Au risque de passer pour cuistre, rappelons que le titre du dernier Letourneur (cf. Enorme, en 2019, Les Coquillettes en 2012) est un clin d’œil blagueur, évidemment, au Viaggio in Italia du grand Rossellini, immortel chef d’œuvre millésimé 1954, avec Ingrid Bergman et George Sanders. Voyage (sans s) en Italie mettait en scène un couple de bourgeois anglais qu’un périple du côté du Vésuve mène au délitement. Beaucoup moins lyrico-tellurique, quoiqu’assez spirituel dans son genre, est ce Voyages en Italie (avec s), cinquième long métrage de l’actrice et cinéaste, co-écrit, celui-ci, avec Laetitia Goffi, et dont le mode décalé est la marque de fabrique.
Soit Sophie et Jean-Fi, un ménage bobo parisien avec enfant qui, pour échapper à la routine, cherche le point de chute où s’évader quatre jours pour pas trop cher, au soleil si possible, en laissant leur mioche à garder. Madrid ? Rome ? Guide du Routard en poche, les voilà parti pour la Sicile, vol direct Orly-Syracuse par le low cost Transavia. Lui, gras du bide, chauve et velu de l’échine à la cheville – dans le rôle, le pape du easy-listening devenu star de cinéma, Philippe Katerine; et la Letourneur elle-même dans celui de Sophie, à qui elle prête et son prénom, et son accorte physionomie.
L’existence est-elle vraiment aussi triviale, contingente, basique ? L’autodérision sera quoiqu’il en soit le carburant comique d’un film plus subtilement fignolé qu’il n’y paraît, exploitant le degré zéro du quotidien comme vecteur d’analyse psychosociale : jalousie éruptive du mari quand l’épouse se fait aider par un beau transalpin dans l’ascension du Stromboli; menstrues malvenues au cœur de l’escapade conjugale; soudaine entorse qui obligera le mari à porter tout du long une attelle au mollet; conciliabules improbables sur la Fiat de location, ou encore sur les désavantages d’un top-case dans le dos du passager d’un scooter; considérations sur la différence entre une paire de grolles taille 39 et une autre taille 39/5; poncifs de Monsieur, déblatérant au sujet des effets du mitage pavillonnaire sur l’écologie, et des mérites de la densification urbaine; rappel mutuel que si, si, si, le volcan « a-une-éruption-toutes-les-vingt-minutes »; célébration duelle du matelas de marque Seely pour ses qualités de confort; vannes idiotes ( « il y a un crash sur Zizijet »)… Et j’en passe.
La platitude délibérée de ces échanges abrite naturellement un « sous-texte » gentiment caustique sur les névroses du temps long sous le même toit, les intermittences du sexe et les éventuelles vertus du changement d’air. Voilà qui ne manque pas d’esprit. Il n’en reste pas moins que Sophie Letourneur renvoie, de l’humaine condition, une image qui n’élève jamais celle-ci deux millimètres au-dessus des pâquerettes. Pour la métaphysique, on repassera.
Voyages en Italie. Film de Sophie Letourneur. Avec Sophie Letourneur et Philippe Katerine. France, 2022. Durée : 1h32. En salles le 29 mars 2023.