On n’attendait pas Wim Wenders sur ce terrain-là. Celui de la complaisance à l’égard du pape François. Il aurait mieux fait de ne pas l’emprunter: son documentaire, Le pape François, un homme de parole, a tout du coup de com’ raté.
Mais qu’est allé faire Wim Wenders dans cette galère vaticane ? C’est ce que nombre de festivaliers cannois se demandèrent cette année en découvrant le nouveau documentaire du cinéaste allemand, Le Pape François : un homme de parole. Par le passé, il s’est intéressé avec talent aux univers artistiques de la chorégraphe Pina Bausch ou du photographe Sebastião Salgado. Mais dans le cas présent, il a curieusement répondu aux sollicitations du Vatican, via sa société de production audiovisuelle. S’est ensuivi un marchandage entre le cinéaste et son commanditaire coproducteur, fondé, nous dit-on, sur l’extrême liberté du premier et l’ultra bienveillance du second, prêt à fournir qui plus est toutes les archives nécessaires. Au bout du compte, les deux hommes se sont rencontrés à quatre reprises, Wenders insistant sur sa volonté de recueillir des « paroles inédites du souverain pontife ».
Du Wim de messe
Dix heures d’entretien au total, mais pour quel résultat ? Assurément aucune révélation, aucun angle novateur, aucune surprise, bonne ou mauvaise. Ce que l’on voit, ce que l’on entend n’est pas de nature à faire changer d’avis celui qui croit à ce pape et celui qui n’y croit pas. Ce qui, soit dit en passant, va certainement à rebours de la démarche initiale du Vatican.
Cette prestigieuse opération de communication devait infléchir les doutes des plus critiques et convertir les plus réticents. Le pape François, excellent produit moderne, aurait dû tenir avec ce film son meilleur plan de com. Certes, le pape répond sans détour aux questions posées, même celles qui pourraient fâcher, pédophilie à l’intérieur de l’Église en tête. Tout est broyé dans une machine parfaitement huilée qui fait se dérouler des questions lénifiantes et des réponses bien calibrées. On ne pousse pas le pape dans ses retranchements, on l’interroge respectueusement. Depuis le réchauffement climatique jusqu’aux questions sociales et « sociétales », tout passe ici à la moulinette d’une complaisance d’autant plus déroutante que, de Wenders, on attendait autre chose qu’une langue digne du thuriféraire de l’office du dimanche matin.
Avalanche de bons sentiments
Entre deux entretiens, de pieuses images d’archives glanées à travers le monde entier renseignent à l’envi sur l’infatigable capacité du pape François à sourire à toutes et à tous. Le film devient alors un long protocole compassionnel de toutes les souffrances humaines, physiques ou morales. Les malheureux et les exclus de tous bords trouvent auprès de lui un peu de réconfort. Wenders a-t-il seulement conscience que son film se transforme peu à peu en un long clip pour la béatification quasi immédiate du pape François ? On glisse insensiblement de la communication au marketing, de l’exercice convenu et convenable à la fabrication d’un mythe. À l’appui de sa démonstration, Wenders franchit un pas supplémentaire en reconstituant quelques scènes de la vie du modèle subliminal : saint François d’Assise. Ce dernier est forcément la préfiguration de saint François du Vatican. Inquiétant et dérisoire parallèle en version muette et noir et blanc comme un désastreux hommage à Pasolini ou Rossellini. Mais des petits oiseaux ne font ni le printemps du cinéma ni celui d’un portrait saint-sulpicien en diable.
À ce stade, on s’en veut un peu de citer Staline et son célèbre « Le pape, combien de divisions ? » lancé à Laval en 1935 à propos des libertés religieuses en Russie. Mais que demander de plus pertinent face à cette avalanche de bons sentiments et de bonnes intentions ? Les ennemis du pape sont nombreux si l’on en croit François et ses croisades verbales incessantes : la guerre, le terrorisme, la faim, la soif, l’exil, que sais-je encore ? Au bout d’un moment, ce que fait Wenders, c’est tout simplement le portrait et la théorisation par l’exemple d’une impuissance totale. Le pape François, par définition, n’a pas de main et le film de Wenders en est l’implacable démonstration. Ce n’était assurément pas le but recherché et l’heure trente six nécessaire pour en arriver là ressemble plutôt à un chemin de croix.
Le Pape François, un homme de parole, Wim Wenders, 2018. En salles le 12 septembre.