Horrifiés par l’omniprésence de la pornographie chez les jeunes, touchés par la désorientation des parents, soucieux de promouvoir publiquement une représentation non faussée de l’amour, les programmateurs de la chaîne de télévision anglaise Channel 4 ont décidé de filmer des gens normaux en train de faire l’amour normalement. Comme les gens normaux se cachent pour faire l’amour, on les filmera de l’extérieur, sans rien voir. D’où le titre : « Sex Box ». C’est une idée simple, mais la simplicité est une idée très importante chez les gens normaux, tout comme la tolérance ou le respect de l’autre. Les ennemis de la pornographie devraient trouver dans ce mélange un certain réconfort moral. Quant aux pervers, j’imagine qu’ils demandent à voir.[access capability= »lire_inedits »] Comme l’émission n’est pas diffusée en France, je me contenterai de résumer, à leur intention, les principales caractéristiques de la sexualité en question.
La première chose qu’il faut savoir, c’est que les gens normaux arrivent toujours par deux, et qu’ils se tiennent la main. Comme il est toujours très difficile de déterminer ce qu’ils font là, sur un plateau, leur simple présence nous procure une impression étrange, presque métaphysique. On se souvient de la question liminaire de Leibniz : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? », question que les programmes télé nous obligent à renverser ainsi : « Pourquoi y a-t-il rien plutôt que quelque chose ? » C’est une question difficile à trancher, et, du fait de leur inconsistance, les gens normaux ne nous aident aucunement à la résoudre. Seule certitude, et déclinée sur tous les tons : les gens normaux refusent d’être pris pour des gens bizarres.
C’est ce qui explique l’extraordinaire variété des candidats, du jeune naïf au chef d’entreprise, du couple de Blancs au couple de Noirs, même s’il paraît logique que le plus attaché à cette idée de norme soit justement le couple de culs-de- jatte venu s’offrir un bon moment dans la boîte hermétique.
Enfin, logique. N’exagérons rien. Une personne normale n’irait jamais faire l’amour sur un plateau, et c’est avec un sentiment de malaise, plus que d’empathie, que nous suivons leurs tortueux raisonnements au moment de justifier leur volonté de participer au programme.
Mais tout s’enchaîne. Un adieu au seuil de la Box, une pause pour la pub, et voici que l’émission atteint son climax : l’interview post coïtum du couple normal.
Car l’idée capitale de l’émission est que, si l’on interroge un couple d’adultes au sortir du lit, leur témoignage sera à la fois vivant et véridique. Les partenaires seront donc prêts à affronter les questions du plateau d’une façon courageuse et réaliste, ce qui ne manquera pas d’avoir un effet positif sur la jeunesse et, partant, sur la société dans son ensemble. C’est ce que les programmateurs appellent, tout fiérots, « a grown-up conversation ».
Et que pensent nos invités au sortir du lit ? Mais rien, bien entendu. De même que cette campagne contre la pornographie reproduit l’exhibitionnisme qu’elle prétend critiquer, cette expérience en laboratoire reproduit le vide intersidéral auquel nous étions censés échapper. Or, le discours des candidats n’est pas moins creux et socialement formaté après l’acte qu’avant. Reste la quête pathétique d’une norme introuvable, aussi fragile que l’humanisme gentillet qui lui sert d’alibi.[/access]
*Photo : Sex Box, Channel 4.
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