Notre pays surabonde en accusateurs.
Les mêmes Français qui ignorent souvent le rôle d’un avocat général en matière criminelle se muent dans leur quotidienneté en des Fouquier-Tinville de mauvais aloi et si la décapitation était envisageable au propre, certains ne s’en contentent même pas au figuré.
J’admets avoir parfois dérivé parce qu’on a du mal à dominer une hostilité de principe mais sans me surestimer j’ai la faiblesse de m’attribuer une qualité sinon de modération du moins d’équité. Cela ne vient pas de rien mais de la manière dont je concevais ma fonction d’accusateur à la cour d’assises de Paris. Représentant de tous les citoyens, je n’aurais pas pu requérir contre un accusé sans prendre en compte à la fois sa parole, sa défense et son argumentation et bien sûr les propos de la victime – ou de sa famille si elle était morte. Je ressentais comme une obligation cette forme d’honnêteté élémentaire qui ne confondait pas la compréhension avec l’absolution, l’explication avec l’exonération.
Exigence de pureté absolue
Les avocats généraux qui pullulent en France n’ont cure de ces précautions, de cet équilibre. Il faut condamner, stigmatiser à tout-va non seulement sur les réseaux sociaux mais partout où on offre l’opportunité à des citoyens de faire connaître leur point de vue, de juger et d’arbitrer. La cause est entendue tout de suite, et une fois pour toutes. La contrition ne sert à rien, l’aveu est méprisé, la sincérité moquée. Le monde politique n’est pas appréhendé comme le nôtre qui trop souvent est tout sauf exemplaire, mais comme une exigence de pureté absolue. Comme si dans notre univers, aussi fondamentaux que soient les devoirs, on pouvait espérer de nos élus, de nos députés, de nos sénateurs une rectitude sans cesse irréprochable, admirable à tout coup.
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Soutenir qu’il convient de se regarder soi avant de hurler, qu’il n’est pas inutile de mettre de la nuance, de tenter d’élucider avant de sanctionner, qu’il est souhaitable de savoir hiérarchiser dans une gamme qui passe du dérisoire au grave, et qu’en définitive c’est moins la morale que la bêtise qui est sommaire et expéditive, relève aujourd’hui d’un courage suicidaire.
Adrien Quatennens n’a aucune excuse : une gifle il y a un an, et il doit tout perdre… Il s’est retiré de la coordination de LFI mais député c’est encore trop ! La horde des anges que nous sommes tous se rue sur le démon qu’il a été et la moindre circonstance atténuante est perçue telle une offense intolérable à son épouse – malgré la retenue et la modération de cette dernière qui est tout de même la principale intéressée ! Une enquête a été ordonnée.
Jeu de massacre
LFI épouvantablement mal à l’aise va permettre à l’un des meilleurs du groupe, sinon le meilleur, de demeurer à l’Assemblée nationale. Mais sans parler. C’est absurde alors qu’il y avait place à la fois pour une dénonciation de son geste et de son attitude dans une période de crise conjugale mais aussi d’une relativisation en faveur d’un homme qui n’était pas auteur de violences systématiques. Sandrine Rousseau, sur France 5, pour accabler Julien Bayou, affirme avoir reçu son ex-compagne tellement traumatisée qu’elle aurait tenté de se suicider. A-t-elle demandé à cette dernière le droit d’exposer ainsi sa souffrance et la résolution qu’elle avait prise ? Toujours est-il que Julien Bayou, lui aussi, s’est mis en retrait de la coprésidence du groupe écologiste…
Quel massacre ! À ce rythme, à droite comme à gauche, il n’y aura plus d’innocents…
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Le simple fait d’avoir mis « si c’est vrai » dans un tweet dénonçant le fait que le couple Macron n’aurait pas pris le bus réservé aux chefs d’Etat m’a valu, pour cette prudence, des insultes de ses ennemis et des diatribes de ses partisans. L’honnêteté est étrangère à ces procureurs sans titre. La chasse à Patrick Poivre d’Arvor est menée depuis longtemps maintenant et même s’il est défendu par une remarquable avocate, Jacqueline Laffont, sa cause semble bien mal engagée.
La prescription aujourd’hui ne sert plus à justifier l’absence de poursuite mais à accabler encore davantage la personne soupçonnée. À défaut de pouvoir démontrer qu’elle est coupable, on lui reproche de vous interdire de démontrer qu’elle l’est.
L’emprise à toutes les sauces
Par exemple, quand l’une des femmes, au sujet de sa relation avec PPDA, déclare qu’elle a eu « honte de n’avoir pas su résister », on ne s’interroge pas alors sur la capacité de l’auteur présumé à avoir pu deviner l’absence de consentement. On met la notion d’emprise à toutes les sauces. Elle apparaît de plus en plus comme le substitut à une argumentation à charge défaillante et une vision mécanique des rapports de subordination.
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Qu’on m’entende bien : je n’éprouve pas la moindre indulgence pour les violeurs et les agresseurs sexuels. Mais il me paraît d’autant plus nécessaire de rappeler ces évidences que les multiples victimes – souvent qualifiées ainsi avant la moindre investigation – bénéficient médiatiquement d’une forte présence, d’une aura de principe, d’une compassion automatique et d’un préjugé forcément favorable. Ainsi Hélène Devynck pour son livre Impunité.
Je pourrais prendre encore beaucoup d’exemples de cette propension française, depuis quelques années, à jouer les avocats généraux en considérant qu’on n’a pas le droit de contredire, voire d’infléchir, d’amender ou de nuancer une stigmatisation précipitée, tellement intolérante qu’elle ne supporte pas l’ombre d’une réserve. Cette cohorte de médiocres accusateurs est évidemment, la plupart du temps, caractérisée par une pauvreté du langage et donc de la pensée. Si seulement tous ces Fouquier-Tinville du pauvre, au lieu de banaliser la charge obtuse et haineuse, allaient écouter dans les cours d’assises les authentiques et légitimes avocats généraux ! Ils y gagneraient, et nous aussi.
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