètes affamés et jeunes filles toujours agonisantes. Mais Forneret échappe à chaque instant, pour qui sait lire, à la simple imitation. Au contraire, il joue avec les codes de son temps de la manière la plus subversive qui soit comme aujourd’hui, par exemple, un Jean Echenoz joue avec les codes du roman d’espionnage.
Présence obsédante du rêve
Ce qui fascinera le lecteur curieux, avec Forneret, c’est l’espèce d’énergie électrique qui irradie son écriture, cette présence obsédante du rêve qui lui permet de transformer la vignette d’un roman pour faire pleurer Margot en un tableau inquiétant et déviant, digne d’Odilon Redon ou de Gustave Moreau. De même, ses fantaisies typographiques et ses paragraphes hachés inventent une nouvelle occupation de la page et créent ainsi un envoutement à la fois visuel et incantatoire.
Il est plaisant de voir comment Forneret, ce gentleman de la Côte d’Or, qui se serait rêvé notable, laisse constamment son inconscient tuer le monsieur Prud’homme en lui pour laisser place aux fantasmes qui sont aussi ceux, à la même époque, d’un Lautréamont. Et c’est pourquoi, Xavier Forneret, voyant et mage malgré lui, est de notre temps : il a compris, en s’effrayant lui-même, que la bonne littérature était un interminable dérapage contrôlé.
Contes et Récits de Xavier Forneret (José Corti, 5 euros, non massicoté, marché de Niort).
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