Selon la presse américaine, la nouvelle attraction Blanche Neige de Disneyland pose un énorme problème…
Je m’en voudrais d’en rajouter à l’indignation du San Francisco Chronicle, qui chantant les louanges du nouveau parcours Blanche-Neige à Disneyland, souligne que l’ancienne fin horrifique du spectacle, le combat contre la méchante reine, a été remplacée par la conclusion même du dessin animé, le fameux baiser que le prince donne à la jeune morte. Parce qu’elle est morte, et bien peu de commentateurs se sont aperçus que c’était un cas typique de nécrophilie. Si le cœur vous en dit, allez donc jouer au Prince charmant au cimetière des Capucins, à Palerme, où une jeune fille git dans son cercueil de verre depuis bientôt deux siècles.
Et cette fin pose un léger problème aux chroniqueuses. Le prince donne un « true love’s kiss » à la belle Snow White, « un baiser qu’il lui donne sans son consentement, pendant qu’elle dort, ce qui ne peut en aucun cas passer pour de l’amour vrai, si l’un seulement des protagonistes sait ce qui se passe. N’avons-nous pas déjà convenu que le consentement, dans ces Disney anciens, est un problème majeur ? Qu’enseigner aux enfants que le baiser, quand il n’a pas été établi que les deux parties sont d’accord pour l’échanger, n’est pas OK ? »
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Et de s’étonner que Disney Inc. en 2021, alors que la firme fait de son mieux pour signaler désormais tout ce qui peut choquer la bonne conscience woke de l’Amérique, ait choisi de conserver ce final bien peu politiquement correct au vu des nouveaux standards de la séduction, où vous devez obtenir le consentement écrit devant témoin de la dame avant de dégrafer son soutien-gorge.
Les deux chroniqueuses n’en rajoutent pas : ce sont les commentateurs européens qui en ont fait toute une histoire.
Permettez au spécialiste des Contes que je suis de rétablir la vérité. Dût-il vous en coûter, vous qui avez patiemment narré l’histoire à vos enfants pour les endormir…
Le baiser du Prince est une pure invention de Walt Disney en 1938. Dans le conte des frères Grimm, le prince obtient des nains qu’ils consentent à ce qu’il emmène le cercueil, ses serviteurs en l’emportant trébuchent sur une racine, « et par l’effet du choc, le cœur de la pomme sortit du gosier de Blanche-Neige ».
Avec ce matériau initial, Walt Disney nous concocte une version bien plus ésotérique, où le patin que le prince roule à la belle est assez pénétrant pour déloger la pomme fatale coincée entre deux dents. Jugez donc, Messieurs-Dames, du genre d’inquisition linguale à laquelle se livre le Prince pour arriver à un si beau résultat.
Walt Disney — le Walt Disney historique, l’homme d’extrême-droite pétri de vertus américaines — a inventé ce baiser, qui est désormais devenu le standard de l’histoire. Tout comme il modifie la manière dont, dans la Belle au bois dormant, le Prince arrive au chevet de la Belle endormie. Dans le conte, les ronces s’ouvrent d’elles-mêmes devant lui. Dans le dessin animé, il se bat furieusement contre cette forêt de poils pubiens à l’aide de sa grande épée phallique.
À noter que Perrault avait déjà édulcoré les versions antérieures, où le Prince fornique avec la dormeuse, qui ne s’éveille, neuf mois plus tard, qu’en mettant au monde le fruit de cette union involontaire. On ne disait pas « glamour » à la fin du XVIIe siècle, on parlait de bienséances.
En voulez-vous davantage ? Dans Blanche-Neige, Walt Disney a introduit (si je puis dire) une image subliminale de vagin denté. Regardez donc ce plan sidérant, pris du fond du puits où la belle puise de l’eau… C’est à la quarantième seconde de la scène. Disney avait de la femme une image quelque peu prédatrice.
Encore un exemple, pour la route ? Dans Fantasia (1940), on nous montre d’entreprenants centaures pourchassant des nymphes. Ou si vous préférez, Walt Disney, né un 5 décembre sous le signe du Sagittaire (dont le centaure est le symbole) court après les petites dactylos de sa firme. Eh oui.
Et je passe sur la scène d’un antisémitisme rare, où le loup se déguise en colporteur ostensiblement juif pour entrer chez les petits cochons — c’est à la sixième minute d’un dessin animé qui a reçu l’Oscar du meilleur dessin animé en 1933. Là, on n’est plus dans le subliminal commun à tous les contes (mais si, relisez donc la Psychanalyse des contes de fées de Bettelheim), mais dans l’idéologie de cette Amérique raciste des années 1930.
Il est curieux que les ligues de vertu contemporaines, si promptes à déceler de l’islamophobie là où il n’y en a pas, ne s’en soient pas émues. Peut-être ont-elles l’indignation à géométrie variable.
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Les contes de fées ne sont pas bien propres, et c’est leur fonction même que de titiller ce qui dans l’inconscient des bambins reste à l’état informulé. Dès la mort de Disney, la qualité des dessins animés baissa sérieusement, parce qu’une censure préalable se mit en place. J’ai pris plaisir récemment à expliquer à une classe d’hypokhâgneux stupéfaits que la vraie fin de Notre-Dame-de-Paris différait quelque peu de celle du Bossu de Notre-Dame — où Hugo n’est pas cité dans le générique. Eh non, la belle Esméralda n’épouse pas le beau Phébus : elle est pendue, avec un luxe de détails, et Quasimodo vole le cadavre pour mourir enlacé à lui. Si.
Imaginez la tête des bambins si la firme Disney avait voulu se conformer au récit de Hugo — qui n’est pas cité dans le générique, et c’est tant mieux, vu ce qu’on lui fait subir.
Le père Walt, lui, n’hésitait guère à déclencher des crises de larmes à la mort de la maman de Bambi… Sadique, nécrophile, obsédé sexuel, ce génie (mais si ! On n’y peut rien, on ne fait pas d’œuvre d’art avec de beaux sentiments) mériterait toutes les invectives et les censures contemporaines — maintenant que nous sommes devenus beaucoup plus bêtes que nos grands-parents. Alors, le baiser du Prince, franchement, c’est un épiphénomène.
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