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Voulez-vous coacher avec moi ?


Voulez-vous coacher avec moi ?

lafayette

Je ne sais pas si vous avez la même impression, mais je trouve qu’on ne se marre pas tous les jours. Tremblement de terre, burqa, salaires déments, ouvriers licenciés, salariés suicidés : l’actualité que je suis amenée à commenter, par choix il est vrai, pèse souvent des tonnes. Hier, alors que je me triturais les méninges pour trouver un sujet de chronique pour RTL, tous ceux qui se présentaient à mon esprit me donnaient envie de fuir à toutes jambes. Il y a des jours comme ça.

Grâces soient donc rendues à mon ami Dominique Quessada qui m’a aimablement fourni le point de départ de la chronique – et de ce texte. Un sujet pour filles, puisque je veux vous entretenir chiffons et fièvre acheteuse. Et en plus, pour une fois, ce n’est pas du jus de crâne mais le fruit d’une véritable enquête de terrain.

Dominique m’informe donc de l’existence, aux Galeries Farfouillettes, d’un service appelé « personal shopper », ce qui en bon français signifie « acheteur personnalisé ». Rassurez-vous, il s’adresse aux fashion victims (c’est-à-dire aux victimes de la pub et du marketing) des deux sexes. Depuis que les hommes sont des femmes comme les autres, l’égalité devant la fanfreluche est une réalité.

Seulement, tout le monde le sait : acheter, c’est pas donné à tout le monde. Le grand magasin que le monde entier nous envie propose donc de vous accompagner dans ce parcours. Le « personal shopper » est donc un genre de coach en achat, des fois que vous ne seriez pas assez dégourdi pour claquer vos sous tout seul.

Au téléphone, une dame me fournit des informations sans chaleur excessive. Sa voix un peu pète-sec évoque plus une tenancière de maison chic dans les années 1940 qu’une wonder woman 2010 : on l’imagine surmontée d’un chignon et moulée dans une robe plus austère que sexy. Allez savoir pourquoi je la baptise (silencieusement) Madame Olga. Le conseiller qui vous reçoit dans un salon privé, m’explique-t-elle, doit d’abord « identifier vos besoins » – très important l’identification des besoins et, bien sûr, au cas où l’identification se révèlerait impossible, il faudra se résoudre à en créer. Par exemple, avez-vous besoin de renouveler votre garde-robe. Ben oui, vous savez, j’ai rien à me mettre. Deuxio : avez-vous le budget pour ça ? Aucun problème, je suis prête à laisser sur la table quelques mois de salaires pour me procurer les colifichets arborés par les people dont le magazine Elle m’apprend chaque semaine que je ne saurais me passer sous aucun prétexte.

Une fois identifiés besoin et budget, votre shoppeur personnel va piétiner pour vous et vous apporter tout ce que vous vouliez sans le savoir. J’interroge Olga (depuis qu’on parle fringues, elle et moi, on est devenues intimes). Et ça coûte combien ? Ce service est gratuit, précise-t-elle, mais avec un objectif d’achat. J’insiste. « Et si je ne trouve pas mon bonheur ? » Là, j’ai l’impression qu’elle va me raccrocher au nez. « Chez nous, c’est presque impossible ! » « D’accord, mais si l’inconcevable se produisait ? » Soupir agacé. « Vous comprenez, si on vous consacre deux heures de notre temps… » Oui, je comprends que si je pars sans rien acheter, les égards prodigués à ma petite personne cèderont la place à des regards courroucés et vaguement méprisants. « Enfin, bien sûr, il n’y a pas d’obligation », lâche Olga à contrecœur.

Je vous l’accorde volontiers, tout cela est assez dérisoire. Et pourtant symptomatique. Nous avons à peu près renoncé à apprendre le beau français aux enfants – je caricature mais à peine. On nous serine du matin au soir que la culture générale est discriminatoire et qu’il faut privilégier la motivation et le parcours plutôt que les connaissances. On invente des carottes pédagogico-financières pour inciter nos chers bambins à se rendre à l’école. Bref, comme le dit Marcel Gauchet, la libido sciendi, le plaisir d’apprendre, se fait rare – et celui d’enseigner aussi. On imagine donc que nos antiques professeurs cèderont bientôt la place à des coachs. Un coach d’histoire-géo ça le fait non ?

Des coachs, il y en a pour tout : pour nous apprendre à manger comme il faut, à bien dormir, à avoir de jolies fesses, à ne pas nous disputer avec nos patrons et petits camarades – celui-là, je devrais peut-être le consulter. Et donc, aux Farfouillettes, on vous apprend à acheter, ce qui revient presque à vous apprendre à vivre. Soyez de bons consommateurs, le reste suivra.

On pourrait appeler ça la consommation assistée. Ne soyons pas injuste, il y a peut-être là un gisement d’emplois de demain. On créera des cellules d’aide psychologique pour les malheureuses qui n’ont pas trouvé en soldes leur 27e paire de bottines (et c’est du vécu), des groupes de paroles pour celles qui ne rentrent pas dans le slim taille 36 conquis de haute lutte sur une rivale. On offrira des cures de remise à niveau à tous ceux que les aléas de la vie ont empêché de devenir de bons consommateurs, à condition, bien sûr, qu’ils aient manifesté leur motivation en s’enrichissant. Acheter, ça se mérite.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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