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Voltaire for ever

Voltaire est peut-être la première célébrité littéraire...


Voltaire for ever
Voltaire assis, statue du sculpteur Jean-Antoine Houdon, 1781 © ipa

Alors que les Français ont déboulonné la statue de Voltaire et tardent à la remettre sur son socle, les Britanniques lui ont édifié un monument mirifique. La Voltaire Foundation d’Oxford vient d’achever l’édition de son œuvre complète en 205 volumes, sous la direction de l’enthousiasmant Nicholas Cronk.


Après trois longues années d’absence, la statue vandalisée de Voltaire, square Honoré-Champion à Paris, à deux pas de l’Académie française, s’apprête à retrouver son socle, du moins une copie, avant la fonte d’une version en bronze de l’œuvre de Drivier. Tel est désormais le projet défendu par l’association Le Retour de Voltaire qui, fort du soutien de Causeur et d’une pétition rassemblant près de 5 000 signataires, a déjà pu faire sortir le philosophe de sa réserve. Ce n’est pas la première fois que la figure de l’auteur (1694-1778) mobilise les Parisiens et ses admirateurs à travers le monde.

Nicholas Cronk, directeur de la prestigieuse Voltaire Foundation, nous reçoit dans cet îlot francophone au sein de l’université d’Oxford. Il évoque la valse des statues de Voltaire et nous parle du colosse éditorial que constituent ses écrits. Comme il est dit dans Candide, tout est au mieux dans ce monde !


Causeur. Que vous inspire l’affaire de la statue de Voltaire, square Honoré-Champion ?

Nicholas Cronk. Voltaire est le premier auteur auquel on érige une statue de son vivant. C’est sans précédent au XVIIIe siècle. Il a presque 80 ans quand Mme Necker, épouse du ministre de Louis XVI, lance une souscription. Les monarques participent, Frédéric de Prusse, Catherine de Russie. Rousseau verse une petite somme que Voltaire s’attache à lui faire renvoyer. On sollicite Jean-Baptiste Pigalle qui envisage quelque chose de moderne. Il sculpte Voltaire nu ! « De quoi s’est avisé Pigalle de me sculpter en Vénus », écrit Voltaire. La statue est au Louvre. Bien qu’écrivain contestataire, Voltaire a fait carrière dans les institutions de l’Ancien Régime : Comédie-Française et Académie. Sa pièce, Œdipe, premier texte signé Voltaire, est donnée à la Comédie-Française. Il n’a que 24 ans et sera joué au Français toute sa vie. Deux mois avant sa mort, on joue sa tragédie Irène. Il est dans la salle. À la fin de la pièce, on porte son buste sur scène et on le couronne. Voltaire était fier d’être académicien ; remettre sa statue square Honoré-Champion, à côté de l’Académie française, a une certaine logique.

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La statue de Drivier n’est pas la plus belle effigie de Voltaire…

C’est Houdon, sculpteur majeur du XVIIIe, qui crée l’image de Voltaire. Son buste était la pièce qui se vendait le mieux dans son atelier. Des copies étaient réalisées par des adjoints. Là, en haut de la bibliothèque, vous voyez un exemplaire signé Houdon, ça vaut une fortune. Je le mets à côté du ventilateur, comme ça personne n’a l’idée de le voler ! On doit aussi à Houdon le Voltaire assis qui se trouve à la Comédie-Française. Il en sera fait plus tard une copie en bronze.

En 1867, le journal Le Siècle lance une souscription pour financer une statue de Voltaire. En un mois, 15 000 donateurs se manifestent – il y en aura au total 200 000. Les dons sont plafonnés, car l’idée est de faire une statue populaire. Les souscripteurs peuvent indiquer leur profession. L’historien Stephen Bird rapporte que le groupe le plus conséquent, de loin, ce sont les ouvriers. C’est un mouvement populaire fantastique ! Cette statue sera fondue sous l’Occupation. Dans l’entre-deux-guerres, il y avait en France trois sculptures en bronze de Voltaire : le Voltaire assis financé par les lecteurs du Siècle, la sculpture de Joseph-Michel Caillé, quai Malaquais (plus majestueuse que celle du square Honoré-Champion) et une troisième à Saint-Claude où Voltaire avait fait campagne pour libérer les serfs du mont Jura. Les trois ont disparu pendant la Seconde Guerre mondiale.

Parmi les représentations de Voltaire, peintures et sculptures, lesquelles évoquent le mieux le personnage ?

