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« Wesh, Madame » ?! — ou comment enseigner encore et toujours

On ne fait pas classe avec de bons sentiments, mais avec le Bescherelle


« Wesh, Madame » ?! — ou comment enseigner encore et toujours
Salle de classe, le 4 septembre 2024. Romain Beaumont/SIPA

On parle de plus en plus de démissions précoces d’enseignants, déçus, voire terrorisés par les conditions d’exercice de leur profession. Heureusement, explique notre chroniqueur, il y a encore des profs qui aiment leurs élèves et se dévouent à fond aux petits monstres qu’on leur a confiés. La preuve : le livre que vient de publier Myriam Meyer.


Le titre, au fond, dit tout. « Wesh » est une interjection d’origine berbère, commune aux peuples du Maghreb, qui signifie « Salut, comment vas-tu ? » — et par extension, peut marquer la surprise : « Mince, alors ! ». C’est le mot passe-partout d’élèves qui arrivent de leur famille, de leur quartier, avec un vocabulaire si réduit qu’un chien savant en saurait presque davantage.

Et c’est tout le fond de ce livre qu’une lecture rapide classerait dans la catégorie « sympathique », à cause des anecdotes nombreuses et souvent hilarantes qu’il contient, si l’on ne faisait pas attention au fond du problème : comment enseigner le Français à des populations conditionnées par leur entourage à pratiquer un pataouète qui tient davantage du borborygme crachoté que de la langue articulée. « Wesh » tient de l’éternument et de l’aboiement étouffé. C’est de la communication infrahumaine. Et c’est à ces petits barbares que Myriam Meyer s’efforce d’enseigner les subtilités des grammaires française et latine — jusqu’à les amener in situ à Rome pour visiter les ruines de l’Empire.

C’est en la confrontant aux purs produits des IUFM / ESPE / INSPE (peu importe l’appellation, c’est toujours la même soupe à la grimace), ces temples de l’enseignement de l’ignorance, que l’on saisit mieux la différence entre un bon prof et un pantin pédago. Un olibrius nommé pour remplacer une collègue absente lui explique ainsi qu’il développe une pédagogie de « projets » :

« – Mais de quels projets parles-tu ?

– Y en a deux en fait, tu vois. Et ils s’inscrivent à celui qu’ils veulent, ensuite, je les mets en îlots et ils bossent en autonomie. »

Et de préciser :

« Le premier, c’est de tenir un journal quotidien de tout ce qui se passe au collège, tu vois. Ils ont leurs propres articles, tout ça. [Et pendant ce temps, commente Myriam Meyer, ô Grand Initiateur de projets, tu n’as rien à faire. Ni préparation, ni cours, ni correction. Habile].
« Le deuxième projet, il s’appelle « Exil ». Le truc, c’est qu’ils vont interviewer les membres de leur famille, parce qu’ils sont d’origine immigrée, et qu’ils les feront parler de leur sentiment d’exil en France, tu vois… » En pendant ce temps, ni grammaire, ni littérature, ni expression correcte et corrigée, ni rien. C’est cela, le pédagogisme, tu vois…

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Cette pédadémagogie n’est pas la tasse de thé de la rédactrice de Wesh, Madame, somme d’instantanés de la vie ordinaire d’un prof normal dans un collège de REP — Réseau d’Éducation Prioritaire, pas même « Ambition Réussite » ni « Prévention Violence », mais pas loin : l’Educ-Nat ne manque pas de sigles obscurs pour désigner ceux que l’on a décidé de confiner a priori dans leur ghetto tout en feignant de les plaindre.

Myriam Meyer est une mauvaise prof selon les critères (inchangés, quelles que soient les bonnes intentions des ministres, toujours dépassés par la Machine qui a investi depuis quatre décennies l’État profond de la rue de Grenelle) de l’Inspection et des pédagos. Elle fait bosser ses loupiots, et ils en redemandent. Parce que refuser d’enseigner de façon coercitive à des élèves qui ne savent rien, ça, c’est de la vraie maltraitance. Mais rassurez-vous, dans ce monde orwellien où tout fonctionne à l’envers, les soi-disant « bons » enseignants sont ceux qui méprisent le plus les élèves, et donnent à leurs collègues des cours gratuits sur le « respect » qu’on leur doit — en ne dérangeant pas leur cancritude. Les mêmes plaident pour la « mixité » sociale, mais inscrivent leurs propres enfants ailleurs que dans les collèges pourris où ils enseignent – « Mais moi, tu vois, c’est différent »…

Enseigner le Français, cela consiste à enseigner la langue française : le truisme est évident pour tout le monde, sauf pour les IPR qui régentent ce monde absurde. Cela consiste à reprendre ceux qui croient qu’« humilité », « c’est quand on est mouillé, « comme dans Koh-Lanta » ». Ou « comme les députés, qui ont l’humilité parlementaire »… C’est reprendre, dix fois, cent fois, celui qui pense que « la religion des Romains, c’est la polysémie ».

