À Bruxelles, la galerie Templon a présenté au début de l’été 2020 une intéressante exposition Will Cotton. L’univers de cet artiste, peuplé de pâtisseries et de femmes-friandises, s’avère troublant à plus d’un titre. Cet événement confirme le fait que l’hyperréalisme a su évoluer depuis le fastidieux photoréalisme de ses débuts.
D’accortes pin-up nues au milieu des macarons, crèmes et autres barbes à papa, tel est le thème récurrent des peintures de Will Cotton. On y caresse d’un même regard jolis nénés et parfaits glaçages. On peut, selon ses préférences, soit se rincer l’œil tout simplement, soit y voir une dénonciation au énième degré de la société de consommation. En réalité, l’ambiance de ces peintures est si sucrée, si feutrée, si drôle, si pop, si aimablement colorée, qu’on ne se sent guère porté aux interprétations militantes. L’œuvre de Will Cotton est un monde où le désir sexuel et l’appétit alimentaire sont comblés avant même de se manifester. Avec lui, l’heure est à l’apaisement et, parfois, presque à l’écœurement.
De l’Hudson river aux petits fours
Le monde artificialisé de Will Cotton est une sorte d’utopie qui actualise les représentations anciennes du jardin d’Éden ou du pays de Cocagne. L’artiste a aussi en tête les univers de taffetas et de jambes en l’air des artistes du xviiie siècle tels que François Boucher ou Honoré Fragonard dont il est évidemment très proche par ses thèmes.
Cependant, l’influence la plus marquante pour lui est curieusement celle des peintres de l’Hudson river school, groupe de paysagistes américains du xixe. Ceci est surprenant, car apparemment il n’y a rien de commun entre ces artistes et Will Cotton. Arrêtons-nous donc un peu sur cette page de l’histoire de l’art peu connue en France. Les artistes concernés sont de véritables explorateurs des grands espaces durant une partie de l’année. De retour dans leur atelier, généralement en hiver, ils composent grâce à leurs croquis et leurs souvenirs des vues évoquant la splendeur de la nature vierge. Influencés par la philosophie du sublime d’Edmund Burke (connu par ailleurs pour ses critiques de la Révolution), ils font du paysage sauvage une sorte de paradis originel, une manifestation du divin. Certains, comme Frederic Edwin Church (1826-1900), organisent des expositions de leurs grandes compositions et produisent un effet presque religieux sur le public. D’autres, comme Thomas Moran (1837-1926), font prendre conscience aux Américains de la beauté inouïe de leur pays, développent le sentiment de la nature parmi leurs compatriotes et contribuent à la création de parcs nationaux, notamment celui de Yellowstone.
Will Cotton aime les paysages de l’Hudson river school avec lesquels il s’est familiarisé durant dans sa jeunesse. Ce premier contact important avec la figuration l’a marqué légitimement, mais ce n’est pas tout. Ces toiles spectaculaires léguées par le xixe ne sont, en effet, pas peintes sur le motif ou dans un esprit naturaliste. Au contraire, elles sont composées le plus souvent en atelier comme des sortes d’affiches de propagande en faveur de la nature. Cieux incroyables, cimes neigeuses, cascades fracassantes, forêts séculaires, troupeaux de cervidés, ours et caribous : il y en a toujours un peu trop dans ces peintures pour qu’elles paraissent vraies. C’est justement cette façon de reconstituer un monde fantasmé qui fascine Will Cotton. Il y voit de véritables utopies imaginées par leurs créateurs. C’est cela qui est décisif pour lui et qu’il a eu envie de transposer au profit de ses thèmes de prédilection.
L’hyperréalisme à maturité
C’est logiquement en atelier et de façon totalement artificielle que Will Cotton crée de toutes pièces son univers. Il y met en place un processus bien structuré pour préparer ses peintures. Ayant pris soin de compléter son talent artistique par une solide formation en pâtisserie, il cuisine des décors géants à base de pain d’épices et de crèmes diverses. C’est là qu’il fait évoluer les nus féminins qui lui servent de modèles.
Sa peinture très réaliste s’inscrit évidemment dans la tradition hyperréaliste. La plupart des figures historiques de ce mouvement naissent cependant dans les années 1930 à 1940 et sont reconnues dans les années 1970. Qualifiées souvent de « photoréalistes », elles produisent des œuvres qui en imposent par leur notation très méticuleuse des détails. Cependant, leur précision quasi cartographique paraît à la longue assez fatigante pour le regard. En réalité, ces artistes apportent beaucoup de minutie au contour des objets, mais appréhendent assez mal ces insaisissables nuances qui font vivre une image et lui confèrent sa vérité. En un mot, ils sont besogneux.
Will Cotton appartient à une période beaucoup plus mûre de l’hyperréalisme. Il fait, en effet, preuve d’un rendu subtil des gradients et variations diverses. Il nous épargne les contours laborieux de ses prédécesseurs et met en place de beaux fondus. Le premier regard n’est pas rebuté par un excès de précisions. On a une impression d’ensemble très épurée, très « clean » qui relève de l’esthétique de la mode ou d’un certain goût pop. En outre, il faut remarquer que l’artiste est soucieux de mettre en place des textures rendant compte de la sensation presque tactile s’attachant aux objets représentés. Les glaçures de ses gâteaux sont alléchantes, les chairs de ses nus sont véridiques, etc.
Will Cotton pratique ainsi un hyperréalisme beaucoup plus convaincant que celui de ses prédécesseurs. C’est d’ailleurs un mouvement général qu’on peut remarquer, par exemple, chez des peintres comme Muntean et Rosenblum ou des sculpteurs tels que Ron Mueck ou John De Andrea. L’hyperréalisme évolue, et c’est tant mieux !
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