Voltaire est peut-être la première célébrité littéraire. Il est connu partout en Europe. Les gravures, les sculptures, tout cela fait partie d’une véritable machine publicitaire. Voltaire contrôle son image. Jean Huber, peintre et silhouettiste, réalise des tableaux qui illustrent le quotidien du patriarche de Ferney. Il peint Voltaire parlant aux paysans, dressant un cheval… mais aussi Le Lever de Voltaire, où on le voit enfilant son pantalon en même temps qu’il dicte un texte à son secrétaire. Huber n’aurait pas pu faire ça sans l’autorisation de Voltaire. Il travaille sous ses ordres ! Certaines de ces images sont gravées, et par ce biais, reproduites à l’infini !

Sacha Guitry a écrit : « Si vous essayez de supprimer Voltaire – ne fût-ce qu’un instant – l’histoire de la France devient inracontable. »

C’est beau, ça ! Il faut rappeler que Voltaire est aussi le premier auteur panthéonisé, en 1791. C’est une grande fête : une procession, le cercueil passe dans les rues, s’arrête devant les théâtres, il y a de la musique, les gens font des déclamations… La Révolution adorait ces fêtes publiques. On fait alors de Voltaire l’intellectuel de la Révolution. Il devient bizarrement un « homme de gauche ». Pourtant Voltaire était monarchiste. Il a chanté la gloire d’Henri IV dans La Henriade, poème épique, et la gloire de Louis XIV dans Le Siècle de Louis XIV, véritable chef-d’œuvre, très original dans sa construction. C’est d’ailleurs lui qui crée l’expression « le siècle de Louis XIV ».

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Au XIXe siècle, Voltaire représente l’auteur engagé. Hugo écrivant contre la peine capitale se situe dans sa lignée. Quand Zola défend Dreyfus, on fait référence à l’affaire Calas. Et cela continue dans les années 1960 : il est question d’arrêter Sartre et de Gaulle dit : « On n’arrête pas Voltaire. » Voltaire est le modèle de l’écrivain qui entre dans l’arène politique. Il y a une pièce amusante de Labiche qui s’intitule Brûlons Voltaire ! Ça se passe près d’Avignon, une aristocrate veut vendre sa maison, mais il y a dans sa bibliothèque l’œuvre complète de Voltaire. Peut-on vendre la maison avec Voltaire ou faut-il brûler l’édition ? Fin XIXe, dans la province un peu dévote, le nom de Voltaire est sulfureux.

Adam Smith voit en lui « un génie universel », Baudelaire « un prêcheur pour concierge ». Où est la vérité ?

Voltaire n’est pas un poète au sens où Baudelaire l’entend. Peut-être parce qu’il était dans l’arène publique. Pour Baudelaire, ce n’est plus de l’art pour l’art. En parlant de « génie universel », Adam Smith admire, au XVIIIe siècle, ce Voltaire qui se frotte à tous les genres. Une cinquantaine de pièces de théâtre, tragédies et comédies, des livrets d’opéra mis en musique par Rameau, des contes, des travaux d’historien. Il écrit en vers, en prose. On oublie qu’au XVIIIe siècle on peut s’exprimer sur des choses sérieuses en vers. Il évoque ainsi le tremblement de terre de Lisbonne dans Candide mais avant cela, il écrit sur cette catastrophe un poème traduit dans toutes les langues !

Qui est Theodore Besterman ?

Il est le créateur de la Voltaire Foundation. Il prétendait être né à Bradford, ville industrielle anglaise. En réalité il est né en 1904 à Lódz (Pologne), il était le fils d’un diamantaire juif. Besterman est un autodidacte extrêmement érudit, polyglotte et bibliographe. Il aimait les grands projets. Réunir la correspondance de Voltaire, l’une des plus belles correspondances de la littérature occidentale, en était un. Voltaire a des milliers d’interlocuteurs épistolaires, Frédéric de Prusse, Catherine de Russie, d’Alembert, Condorcet, la marquise du Deffand, la duchesse de Choiseul… C’est un chef-d’œuvre, une écriture fine, spirituelle. Besterman achète « Les Délices », propriété genevoise où habita Voltaire avant de s’établir à Ferney, et y crée l’Institut Voltaire, en 1952. Il se nomme directeur et offre la maison à la ville de Genève, tout en continuant à y vivre. Il vit dans la maison où a été écrit Candide, il dort dans le lit de Voltaire ! En 1965, il publie la correspondance, ouvrage majestueux en 107 volumes, sur très beau papier.