« Je sors quelquefois de cours avec l’impression désespérante de vider l’océan à la cuillère », dit Myriam Meyer. Le tout est de ne pas se laisser aller au désespoir, comme ces enseignants, de plus en plus nombreux, qui démissionnent dès leur première année. Comme si un Nouveau Conducteur renonçait à son permis de conduire sous prétexte qu’il n’est pas tout de suite recruté en Formule 1.

La langue, vous dis-je. « Ça part en baston pour rien et sans arrêt parce que sur les dix mots de vocabulaire qu’ils ont, cinq sont des insultes ». Comme en ville, lors qu’au moindre prétexte, on en vient à l’agression verbale — en attendant mieux : l’insulte est le bagage de l’ignorant. Et les profs qui renoncent à apprendre à leurs élèves à s’insulter avec talent et références littéraires sont des pleutres. Enseigner le français, c’est donner l’envie de piocher dans la langue — celle que les élèves a priori ne maîtrisent pas. Les boomers apprenaient avec avidité les injures du capitaine Haddock. Les « millenials », la « génération X » et toutes celles qui lui ont succédé, se croient dans un feuilleton américain — référence incontournable des plus jeunes, marque d’inculture des plus vieux — où la communication commence et s’arrête à « fuck you ». Ou à « wesh », et autres échantillons de pseudo-arabe et de d’onomatopées banlieusardes.

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La faute à l’immigration ? Pas exactement. « Comme Paul, Marc, Solange, Victor, André, Jeanne, Agnès et Marie accumulent les bonnes notes et les réussites scolaires. À la maison, ils répondent à des patronymes chinois. Mais pour l’état civil, les parents ont choisi des patronymes français, d’un désuet quelquefois attendrissant. Je me garderai bien d’établir des statistiques, mais je n’oublierai jamais ce mot ravi d’un collègue aguerri découvrant la liste d’une de ses classes, en début d’année : « J’ai plein de Chinois ! On va pouvoir bosser ! » » L’intégration passe par la langue. La désintégration passe par le gloubiboulga. J’ai vécu moi-même la même expérience dans les années 1970 avec les réfugiés vietnamiens ou cambodgiens, boat-people survivants de tous les naufrages, qui en une année se mettaient largement au niveau des meilleurs. Quant à ce qui fait que les élèves maghrébins ou africains séjournent indéfiniment dans le dernier cercle de l’enfer linguistique, je laisse le lecteur libre de le déduire. Osons une hypothèse : cela tient moins à leur existence dans des ghettos sélectionnés qu’à leur croyance en une religion qui se fiche pas mal du progrès, sûre qu’elle est de détenir la vérité en ânonnant indéfiniment le texte « sacré » d’un livre auquel ils ne comprennent rien, puisqu’ils ne parlent pas la langue. Et qu’ils sont bien obligés de se fier à ce que des prêcheurs de barbarie obscure veulent bien leur souffler.

On s’étonne d’autant plus que Muriel Meyer, avec un joli nom comme le sien, n’évoque pas les réflexions racistes (ça suffit de parler d’antisémitisme : autant appeler les salopards par leur nom) qui fusent si souvent de ces publics irrigués par Netflix, les rézosocios et leur imam. 400% d’augmentation du nombre d’actes antisémites, vient d’avouer Darmanin. Mais que fait la police ?

L’air de rien, notre prof de Lettres ne nous cache rien des drames ordinaires, des suicides d’élèves harcelés ou désespérés, des personnels de direction dont le cœur s’essouffle à ramer à contre-courant des instructions officielles. Il y a, dans ce livre où l’on sourit souvent, des pages où l’on pleurerait volontiers. Myriam Meyer a du cœur à revendre — même si elle sait qu’on ne fait pas classe avec de bons sentiments, mais avec le Bescherelle et une grammaire latine exigeante.

PS. Myriam Meyer tient par ailleurs le journal de bord du cancer qui l’occupe depuis un certain temps. Une lecture annexe que je vous conseille vivement — vous qui allez bien, et vous qui allez mal.

Myriam Meyer, Wesh, madame ?! – Rires et larmes d’une prof de banlieue (Robert Laffont, 2024), 240 pp., 18,00€.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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