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Workaholic en vacances

Le guerrier des temps modernes


Workaholic en vacances
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Qui ne connaît pas un(e) collègue ou membre de la famille méritant le qualificatif d' »addict » au boulot? Illustre-t-il la servitude volontaire d’aujourd’hui ou l’esprit de sérieux qui nous sauvera?

On les appelait jadis les « bourreaux de travail » mais à l’époque du bourreau de travail, l’absence d’informatique et de la divine connexion permanente évitait la véritable addiction devenue aujourd’hui pathologique.

Le workaholic d’aujourd’hui est aussi addict au travail sur écran que l’alcoolique à son verre ou le fumeur à sa cigarette. L’entourage du workaholic est également victime, psychologiquement culpabilisé en permanence, nousrappelant le sévère : « Tais-toi, papa travaille » menaçant de notre enfance.

Entre ruse et dope

Le dépendant intoxiqué est rusé et bénéficie d’un a priori positif dans un monde où la paresse est un droit. Notre homme ou notre femme (plus rare) ne s’épanouit que dans un univers professionnel qui le met sous pression permanente, et si la pression n’est pas suffisante, il la crée avec talent. Le stress est sa dope!

Notre guerrier des temps modernes peut être une femme d’affaires ou un cadre sup en échec, le plus souvent professionnellement indépendant ou investi de « lourdes » (?) responsabilités selon lui. Les symptômes sont toujours les mêmes : un enjeu disproportionné à la tâche à accomplir, la conviction que son angoisse et son obsession sont la condition et la preuve de son implication et de son efficacité.

Un vocabulaire reconnaissable signe l’importance de ses missions; il ne donne ni ne reçoit de simples appels comme vous et moi : il a des « calls » car on sent bien que le « call » est d’un tout autre niveau, le call nécessite un isolement, une préparation psychologique sérieuse, un timing précis ; il l’annonce à l’avance à son entourage, la mine grave, il avertit à plusieurs reprises qu’« il veut le calme absolu»; il repère les lieux même dans la maison de famille, aura-t-il une bonne connexion ? Elles sont capricieuses ! Peut-il s’isoler ? Tout le monde est prévenu et devra faire preuve d’une discrétion à toute épreuve, que dis-je d’une disparation pure et simple. Il faut que son interlocuteur soit convaincu qu’il est à son bureau et seul… et si une voix se fait entendre, ou un aboiement de chien, il peut craquer et devenir violent (après) ou avant, si l’enfant rôde.

La visio: le nec plus ultra

Mais il y a pire comme vecteur du stress : « la visio conférence », c’est-à-dire un méga call à plusieurs. Avez-vous remarqué que rencontrer quelqu’un pour le boulot a de moins en moins d’intérêt ? Les importants, eux, plébiscitent la visio-conférence, accros au stress exquis qu’elle procure, car c’est là que tout se joue avec une tension comparable à celle du dialogue Poutine-Macron. Pour nourrir l’angoisse professionnelle s’ajoute la problématique de la connexion : Skype, Google Meet, Zoho meeting, Whereby, Report it, etc. les outils de « visio conférence » avec des codes d’installation et autres terribles incertitudes : attention au son, à la lumière, au fond (la plage, c’est pas terrible). C’est ce qu’on appelle probablement le COVID long : plus jamais de rapport normal au travail, le distanciel est né avec son cortège de pollution spatio-temporelle, ses exigences d’ubiquité et l’effacement de la vie privée en donnant la priorité aux absents professionnels.

Greffe de portable

Ne programmez rien de particulier à heure fixe en week-end (s’il s’est fait piéger et qu’il est parti), sachez que jamais au grand jamais, il ne le prolongera d’un « jour ouvrable ». Notre workaholic doit vérifier avant quelque activité ludique que ce soit, qu’il n’y a pas de raison de la retarder pour cause professionnelle. Le matin, il va d’abord courir chercher le journal car il peut y avoir eu une crise nationale pendant la nuit qui affecte un de ses clients. Les avocats sont assez touchés, béquilles de leurs clients, ils finissent par n’être disponibles que pour eux. (On aimerait bien que ce soit le cas des médecins ou des plombiers).

Son portable est greffé, il ne le quitte pas, le pose sur la table aux repas et sur ses genoux au théâtre en le cachant. Il n’a pas le temps de faire du sport mais a trouvé la solution : son portable toujours sur lui, il calcule les 10 000 pas qu’il doit faire par jour et BINGO, pendant qu’il marche, il peut passer des appels à son bureau !

Il y a un même workaholic qui a demandé le divorce parce que sa femme n’avait pas voulu annuler les billets de train de départ en vacances dont l’horaire pouvait le faire arriver en retard à la visio importante programmée à l’arrivée.

Pression maximale et cravate à la plage

C’est un hypocondriaque du boulot, rien n’est jamais assez bien fait, surtout par les autres, car il ne délègue pas, c’est la base pour maintenir une activité personnelle à saturation maximale, et qui d’autre que lui peut aussi bien faire ? Il souffre en silence de ce penchant amical ou familial qui veut l’entrainer en vacances. C’est une situation à haut risque : que va faire sa boite sans lui ? Et dans les cas aigus : comment partir quand l’économie française est dans cet état ?

Une fois en vacances quand même, il rechigne le matin à partir de la maison, il a un mail en retard, dit-il d’un air gourmand. Si ce n’est lui, c’est donc son frère que vous avez surpris à la montagne dans un restaurant d’altitude avec son iPad dissimulé sous son anorak, guettant le moment où le sortir. Et à Nice, où ses activités nécessitaient un déjeuner professionnel, il arrive en cravate sur la plage car la cravate est sa ceinture de sécurité mentale, celle du haut fonctionnaire en particulier, elle est la preuve de son sérieux inoxydable… Et ne croyez pas qu’il soit vieux, non il est né comme ça, avec une cravate.

Le sauveur de la France ?

Les mots à ne pas prononcer devant lui sont : « cool », « fais-toi plaisir », « lâche-toi », « déconnecte un peu », « allez ! oublie les dossiers », « ils se passeront bien de toi », « qu’est-ce que tu peux y faire ? », et enfin le mot « vacances » qui le met carrément en colère ! Il n’en prend pas, au mieux, il fait des « breaks »…

Cela dit, on l’aime bien comme toute espèce en voie de disparation ; la conscience professionnelle, le sens du devoir, l’esprit de responsabilité, le refus de la paresse… vous en connaissez beaucoup qui en font preuve sans risquer d’être mis au ban de la société de la coolitude, ou accusé par les syndicats d’exploitation abusive de soi-même ? Et en plus, ne croyez pas que ce soit l’appât du gain qui le motive, il n’en a cure, ce qu’il veut, c’est bosser dans l’intérêt général ! Après tout il sauvera peut-être la France ?

(Toute ressemblance avec des personnages existants n’a rien de fortuit).



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Chef d'entreprise, présidente du mouvement ETHIC.

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