Malgré la loi de 2004 sur les signes religieux, le voile est de nouveau accepté à l’école publique. La création des « espaces-parents » par Najat Vallaud-Belkacem et la possibilité pour les intervenants extérieurs de manifester leur appartenance religieuse lui permettent de s’exposer à la vue des individus les plus influençables, les enfants.
Revenue à la une, à l’occasion d’une action commerciale, l’insubmersible question du voile n’en finit pas d’occuper le champ médiatique. Et si, pour une fois, nous l’envisagions avec des yeux d’enfants, ceux de ces petits garçons élevés dans cette conception de la femme pudique et ceux de ces fillettes qui ne naissent pas femmes voilées mais le deviennent, avec la conviction parfois intense que « c’est leur choix ».
Une école sous influence
Parce que la question du voile jouxte celle de la sexualité et de l’égalité homme/femme, la lecture du rapport parlementaire rédigé par Chantal Jouanno en 2012 se révèle particulièrement éclairante sur la façon dont se construisent, dès l’enfance, nos normes et références en la matière. Intitulé « Contre l’hypersexualisation, un nouveau combat pour l’égalité », ce riche document, appuyé sur la recherche anthropologique, explique : « La sexualité des individus, bien qu’elle puise ses sources dans des pulsions inconscientes, est régie par des codes culturels et sociaux qui s’imposent aux individus et qui édictent le cadre dans lequel elle peut s’exprimer ‘socialement’. […] On peut noter que ces formes d’expression imposées aux femmes et aux hommes sont étroitement liées aux places et rôles assignés à ces derniers au sein de la société. La sexualité est donc une construction sociale. […] On peut définir la socialisation comme l’intériorisation des normes et des références qui permettent de devenir membre d’un groupe social, de se percevoir comme tel, et d’agir de façon appropriée dans ce groupe. […] L’intériorisation signifie que ce n’est que très rarement un apprentissage conscient. En général au contraire on apprend les normes parce que les autres autour de nous les appliquent. »
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Ces autres, ce sont la famille, les pairs, l’école et les médias. Le rôle des deux premiers facteurs n’est plus à démontrer. La conquête des médias saute aux yeux, puisque, hors de ceux à vocation communautaire, les mannequins voilés se glissent de plus en plus dans les vitrines et campagnes publicitaires. Reste l’école… Elle a montré son impuissance à endiguer le phénomène, mais a-t-elle vraiment tout tenté ? Est-elle ce sanctuaire où l’on peut espérer qu’une autre image de la femme se construise ? L’école émancipatrice ne serait-elle qu’un mythe ?
Les « espaces-parents » de Najat Vallaud-Belkacem
Le voile pénètre l’école laïque de deux façons : par l’ingérence conviviale des parents d’élèves et, c’est moins connu, par les intervenantes extérieures.
Le sujet des accompagnatrices de sortie est connu de tous. Ce qui l’est moins, c’est que Najat Vallaud-Belkacem a jugé indispensable d’ajouter, à cette présence ponctuelle, une présence plus continue « des signes et tenues qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » en milieu scolaire, en inscrivant dans le code de l’éducation l’obligation d’aménager des « espaces-parents », conviviaux, à l’intérieur des écoles. Le goût pour la relation client efficace de la nouvelle mandature explique le maintien de cette politique.
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Le site ministériel Eduscol nous explique que « la relation de confiance et le dialogue entre les parents et l’école constituent un enjeu déterminant pour la réussite de tous les enfants ». « Propices aux échanges entre les personnels et les parents, ces espaces encouragent les relations entre parents eux-mêmes dans leur diversité. » Si la motivation est noble, on peut malgré tout s’interroger sur la relation que pourrait y nouer des mamans qui s’y retrouveraient, tête nue et en minorité, face à leurs pairs, toutes voilées, voire en abaya. De même, offrir un lieu de propagande par le fait, infiniment plus symbolique que le parvis de l’école, aux plus prosélytes d’entre elles, en nombre possiblement supérieur à l’équipe enseignante, interroge sur les figures d’identification que l’on souhaite donner aux petites filles scolarisées dans la même enceinte.
