Émoustillé par le dernier numéro de l’hebdomadaire Marianne, qui consacre un dossier très complet à la laïcité et aux menaces qui pèsent sur ce pilier essentiel de la République, notre chroniqueur résume pour nous les données du problème, entre les projets de charia des Fréristes, les retournements de veste de la gauche, la défense (récente) de la laïcité par la droite, et la responsabilité écrasante des pédagogues, prêts à toutes les compromissions pour acheter la paix scolaire — et, à terme, la déroute civile.
L’actualité récente est sombre, comme d’habitude. À Paris, le proviseur du lycée Maurice-Ravel, dans le XXe arrondissement, est menacé par une élève de BTS qui entendait entrer dans l’établissement avec son voile — en infraction avec la loi de 2004.
Récapitulons. La première affaire de voile remonte à octobre 1989, à Creil, lorsque deux collégiennes prétendirent entrer voilées dans leur établissement scolaire. Lionel Jospin, expert en atermoiements, au lieu de prendre dans l’instant un décret interdisant l’entrisme de la superstition à l’école, passa la patate chaude au Conseil d’État, qui prit son temps. Ce n’est qu’en 2004, devant les témoignages concordants et accablants, que la Commission Stasi accoucha de ce qui allait devenir la loi, interdisant dans les écoles, les collèges et les lycées publics le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement leur appartenance religieuse.
Le principal fiasco de la carrière politique de Jospin
Dans ces mêmes années de valse-hésitation, Terra Nova, le « think tank » de la gauche intelligente, accoucha d’une idée lumineuse : puisque la classe ouvrière, échaudée par 14 ans de politique mitterrandienne, s’en allait chez Le Pen, il fallait trouver un nouveau prolétariat, de nouveaux damnés de la terre.
Rappelez-vous l’élection présidentielle de 2002. Tout le monde pensait que le second tour verrait s’affronter Jospin et Chirac. L’hypothèse Le Pen n’était pas évoquée, même chez les bookmakers les plus fous. Jospin, sommé par l’ex-Premier ministre Pierre Maurois de « s’adresser au peuple », refusa en expliquant que le peuple nouveau qu’il guignait n’était pas constitué par les ouvriers d’une industrie désormais défunte. Et cet homme qui avait froidement proclamé, quelques années auparavant, « que voulez-vous que ça me fasse, si la France s’islamise », fut envoyé à la retraite d’office.
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C’est le grand tournant. La gauche, et plus encore l’extrême-gauche, allaitées des décennies durant à la laïcité intransigeante de Jaurès et du petit père Combes, mangeait son chapeau et soutenait désormais le communautarisme. Notez que le projet s’était mis en place, comme le souligne dans le dernier numéro de Marianne, sous Mitterrand — qui est vraiment l’homme qui a le mieux détruit la France. Comme l’explique fort bien Hadrien Mathoux dans Marianne, « dans les années 1980 le pouvoir mitterrandien troque le modèle assimilationniste pour un « droit à la différence » lénifiant qui pave la voie à toutes les revendications communautaires, souvent accueillies avec bienveillance dans les collectivités gérées par les socialistes. » On se souvient que c’est pour protester contre ces petits arrangements mortifères que Céline Pina, après vingt ans de militantisme au PS, adjointe au maire de Jouy-le-Moutier, conseillère régionale d’Île-de-France, suppléante du député socialiste Dominique Lefebvre, a rejoint ce qu’il restait d’intelligence, à Front populaire d’abord et à Causeur ensuite — ce qui lui vaut, comme à moi, d’être traitée d’extrémiste de droite par les petits roquets de l’islamisation rampante.
