Ses Mémoires, censurés aux USA, ont pu paraître en France. Tant mieux pour nous.
Il aura fallu un éditeur courageux, Manuel Carcassonne, directeur de Stock, pour que nous puissions nous régaler à la lecture des mémoires de Woody Allen. Aux États-Unis, le puissant mouvement #MeToo, dont Ronan Farrow, fils du célèbre cinéaste, est l’une des figures emblématiques, a contraint son éditeur, Grand Central Publishing, à jeter l’éponge. Les autres maisons d’éditions ont suivi, comme le banc de sardines suit celle qui indique la direction. Les États-Unis sont entrés dans une ère comparable à celle du maccarthysme, une ère de chasse aux sorcières où accusation de pédophilie, tentative de viol, attouchements inappropriés signifient culpabilité. Seule l’éditrice Jeannette Seaver, veuve de Dick Seaver qui a publié les plus grands auteurs sulfureux, Henry Miller, Hubert Selby, D.H. Lawrence, pour ne citer qu’eux, a osé défier le nouvel ordre féministe en éditant le réalisateur devenu pestiféré.
Rien n’est simple dans la tribu
Woody Allen revient longuement sur l’affaire qui ronge sa vie, mais ne parvient pas à la détruire, malgré une pression constante. Et là, on peut dire que le titre français, Soit dit en passant, ne correspond pas à la réalité du livre. Le cinéaste ne passe pas sur l’affaire, il s’y attarde même, tentant une ultime fois de donner sa version des faits. Depuis 1992, Dylan, la fille adoptive de Woody Allen, l’accuse d’abus sexuels. Ces accusations très graves sont portées par sa mère, l’actrice Mia Farrow, compagne du cinéaste. Malgré les nombreuses conquêtes de Woody Allen, elle est celle qui compte le plus. Il la fera tourner treize fois. Leur histoire débute en 1980. Cette femme aux yeux bleus et boucles blondes, intelligente, vive, cultivée, fut révélée par Roman Polanski dans Rosemary’s Baby. Allen rappelle que l’actrice est déjà mère de sept enfants, dont quatre adoptés. Le couple n’habitera jamais ensemble.
Le récit de Woody Allen démontre tous les ressorts d’une machinerie où Mia Farrow apparaît tour à tour manipulatrice, hystérique, castratrice, incestuelle. Malgré cela, Woody Allen est ostracisé
N’arrivant pas à avoir d’enfant avec son compagnon, Mia Farrow adopte une petite fille, Dylan, celle par qui le scandale arrivera. En 1987, Mia annonce qu’elle est enfin enceinte d’un petit garçon. Mais aujourd’hui, elle laisse entendre que Satchel pourrait être en réalité le fils de Frank Sinatra. Il faut suivre, rien n’est simple dans cette tribu. Puis Mia Farrow adopte Soon-Yi, née en 1970, en Corée du Sud. C’est une orpheline qui vit, à 5 ans, dans les rues de Séoul à la recherche de boîtes de conserve et de couvertures. Ça forge le caractère. Son instinct de survie est inoxydable. Mia va détester la petite, la considérant comme une ratée. Elle poursuit cependant brillamment ses études. Le réalisateur la trouve « maussade et ennuyeuse ». Mais il finit par tomber amoureux d’elle.
La vengeance de Mia
Elle a alors 22 ans. 35 ans d’écart avec Woody Allen, le compagnon de sa mère adoptive. Le couple se réfugie dans le penthouse du cinéaste. Un jour, ils prennent des Polaroid, ils sont nus, ils les oublient sur une étagère, Mia les découvre. C’est le choc, la guerre totale. La vengeance de Mia sera terrible. Elle dit : « Il m’a pris ma fille, maintenant je vais lui prendre la sienne. » Elle met sa menace à exécution. Elle porte plainte contre son ex-compagnon, l’accusant d’avoir agressé sexuellement Dylan, à l’âge de 7 ans. Woody raconte longuement le conditionnement psychique que Dylan a subi de la part de sa mère. Le témoignage de la petite est bidon, selon Allen. Moses Farrow, fils de Mia et Woody, déclare aux enquêteurs : « Ces conclusions corroborent exactement mon expérience d’enfant : coaching, influence et répétition sont les trois mots qui résument au mieux la façon dont notre mère a essayé de nous élever. » De son côté, Soon-Yi confie : « Mia aimait surtout le mécanisme de l’adoption, c’était pour elle une excitation, comme quelqu’un qui s’achète un nouveau jouet ; elle s’enorgueillissait de cette réputation de sainte, de l’image publique favorable que cela lui donnait, mais élever les enfants ne l’intéressait pas et elle ne s’occupait pas vraiment d’eux. » Woody Allen ajoute : « Il n’y a rien d’étonnant à ce que deux de ses enfants adoptés se soient suicidés et qu’un troisième y ait songé sérieusement. »
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Après deux enquêtes fouillées, dont l’une lancée par le département de la protection de l’enfance de l’État de New York, les conclusions sont formelles : « Dylan n’a pas été agressée sexuellement par M. Allen (…) Il n’existe aucune preuve tangible que l’enfant (…) ait été sexuellement abusée ou maltraitée. »
