Accueil Édition Abonné « Au pays de Voltaire, beaucoup de musulmans pensent comme Bossuet »

« Au pays de Voltaire, beaucoup de musulmans pensent comme Bossuet »


« Au pays de Voltaire, beaucoup de musulmans pensent comme Bossuet »
Professeur de lettres et essayiste, Hélé Béji est l’auteur d’Islam Pride. Derrière le voile (Gallimard, 2011). Crédit photo : Hannah Assouline

Causeur. Vous qui êtes française et tunisienne, avez-vous grandi en Tunisie dans un contexte de choc des cultures ?

Hélé Béji[tooltips content=’Hélé Béji, agrégée de Lettres modernes, fondatrice du Collège international de Tunis, auteur entre autres de Désenchantement national, essai sur la décolonisation (Maspéro, 1982), L’œil du jour, roman (Maurice Nadeau, 1985), L’Imposture Culturelle (Stock, 1997) Nous, décolonisés (Arléa, 2008) Islam Pride (Derrière le voile), (Paris, Gallimard, 2011)’]1[/tooltips]. Ma mère, chrétienne, était profondément anticléricale, et mon père, musulman, profondément anticonformiste. J’ai donc été formée dans la grande tradition humaniste de la coexistence des Arabes, des chrétiens, des musulmans, des Italiens, des Corses, des Maltais. Ce n’était pas un monde indifférencié, mais un monde où il y avait une « manière d’être au monde » qui n’accordait pas autant d’importance à la différence culturelle.

Est-ce que ce n’est pas un peu une réécriture, comme ce qu’on nous raconte sur l’Andalousie, que tout le monde s’aimait, etc. ?

Non, parce que c’était vécu comme ça au quotidien. À l’école, je ne savais pas qui était juif ! Il y avait probablement le « racisme des petites différences », mais ça n’entachait pas l’amitié. On avait dépassé tout ça parce qu’on avait lutté contre le racisme et le colonialisme. Plus tard on a découvert que l’anticolonialisme pouvait aussi produire de nouvelles formes de chauvinisme et de discrimination. Dans Le Désenchantement national, Nous, décolonisés et Islam Pride, j’ai montré comment les décolonisés avaient échoué à accomplir l’humanisme au nom duquel ils s’étaient battus. Persuadés de porter en nous cet idéal, nous étions « progressistes ». Mais nous n’avons pas tenu nos promesses. D’où ma critique ultérieure du progressisme….

Cette volonté d’ignorer les différences culturelles ne vous a-t-elle pas rendus inaptes à comprendre votre propre société, travaillée par l’islamisme ?

Bourguiba avait choisi la voie de l’occidentalisation et de la sécularisation par l’État national. Le symbole le plus éclatant, c’était l’égalité hommes-femmes, la promulgation du Code du statut personnel en 1956, avant la Constitution de 1959. Bourguiba savait que la religion serait un danger. C’est pourquoi il a engagé très vite la séparation du politique et du religieux.

Ce qui signifie que lui savait bien qu’elle existait, cette différence culturelle, et qu’il y a toujours un moment où elle ressort !

Ce n’était pas une question de différence culturelle mais de conflit entre savoir et religion. Les modernistes tunisiens croyaient aux Lumières et pensaient que le progrès intellectuel irait de pair avec le recul du religieux. Il fallait sortir de l’ignorance : l’école était le lieu du jihad laïque ! Bourguiba enfant du peuple s’est élevé par les études. Il était sûr de régler la question religieuse par l’instruction publique à la française.

Si l’on en juge par le nombre de djihadistes et le regain de religiosité, cette occidentalisation par le haut n’a révolutionné la Tunisie qu’en surface…

Pas seulement. La Révolution de 2011 fut populaire, non religieuse et pacifique. Et la nouvelle Constitution a décrété l’État

Juin 2017 - #47

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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