En 1967, deux voltairiens, professeurs de littérature française à Londres, Owen Taylor et William Barber, proposent à Besterman de financer une édition académique de l’œuvre complète de Voltaire. Cela existait pour Diderot, Rousseau, Montesquieu. Mais l’œuvre de Voltaire est si considérable que personne ne l’avait jamais fait. Puis Besterman, rattrapé par des démêlés judiciaires, quitte Genève et installe la Fondation Voltaire en Angleterre, après l’avoir proposée à la Sorbonne qui refuse de l’accueillir !

Besterman en a toujours voulu aux Français d’avoir décliné son offre. Il meurt en 1976, non sans avoir légué la Fondation à l’université d’Oxford, avec une somme d’argent pour poursuivre l’édition de l’œuvre complète. La troisième épouse de Besterman intente un procès à Oxford pour récupérer l’argent, freinant le projet. Il redémarre sous l’égide du premier directeur de la Fondation qui sera suspendu en 1997, après des années chaotiques. Je suis arrivé à ce moment-là. L’édition des œuvres complètes de Voltaire s’est achevée au printemps 2022. Cela aura pris cinquante-cinq ans et la collaboration de spécialistes du monde entier. Nous avons désormais une édition critique de l’ensemble de l’œuvre de Voltaire en 205 volumes.

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Contient-elle des découvertes majeures ?

Le plus surprenant a été la reconstitution des œuvres qui avaient été démantelées pour l’édition complète précédente, dite « édition de Kehl », financée par Beaumarchais et publiée en 1784-1785 sous la direction scientifique de Condorcet. C’est un monument d’édition, mais qui ne répond pas aux normes de l’édition moderne. Par exemple, lorsqu’il y avait des redites entre plusieurs œuvres, ils les coupaient. Il a fallu effectuer un travail d’archéologie, reprendre l’histoire de chacune des 2 000 œuvres à partir de la première version. Une découverte dont je suis fier est Questions sur l’Encyclopédie. C’est un dictionnaire avec des articles sur tous les sujets, sérieux, fantaisistes, bizarres, parfois obscènes. Voltaire le publie entre 1770 et 1772, en sept volumes. C’est un résumé de sa pensée, il y discute aussi politique, justice. Ce best-seller, encore lu sous la Révolution, disparaît dans l’édition de Kehl qui fusionne l’ensemble des œuvres alphabétiques. Nous avons donc reconstitué le livre publié par Voltaire et on découvre un chef-d’œuvre.

Nicholas Cronk. D.R

On peut faire des objections aux éditions savantes, ça coûte cher, ça ne se vend pas à la FNAC, ça n’intéresse pas le grand public… Mais ces Questions sur l’Encyclopédie, je savais que c’était un texte qu’il fallait faire connaître. Pour cela, on a signé avec la collection Bouquins. Ce qui correspond à sept volumes dans notre édition critique entre en un seul volume chez Bouquins ! Autre exemple : à la fin de sa vie, Voltaire a écrit une autobiographie, Commentaire sur la vie de l’auteur de la Henriade. Le texte décrit d’abord Voltaire à la troisième personne. Puis viennent une trentaine de lettres, les « Lettres véritables », présentées comme des pièces justificatives et authentifiées, qui chantent les louanges d’un Voltaire bienveillant, généreux, intelligent, tolérant ! Ça se termine par un poème allégorique sur Louis XVI. Qu’ont fait les éditeurs de Kehl devant ce mélange des genres (prose, lettres, poésie) ? Ils ont démantelé le livre, rangé les lettres dans un volume de correspondances et le poème avec la poésie.

Dans ses Lettres philosophiques, Voltaire rend hommage à l’Angleterre et à ses penseurs. L’Angleterre le lui rend bien aujourd’hui.

C’est exact. Mais les Lettres philosophiques n’existaient pas dans l’édition de Kehl alors que c’est un texte clé ! Les lettres sur Locke, Milton, Newton, etc., étaient éparpillées dans un Dictionnaire philosophique.

Voltaire popularise également le pommier de Newton…

Il entend cette histoire de la nièce de Newton, pendant son séjour en Angleterre. Il la rapporte dans trois de ses livres. Et l’anecdote prend. La pomme qui tombe devient le symbole de la gravitation. C’est typique du génie de Voltaire qui savait transmettre une idée complexe avec une image familière. Il était très vivant. Finalement, je me demande si on ne pourrait pas mettre quelque chose de plus moderne square Honoré-Champion… Peut-être une projection en vidéo d’un texte sur la tolérance, ou d’un passage de Candide ! Comme pour Le Bateau ivre, inscrit sur un mur de la rue Férou. Voltaire était toujours en mouvement. Faut-il le statufier ?

Été 2023 – Causeur #114

Article extrait du Magazine Causeur




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est journaliste

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