Le récit de Woody Allen est précis, argumenté, témoignages à l’appui, démontant tous les ressorts d’une machinerie où Mia Farrow apparaît tour à tour manipulatrice, hystérique, castratrice, incestuelle. Malgré cela, Woody Allen est ostracisé. Les acteurs ne veulent plus tourner dans ses films, ceux qui ont tourné avec lui le regrettent publiquement, ses collègues le boycottent, Amazon a rompu son contrat, on ne fait plus de cours sur ses films. Avec son humour qui le caractérise et le sauve, Woody Allen déclare : « Dans le monde du spectacle comme ailleurs, les gens ont une vie à vivre et des problèmes personnels, mais ils avaient entendu dire que refuser de travailler avec moi était la dernière chose à la mode – comme s’il s’agissait du nouveau régime à base de chou kale. »
Détachement stoïcien contre #Metoo
Woody Allen s’en prend également au mouvement #Me Too qui, par ses excès et son aveuglement, dessert « la situation de femmes authentiquement maltraitées et harcelées. » Mais depuis que « le principe de toujours croire la femme » s’applique, que faire ? Avec un détachement stoïcien, le cinéaste, âgé de 84 ans, soupire : « Ma foi, dans la mesure où ce que je lègue à la postérité ne m’a jamais intéressé, que puis-je répondre ? »
Bien sûr, Woody Allen nous parle de son enfance, sa jeunesse, ses amours, de littérature, beaucoup, de ses dégoûts revendiqués. En revanche, il évoque assez peu ses films, le cinéma, pas du tout de la technique qui l’ennuie profondément. Il était un ado timide et complexé de Brooklyn, très tôt solitaire, misanthrope, claustrophobe, hypocondriaque. Il l’est encore, avec son regard triste derrière de grosses lunettes. Il sait que tout ça est derrière lui, un passé exceptionnel dont il ne tire aucune gloire. Il se considère comme un acteur au jeu limité, un cinéaste moyen, pas au niveau d’un Polanski. Il n’est pas loin de penser que la vie est une drôle de farce et que la vérité, c’est la mort. Il y a eu de très beaux moments dans une vie somme toute assez terne, si l’on met entre parenthèses « l’affaire Farrow ». Avec Diane Keaton, ce fut plus qu’agréable. Ils croisent Simone de Beauvoir et Polanski dans un restaurant où ils dégustent des tortellinis. Les jambes de Diane sont sublimes. Elle devient sa muse, son « étoile polaire ». Woody raconte, ému : « Diane et moi, on se levait, on appuyait sur un bouton au chevet du lit, des rideaux s’ouvraient automatiquement pour révéler Manhattan à nos regards. Soit le soleil inondait la pièce, soit la pluie ou la neige tombait, ou encore le parc resplendissait de feuilles d’automne rouges et jaunes, qui mourraient en luttant avec panache. » De quoi apaiser les névroses. La pluie fine sur la ville, la lumière mélancolique, l’univers poétique de Woody. Car il y a beaucoup de poésie dans ses films. Puis c’est la rupture sur une chanson de Billie Holiday. Woody se console dans les bras de Robin, puis Dory, les deux sœurs de Diane Keaton. Incorrigible séducteur qui collectionnait les râteaux jeune homme, sensible aux chutes de reins des jolies filles.
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Le réalisateur de Manhattan évoque son mariage à Venise avec Soon-Yi, la seule qui soit restée fidèle à Woody, se remémorant probablement les brimades infligées par Mia. Il résume ainsi l’événement : « Soon-Yi et moi étions mari et femme. Cela n’eut que peu d’effet sur la Bourse, même si le Xanax gagna dix points. »
La littérature tient une place importante dans ses mémoires. Mention spéciale pour Tennessee William. Il évoque ses pièces, vues plusieurs fois, ainsi que le film Un tramway nommé désir, « la perfection artistique absolue ». Il ajoute : « À l’exception de cette fin à la con, qui cède aux exigences de ce que D. H. Lawrence appela la ‘’crétinerie de la censure’’ ». Dans cette perfection atteinte, il n’oublie pas Marlon Brando « poète vivant ». Il écrit : « C’est un acteur qui fit irruption sur scène et changea l’histoire du jeu théâtral. La magie, le décor de la Nouvelle-Orléans, le Quartier français, les après-midi pluvieux et moites, la partie de poker. Le génie artistique à l’état pur, toutes catégories confondues. » Ça fait du bien de lire un esprit libre.
Le réalisateur de Minuit à Paris se souvient de ses rencontres avec Truffaut, Resnais, Godard, son coup de téléphone matinal à Fellini « génie du cinéma ». Les pages défilent, on les lit avec gourmandise, parfois nostalgie, une musique de Sidney Bechet dans la tête. On ne peut s’empêcher de penser que c’était mieux avant. Il ne faudrait jamais se compromettre avec les adultes.
La clé pour comprendre Woody Allen se trouve dès la première ligne de son livre. Il cite Holden Caulfied, le personnage de L’Attrape-cœurs, de Salinger.
Woody Allen, Soit dit en passant, Stock.
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