Intervenants extérieurs à la laïcité
Mais le plus étonnant demeure la fiche 22 du Vademecum de la laïcité, dans laquelle les sages du Conseil du même nom ont rappelé que les intervenants extérieurs « ont le droit, au même titre que les parents d’élèves, de manifester ostensiblement leurs convictions philosophiques ou religieuses ». Par ces quelques lignes, est désormais connue de tous la possibilité, pour une intervenante portant des signes religieux ostensibles, de tenir un rôle pédagogique, devenant ainsi un modèle, tant par le fond de son action, que par la forme de sa tenue, au même titre que peut l’être un enseignant.
Etonnamment, le silence règne parmi les défenseurs de la laïcité et de l’émancipation des femmes, sur cette possibilité offerte, à cet emblématique signe religieux, de s’afficher en milieu scolaire. Pourtant, des cas concrets se présentent, par exemple lorsque l’Education nationale encourage les interventions de Latifa Ibn Ziaten, par ailleurs gratifiée par le Printemps républicain d’un prix de citoyenneté. Ne peut-on s’interroger sur les conséquences de cette démarche qui contribue à renforcer la légitimité, par l’institution, d’une femme voilée donnée en modèle à des élèves ? Souvenons-nous d’un autre cas de port du voile qui a créé une polémique récemment : celui de Maryam Pougetoux, la présidente de la section locale de l’Union nationale des étudiants de France (Unef) à Paris IV. Le débat fut vif concernant cette syndicaliste dont l’action ne ciblait que de jeunes adultes. Mais alors, ne doit-on pas réfléchir avec encore plus d’intensité, à l’impact du signifiant et du signifié du même accessoire, sur un public adolescent, voire enfantin ? Car, soyons honnêtes, qui peut prétendre, par son regard, distinguer le sens du foulard de l’une de celui de l’autre ? Surtout avec des yeux d’enfants…
« On apprend les normes parce que les autres autour de nous les appliquent »
Face à ce constat, l’espoir réside dans l’avènement d’un courage politique, éclairé par les mots de Jean Zay. Dans sa circulaire du 31 décembre 1936, il définissait « les enfants ou les jeunes gens » en ces termes : « Encore peu conscients des risques encourus et dont l’inexpérience et la faculté d’enthousiasme sont exploités ». S’il évoquait alors la propagande politique, le risque demeure pour le prosélytisme religieux à l’œuvre aujourd’hui. Découlant de ce prisme d’analyse, la loi de 2004, fut un premier rempart face au pouvoir d’intégration par pression des pairs de la pratique du voilement. Mais alors, pourquoi, aujourd’hui, renforcer la puissance de l’exemplarité des mères et des intervenantes en tenue « pudique », en les laissant affirmer leur présence dans l’enceinte scolaire ?
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Il sera trop tard lorsque des associations, plus ou moins bien intentionnées, auront exploité la faille de la fiche 22 du Vademecum, pour faire de leurs intervenantes, dont l’aura et le statut se rapproche de celui d’une enseignante, les chevaux de Troie de la vision rétrograde du rôle de la femme, au nom de ce partenariat entre acteurs de terrain que valorise le ministère de l’Education nationale.
« On apprend les normes parce que les autres autour de nous les appliquent », disait le rapport Jouanno. La présence de femmes voilées, sur le temps scolaire, dans un rôle pouvant aller jusqu’à la conduite d’activités éducatives, contribue donc tout autant que le voilement des fillettes, à conditionner les enfants à une vision hiérarchisée des sexes. Pour que l’école ne concoure pas à faire de ce particularisme une norme, emmenant dans son sillage une conception rétrograde du rôle de la femme, il est urgent d’oser sanctuariser l’école face à la pénétration de tout signe religieux.
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