On assiste dans ces années 2000-2020 au grand retournement idéologique. Comme dans 1984, où « l’ignorance, c’est la force », la gauche s’empare de l’indigénisme, de l’antisémitisme, de la « pensée décoloniale », de l’intersectionnalité des luttes (qui amène les féministes à défendre le voile islamique, symbole d’infériorité des femmes) et autres billevesées cautionnées par d’ardents universitaires qui se cooptent joyeusement entre eux pour mieux descendre le niveau de la recherche en France, et les prétendus héritiers de Jaurès abandonnent le drapeau de la laïcité, ajoute Mathoux. Cette mutation radicale amène nos nouveaux indigénistes à glorifier les États-Unis, jadis grand Satan de la gauche — rappelez-vous, les « US go home » peints sur les murs dans les années 1960. Mais le communautarisme anglo-saxon séduit tous ceux qui haïssent la laïcité.
Choisis ton camp, camarade
L’intelligence a changé de camp. En 1997, Michel Winock avait publié Le Siècle des intellectuels, où il passait en revue tous les noms de l’engagement, de Romain Rolland à Sartre. On pense ce que l’on veut des Temps modernes, revue-phare de ce bouillonnement intellectuel, mais le talent et la matière grise — même dévoyée en des combats douteux — n’y manquaient pas. Et « intellectuel de gauche », à de très rares exceptions près, sonna pendant un siècle comme un pléonasme.
Aujourd’hui, qui se targue d’être un intellectuel de gauche ? L’intelligence est passée à droite — laquelle défend désormais la laïcité, dernier rempart contre l’islamisation. Qu’en aurait pensé Charles Maurras ?
Le spectre politique s’est déplacé de 180°. Défendre le communautarisme, souhaiter une France éclatée façon puzzle, noyer la Constitution dans la charia comme l’Angleterre : dans un article tout récent du Figaro, François-Joseph Schichan explique froidement que les islamistes sont au pouvoir au Royaume-Uni.
Méfiez-vous cependant, pauvres cloches de gauche qui sonnent creux : les islamistes, une fois élus, s’assoient sur les bobos wokistes qui leur ont permis d’accéder au pouvoir. À Hamtramck, dans la banlieue de Detroit, les gogos féministes et LGBT ont puissamment contribué à l’élection d’une municipalité islamiste. Résultat, il n’y a plus de femmes au conseil municipal, et le drapeau LGBT est partout interdit. On n’empale pas encore, mais le cœur y est.
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C’est que nos progressistes (entendez, dans le contexte de mots à l’envers qui est le nôtre, ceux qui sont partisans du grand retour en arrière, et échangent les Lumières pour une obscurité totale) ignorent apparemment ce qu’est la taqiya : il est permis de mentir à un gentil pour le rouler dans la farine.
La passivité du monde enseignant
Les enseignants ont une responsabilité passive dans cette déroute. Après tout, ce sont leurs élèves qui à 43% des 18-30 ans sont favorables au port d’insignes religieux, et qui à 75%, dans la même tranche d’âge, considèrent qu’il faut respecter les religions pour ne pas offenser les croyants : bientôt le grand retour du délit de blasphème ! Ces mêmes enseignants tolèrent qu’en classe, les garçons se tiennent loin des filles, de peur d’être souillés par ces créatures impures. Ils contournent les cours sur la Shoah, évitent d’évoquer la traite saharienne, négligent Darwin, écoutent patiemment les crétins qui expliquent que la Terre est plate, et admettent que les filles se dispensent massivement de sport en général et de piscine en particulier.
Et quand ils ne s’opposent pas carrément aux directions qui conformément aux instructions ministérielles interdisent le port de l’abaya, ils se battent aujourd’hui pour qu’un imam expulsé de France revienne dans notre pays toucher ses allocations.
Il est temps qu’on ne recrute plus que des postulants qui auront fait le serment de défendre et d’enseigner la laïcité, qui confinent les croyances religieuses dans la vie privée et interdisent leur exportation dans la sphère publique, particulièrement dans ces lieux réservés au Savoir que sont les établissements scolaires — au Savoir et pas aux superstitions héritées d’un chamelier frappé d’insolation il y a quatorze siècles.
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