Je ne sais fichtre pas de quoi Eric Woerth est coupable, et donc de quoi il est innocent. Au sens judiciaire, s’entend. Et ce n’est pas une copie de cassette audio ou un PV d’audition à la Brigade financière qui me fabriqueront une opinion. Ceux qui ont déjà tranché, ceux qui considèrent qu’un majordome ou qu’une comptable ne peuvent dire que la vérité absolue sont manifestement amateurs de justice expéditive. C’est un choix qui peut à la rigueur se défendre, sauf qu’en général les lyncheurs du moment n’ont jamais de mots assez vibrants pour rappeler leur attachement viscéral à l’Etat de droit. Je rigole.
Étant assez peu confiant en la justice de mon pays, je ne me cacherai même pas derrière l’attente d’une éventuelle décision pénale pour me faire une opinion. Ni Roland Dumas, ni Jacques Chirac n’ont fait un seul jour de prison, ça ne les rend pas forcément plus innocents que le clampin qui s’est fait coincer par les gendarmes au volant d’une Twingo volée.
Cela dit, si je n’ai pas d’opinion technique sur le dossier, j’ai une opinion politique. C’est que Woerth mérite des claques. Si la femme de César doit être insoupçonnable, c’est tout aussi vrai pour celle du ministre du Budget. Et il aurait dû incontestablement demander à son épouse de se chercher du travail ailleurs que chez la première contribuable de France. Il va de soi que dans un couple civilisé, on discute : Madame aurait parfaitement pu insister mordicus pour aller bosser chez Liliane, mais alors, là, c’était à Eric de démissionner de Bercy. Ça s’appelle le principe de précaution, et je croyais bêtement que, sauf moi, tout le monde était pour. Ce grand principe, on l’a oublié juste au moment où il fallait pas, pour le plus grand tort de l’UMP, du président et d’Eric Woerth. Gageons que les deux premiers s’en sortiront tant bien que mal, ce qui est loin d’être gagné pour le dernier. Les claques dont je parlais plus haut, c’est le ministre-trésorier qui devrait se les coller à lui-même, si ce n’est déjà fait.
Ce scénario vertueux du non-mélange des genres restera donc imaginaire. Eut-il pris corps, Florence Woerth serait-elle allé exercer ses compétences financières à la Croix-Rouge ou chez Emmaüs, notre vie politique en aurait-elle été assainie ? Euh… Si on veut bien me laisser être sérieux deux minutes, chacun sait qu’il n’y a pas d’argent propre en politique. Qui honnêtement croit dans ce pays que les ressources des partis proviennent uniquement des militants, des sympathisants et du financement public tel qu’il est encadré par loi ?
Personne n’y croit, ou alors les petits enfants, ou quelques personnes très âgées. Chacun sait qu’il n’y a pas qu’à Neuilly qu’on glisse des grosses coupures dans des enveloppes kraft demi format (note à l’attention de Me Kiejman : « Neuilly » a bien entendu ici une acception métaphorique, je ne parle de personne en particulier). Il y a une longue histoire d’amour franco-française entre les partis et l’argent liquide. Et quand ce n’est pas du cash, ce sera un chèque versé opportunément à une association d’insertion six mois avant l’ouverture d’un hypermarché. Ou bien, s’il s’agit de babioles d’une autre ampleur, une rétro-commission de plusieurs milliards sur un compte aux Iles Cayman. Chacun donne ce qu’il peut, c’est ça aussi la démocratie.
Non, il n’y a pas d’argent propre en politique, il n’y a que des pauvres couillons qui se font gauler, alors que d’autres passent entre les mailles. J’ai la faiblesse de penser que l’immense majorité des électeurs en ont conscience, et que, comme moi, ça ne les dérange pas plus que ça. À preuve, ça ne les a pas empêchés de réélire triomphalement Alain Juppé, Jean-Paul Huchon et bien d’autres, malgré leur condamnations judiciaires.
Sans financement occulte, pas de partis politiques. Sans partis, pas de démocratie. Réfléchissez et choisissez !
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