Son remake parfaitement maîtrisé ressuscite la comédie musicale légendaire de Robert Wise, un demi-siècle plus tard.
« West Side Story » est peut-être le film le plus flamboyant de Spielberg qui a pourtant déjà donné ces vingt dernières années, ses meilleurs films: adaptation d’un roman d’anticipation de Philip K.Dick avec « Minority Report » (2002), ou films historiques avec « Munich » (2005), « Lincoln » (2012), « Le Pont des espions » (2015) et « Pentagon Papers » (2017). Ce n’est bien sûr pas un hasard car avec ces films, Steven Spielberg se réapproprie les formes du cinéma de genre et du classicisme cinématographique américain afin de mieux interroger notre époque.
Une comédie musicale légendaire
Steven Spielberg a parfaitement saisi l’atmosphère de la légendaire comédie musicale de Broadway « West Side Story » de Laurents, Sondheim et Bernstein – eux-mêmes inspirés par la tragédie de William Shakespeare, Roméo et Juliette -, qui fut portée à l’écran en 1961 par Robert Wise et Jerome Robbins. Son film décrit beaucoup plus la misère sociale qui mine deux bandes rivales dans le New York de la fin des années 1950 : les Jets, descendants d’immigrés européens et les Sharks, venus de Porto Rico. Spielberg situe l’action – un affrontement urbain violent – dans un West Side Story où les boules de démolition finissent de raser les immeubles. Le quartier n’est plus qu’un amas de ruines, où sera bientôt édifié le Lincoln Center, un centre culturel de prestige destiné à la bourgeoisie new-yorkaise.
Un monde disparait, c’est l’histoire de ce monde que raconte le cinéaste très inspiré. Il conserve du film originel la musique de Leonard Bernstein et magnifie les chansons de Stephen Sondheim. Tout en signant un film profondément moderne sur le fond, Steven Spielberg signe une œuvre d’un grand classicisme formel. Racisme, mais surtout pauvreté et exclusion sociale hantent les héros sans tomber dans les travers sociétaux d’aujourd’hui, hormis la transformation ridicule du garçon manqué du film de Robert Wise en transgenre. Les garçons qui font partie des Jets et des Sharks sont surtout des fortes têtes, des jeunes perdus et amers, qui n’ont aucun avenir devant eux et qui par ennui et goût du jeu s’affirment dans les bagarres où ils s’affrontent afin de prouver leur existence et leur virilité plus par défi que mus par une haine raciale fondamentale.
Virtuosité et inventivité
La beauté du filmse ressent dans chaque plan, dans chaque chanson et dans le choix de décors sombres et ravagés. La mise en scène est à la fois fidèle, virtuose et inventive, servie par une pléiade de jeunes chanteurs, danseurs et acteurs éblouissants. Les chorégraphies dirigées par Justin Peck sont majestueuses ainsi que les couleurs vives et chaudes de la photographie de Januz Kaminski. On signalera les interprétations lumineuses d’Ansel Elgort (Tony) et de Rachel Zegler (Maria), les jeunes « Roméo et Juliette », ainsi que celle d’Ariana de Bose (Anita) et de Rita Moreno (Valentina) – âgée aujourd’hui de 91 ans, elle est une des productrices du film mais il y a 50 ans, c’est elle interprétait Anita dans le film de Robert Wise.
Du grand cinéma et du grand Spielberg: ample, généreux, rude et bouleversant à la fois.
Sur les écrans depuis le mercredi 8 décembre.