Le vote obligatoire?


Le vote obligatoire?

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On parle un peu, de nouveau, du vote obligatoire, ces temps-ci. Il est vrai que le score du Front National, accompagné d’une abstention quand même inquiétante malgré un léger rebond de participation, pousse à trouver des solutions, plus ou moins désespérées pour contrer la pourtant résistible ascension d’un parti qui manifestement se nourrit de la faiblesse de tous les autres.

Précisons d’abord deux ou trois choses. Je vois, à droite comme à gauche, depuis dimanche soir, une propension détestable à la relativisation du score de Marine Le Pen. Avec une foultitude de faux arguments qui donnent surtout la sensation qu’on voudrait bien casser le thermomètre pour  oublier que le maladea la fièvre. On aura beau m’expliquer que son nombre de voix est inférieur à celui des élections de 2012, que la forte abstention, justement, fausse les résultats, que les médias lui ont servi plus ou moins consciemment la soupe, le résultat est là. Pour la première fois de notre histoire, un parti d’extrême droite est arrivé en tête de tous les suffrages exprimés. Et jusqu’à preuve du contraire, c’est tout de même celui qui le dimanche aura décidé de se lever, d’aller à son bureau de vote et de mettre un bulletin dans l’urne, c’est-à-dire de s’exprimer, précisément, qui fait preuve d’une motivation plus grande que celui qui s’abstient. On aura beau me montrer des camemberts, des graphiques, des tableaux m’expliquant que le FN, le 25 mai au soir, n’a rassemblé que 11% des inscrits, il faudrait alors aussi commenter les 9% de l’UMP, les 6% du PS, les 4% de l’UDI-Modem et les 3% du Front de Gauche. Autant dire se tirer une balle dans le pied. Par exemple,  commenter aussi le fait que le parti du président est à 6%, que son opposition républicaine est à 13% (en additionnant UMP et centristes, ce qui est loin d’être évident). Moi je trouve que ça rend la victoire du FN encore plus éclatante, par contraste.

Alors, le vote obligatoire comme sursaut démocratique ? J’ai longtemps été pour sans hésitation et je l’ai  déjà dit ici .

L’abstentionniste me fait un peu le même effet que celui qui jadis échappait au service militaire par une réforme de complaisance. J’ai toujours considéré qu’être le citoyen d’une démocratie aussi imparfaite soit-elle donnait des droits autant que des devoirs et même si cela n’est pas inscrit dans la loi, que le droit de vote était aussi un devoir politique et moral. Comme nous disaient nos grands-parents ou nos professeurs d’instruction civique et même si cela paraît nœud-nœud aujourd’hui, il y a quand même pas mal de gens qui se sont fait trouer la peau pour ça.

Je mets à part, chez les abstentionnistes, ceux qui le font au nom d’une idéologie claire. Les anars, par exemple, qui vous disent que si les élections servaient à quelque chose, on les aurait supprimées depuis longtemps. Même remarque d’ailleurs, à propos du service militaire, quand celui qui ne voulait pas le faire au nom de l’objection de conscience se prenait vingt quatre mois de service civil. Pour ces élections européennes, par exemple, il y a eu une abstention politiquement revendiquée de la part du M’Pep, organisation à la périphérie du Front de gauche, qui a mené une campagne de boycott du scrutin, non sans une certaine logique puisque son programme se fonde sur une sortie unilatérale de l’Union Européenne et de l’euro. On aurait d’ailleurs aimé que le FN, DLR ou d’autres groupuscules souverainistes suivent cette même logique : à quoi sert de concourir pour une compétition dont on refuse le principe même ?

Mais là, je dois avouer que dans un premier temps, j’ai eu un instant de recul sur cette question du vote obligatoire. Rendre le vote obligatoire, c’est à dire forcer l’abstentionniste à se déranger sous peine d’amende, dans une France au bord de la crise de nerfs, il y a de fortes chances que cela ait d’abord profité au FN. Devant le spectacle donné par un monde politique secoué par les affaires et tentant de masquer désespérément son absence de prise sur le cours des évènements, son incapacité à être autre chose que le syndic de notre déclin et se contentant de jouer l’assistante plus ou moins sociale des dégâts provoqués par le néo-libéralisme, comment ne pas imaginer que le vote rendu contraignant par ce même monde politique ne fasse pas le miel de Marine Le Pen, qui tout en gardant son vieux fond de sauce nationaliste a triangulé cyniquement le programme économique et social du Front de gauche.

Mais, au bout du compte,  je reste partisan du vote obligatoire. Paradoxalement, c’est lui qui mettrait chaque citoyen face à ses responsabilités, c’est lui qui forcerait chaque parti « de gouvernement » à préciser ses intentions puisqu’il ne pourrait plus miser sur la lassitude de l’électeur, puisque chaque candidat saurait devoir faire face à tous les citoyens et non pas à une minorité de gens qui se sentent encore inclus alors que les classes populaires notamment se sont depuis longtemps auto-exclues, ce qui est bien pratique.

Alors oui, finalement oui, le vote obligatoire. Même si cela devait encore donner dix ou quinze points de plus au FN. Parce que la démocratie, ce n’est pas seulement ce qui nous arrange.

*Photo:  POL EMILE / SIPA/SIPA.00684440_000007



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